Voilà déjà 17 ans que South Park, l'animé issu de l'imagination débridée et fertile de Trey Parker et Matt Stone, squatte nos postes de télévision, au plus grand plaisir des fans et au grand dam des (nombreux) détracteurs de l'humour corrosif de la série. Bien entendu, un univers aussi fécond ne pouvait que connaître des escapades extra-télévisuelles sur ordinateurs et consoles, sans qu'elles parviennent pourtant à contenter le joueur aussi bien que l'adorateur de l'animé. Aussi, l'annonce d'un jeu de rôle inspiré de South Park, dont le développement est supervisé par ses deux auteurs déjantés qui se chargent aussi du doublage, avait tout pour créer une attente religieuse teintée de crainte chez des fans qui trépignaient d'impatience à la simple idée de pouvoir explorer librement la tranquille petite ville de montagne.
Quatre ans et demi après sa disponibilité sur PC et consoles, le jeu qui a fait hurler de rire les fans de la série imaginée par Trey Parker et Matt Stone débarque enfin sur Nintendo Switch. À l’image des petits personnages aux formes géométriques héros de la série, le jeu n’a pas pris une ride. En fait, il n’a pas non-plus de nouveauté par rapport aux versions des autres supports, ce qui est bien dommage. Aucune scène bonus n’est ajoutée, et les séquences censurées le sont toujours.
Cette version Switch ne peut être jouée avec un seul Joy-Con. Il n’y a pas de détection de mouvements pour lancer des sorts, et l’écran tactile n’est pas utilisé afin de se promener dans l’inventaire. L'édition de South Park : Le Bâton de la Vérité sur Switch est donc identique aux versions Xbox 360 et PS3, même si elle peut être trimballée un peu partout grâce à la fonction nomade de la console hybride. Techniquement, il est presque impossible de faire la différence par rapport à un autre support malgré de rares saccades aléatoires dans les rues de la ville. Si vous n’avez jamais fait South Park : Le Bâton de la Vérité et que vous possédez une Switch, ce simple portage pourrait donc vous intéresser.
Si parler d'un RPG autour de South Park laisse logiquement la porte ouverte aux espoirs les plus fous, la peur de se trouver face à un énième « jeu à licence » vient rapidement endiguer l'enthousiasme tant les joueurs sont habitués à voir leur univers fétiche totalement massacré par une adaptation vidéoludique paresseuse. Mais en s'octroyant les services de Parker et Stone à l'écriture et au doublage, Obsidian, en charge du développement du jeu, garantissait au minimum à son titre la conservation précieuse de l'esprit de la série. Mais ne dit-on pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions ? Un bon état esprit ne fera pas nécessairement un bon jeu, il convient alors d'aborder South Park : Le Bâton de la Vérité avec une certaine réserve avant de crier au génie.
J'prends la route de South Park histoire de prendre un peu l'air
Le début de votre aventure est marqué par le déménagement de vos parents dans la ville de South Park, Colorado. Une rapide création de personnage plus tard (coupe de cheveux, couleur des yeux, fringues...), une première cinématique pose les bases de votre avatar. Vous incarnez un enfant ne parlant jamais, sans pour autant être muet. Vos parents vous considèrent comme assez étrange, vous posant d'incessantes questions dans l'espoir de vous voir enfin prononcer un mot. Soucieux de votre sociabilité, manifestement un peu mise au placard dans votre ville d'origine, vos géniteurs vous enjoignent de sortir dehors histoire de vous faire des potes. Il n'en faudra pas plus pour vous mettre aux commandes de ce môme de 8 ans dont l'absence de ligne de texte contribue immédiatement à l'immersion et ouvre même la porte à quelques gags toujours bien amenés, les personnages alentour soulignant l'absence de parole de votre avatar d'une manière qui fait systématiquement mouche. Par ailleurs, dès les premières secondes d'interaction, la magie opère. C'est très simple, le sentiment de se balader à loisir dans un épisode de South Park est omniprésent d'un bout à l'autre de l'aventure.
Une réalisation au poil
En respectant au pied de la lettre les codes visuels imposés par la série, South Park : Le Bâton de la Vérité immerge immédiatement le joueur dans l'univers de Parker et Stone, laissant au fan comme au moins fan un sourire ravi et amusé collé aux lèvres. Jusque dans ses moindres détails, Le Bâton de la Vérité transpire le respect de la licence et des amateurs de la série, notamment en disséminant des références aux 17 saisons de South Park un peu partout dans l'univers. Les animations des personnages sont tout à fait en accord avec ce que l'on trouve dans les dernières saisons de la série et les doublages sont quant à eux, est-il nécessaire de le signaler, absolument impeccables. Certes, Le Bâton de la Vérité n'a pas bénéficié des (excellents) doublages français, mais quiconque a suivi ne serait-ce qu'un épisode de South Park en version originale saura à quel point les voix sont de qualité. De plus, il convient de souligner l'excellence des sous-titres français qui restituent plus que convenablement l'esprit de la série. L'écrin est rutilant, pas de doutes, l'excitation d'explorer librement cette petite ville peuplée de gens légèrement désaxés gagne rapidement le joueur. Le contenant étant solide, quid du contenu ? Simple épisode interactif ou vrai jeu dans l'univers de la série ?
Le retour de la communauté des deux tours
A peine avez-vous mis un pied dehors que vous croisez l'inégalable Butters en plein affrontement avec un camarade de classe. N'écoutant que votre courage, vous volez à son secours et assénez un coup à son opposant. Ce dernier parti, l'ami Butters, plein de gratitude, se présente à vous comme étant un paladin miséricordieux et trépigne d'envie de vous introduire auprès du grand sorcier Eric Cartman. Soit, on l'avait deviné, le jeu s'inspire très largement de l'épisode « Le retour de la communauté des deux tours » et du plus récent "A Song of Ass and Fire". Dans Le Bâton de la Vérité, Elfes et Humains se livrent une guerre impitoyable pour la conservation du fameux Bâton, un bout de bois quoi, dont la possession implique un pouvoir absolu. Une fois le fief de Cartman découvert (le Kupa Keep Kamp), il est temps de choisir votre nom (scène qui vous réservera bien des surprises si vous n'avez rien regardé du jeu jusqu'à présent) et votre classe. Vous avez le choix entre Guerrier, Mage, Voleur... et Juif. Nous vous passerons les détails pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte, mais sachez simplement que si chaque classe dispose de ses compétences propres, jouer « Juif » vous garantira pas mal de tranches de rire lorsque vous découvrirez quelles clowneries Parker et Stone sont parvenus à trouver pour les sorts de cette classe. Une fois votre rôle déterminé, une brève introduction à ce qui rythmera une grande partie de votre aventure prend place, en vous dévoilant le déroulement des combats avant que vous ne soyez véritablement lâché dans la nature.
Des affrontements plus malins qu'ils ne le paraissent
Les affrontements sont nombreux et se déroulent au tour par tour, comme à l'ancienne. Ou presque. Vous disposez de plusieurs étapes facultatives dans votre tour de combat. Vous pouvez certes choisir d'attaquer immédiatement votre adversaire mais il sera préférable de consommer une petite potion augmentant vos caractéristiques d'attaque et de défense avant de porter votre premier coup. Si vous bénéficiez déjà de ces statistiques augmentées grâce à votre équipement, vous pouvez tout à fait jeter un bien bel étron (préalablement façonné avec amour) à la tronche d'un de vos opposants afin de lui appliquer une affliction qui lui fera subir des dégâts à chaque tour. Une fois cette première étape franchie, vous pouvez choisir entre plusieurs attaques, dont la nature est conditionnée par les armes que vous portez et par votre classe. Vous serez systématiquement équipé d'une arme à distance, d'une arme de corps-à-corps et vous pourrez, en fonction de vos points de pouvoir, utiliser une ou plusieurs de vos aptitudes spéciales, coûteuses certes, mais diablement efficaces. Plus tard dans l'aventure, vous apprendrez jusqu'à 4 sorts magiques, avec notamment un Fush Roh Dah maison des plus délicieux, consommant des points de mana. Enfin, la portée de vos coups sera conditionnée par un timing exact. Il faudra presser un bouton au bon moment pour exécuter une attaque parfaite ou une parade idéale sous peine d'encaisser trop de dégâts. Ce petit aspect « timing » rend les combats très dynamiques à défaut de les rendre difficiles.
South Park avec du vrai RPG dedans
Toutes ces compétences ne sont pas là pour faire joli. Chaque combat remporté vous apporte bien entendu son lot d'expérience vous permettant de débloquer des nouveaux sorts et / ou d'optimiser ceux que vous connaissez déjà. Ne cherchez néanmoins pas la précision dans l'élaboration de votre personnage chez South Park : vous ne bénéficierez tout au plus que de 5 aptitudes spéciales et de 4 sorts magiques. Les points d'expérience gagnés en remplissant des quêtes ou en vainquant des ennemis qui sillonnent la ville (Elfes ou plus tard zombies nazis) ne vous seront utiles que pour améliorer les compétences déjà connues ou en gagner de nouvelles une fois un certain niveau atteint. A vous de privilégier le développement de tel ou tel sort. Certains sont plus efficaces en mono-cible tandis que d'autres seront ravageurs lorsque vous serez confronté à des adversaires en surnombre. Par ailleurs, en fonction de votre avancée dans l'aventure, vous pourrez vous adjoindre les services de 6 potes interchangeables lors des combats. Ainsi vous pourrez mener l'assaut en compagnie de Stan, Cartman, Kyle, Kenny, Butters et Jimmy Valmer. Un régal pour les fans, un plus pour le gameplay, chaque compagnon disposant de compétences dont certaines seront plus pertinentes que d'autres en fonction de la composition du groupe adverse. Même si vos frères d'armes ne sont pas customisables, leur puissance grandit parallèlement à la vôtre.
Alors que l'on pouvait légitimement penser que South Park : Le Bâton de la Vérité ne serait pas complet, un peu radin en termes de gameplay, la diversité des approches de combat nous prouve le contraire et les équipes d'Obsidian nous montrent que l'on peut faire un RPG complet en s'extirpant des traditionnels univers post-apo / fantasy. L'art de détourner les codes d'un registre écumé des milliers de fois par les joueurs du monde entier, c'est ce que propose Le Bâton de la Vérité. Tacos de résurrection, Muscle + 4000 pour un bonus d'attaque, Red Bull pour la récupération des points de pouvoir, les ingrédients de tout bon RPG qui se respecte se trouvent dans le jeu, mais largement remaniés à la sauce South Park. Un hommage à la série, rendu jusque dans les moindres détails. Et les choses ne s'arrêtent pas là car une fois lâché dans la ville, libre à vous d'explorer les lieux sans trop vous préoccuper de la quête principale qui est à l'image de l'univers créé par Parker et Stone : absurde, impertinente, hilarante.
Pour les fans uniquement ?
Au gré de vos pérégrinations, vous rencontrerez tout le gratin de la série et débloquerez une belle quantité de quêtes secondaires, toutes introduites par des dialogues proprement hilarants. Ce sera également l'occasion de gagner en popularité, mesurée par le nombre d'amis que vous avez sur votre page Facebook. Plus vous serez populaire, plus vous pourrez accéder à des bonus augmentant votre vie, vos dégâts et bien d'autres statistiques. Mais surtout, flâner comme bon vous semble dans South Park sera l'occasion de découvrir la multitude de clins d'oeil à l'univers de la série, souvent très subtilement amenés. C'est l'avantage d'un inconvénient : le public ciblé par Le Bâton de la Vérité est clairement un public de puristes de la série, les seuls à même de repérer les références les plus minimes. Les autres, qu'ils soient juste amateurs de South Park ou totalement stoïques face à la licence, passeront à côté de ce qui fait une bonne partie du plaisir de jeu. Et même les fans hardcore ne pourront s'empêcher de râler face aux problèmes bien réels qui ternissent l'enthousiasme généré par les qualités du titre.
J'prends la route de South Park et *biiiiiiip*
Vous le savez sans aucun doute, pour des raisons obscures de marketing, environ deux minutes de South Park : Le bâton de la Vérité ont été purement et simplement censurées sur PS3 et Xbox 360. Cette censure, qui n'est pas imputable au PEGI, a ôté deux scènes hilarantes d'avortement ainsi que des segments contenant des sondes anales. Un choix on ne peut plus curieux lorsque l'on sait que le tout premier épisode de South Park s'intitule : « Cartman a une sonde anale » et que les épisodes diffusés à la télévision contiennent des éléments bien plus crus qui, eux, passent à travers les mailles de la censure. Extrêmement regrettable, mais fort heureusement Parker et Stone proposent en remplacement un petit texte explicatif comme vous pouvez le voir sur l'image ci-contre. Par ailleurs, les temps de chargement entre certaines zones de jeu sont relativement longs. Ces loadings étant nombreux, leur lenteur (relative) finissent par agacer à la longue, d'autant qu'il est difficile de justifier une telle durée pour un jeu comme celui-là. Enfin, la grande facilité du titre raccourcit grandement sa durée de vie. Nous vous recommandons d'ailleurs de passer immédiatement le jeu en expert car, même avec ce mode de difficulté, vous n'aurez aucun mal à voir le bout de l'aventure en 10-12 heures si vous rushez la quête principale, en 20 heures en prenant le temps d'explorer la ville et de boucler les quêtes secondaires. Le souci d'équilibrage entre votre puissance et celle de vos adversaires fait des combats une balade de santé, d'où la sensation de monotonie qui émerge en fin de parcours. L'interface est quant à elle parfois un peu brouillonne mais bien que mieux adaptée aux consoles qu'aux PC.
Mais qu'importe, on parvient à pardonner (presque) tout à South Park : Le Bâton de la Vérité. Le respect méticuleux de l'univers de Parker et Stone est tel que le fan de la série aura ni plus ni moins le sentiment d'incarner réellement pendant une grosse quinzaine d'heures un protagoniste de la ville. Non, les personnes rebutées par l'humour cradingue, cynique, trash et insolent ne trouveront certainement pas leur compte avec ce jeu. Les rôlistes endurcis, quant à eux, ne verront en South Park : Le Bâton de la Vérité qu'un RPG très grand public concernant ses mécaniques de gameplay. Mais le jeu s'adresse avant tout aux fans d'un univers précieux, riche et beaucoup plus intelligent qu'il n'en a l'air. Les multiples quêtes bénéficient toutes d'une écriture au cordeau, la bande-son est excellente et les éclats de rire sont nombreux. Il n'en fallait pas beaucoup plus pour faire de South Park : Le Bâton de la Vérité une incontestable réussite. Bien joué Obsidian et merci mille fois Parker et Stone.
Points forts
- L'ADN de la série respecté jusque dans les moindres détails
- Les codes du RPG passés à la sauce South Park
- Irrévérencieux à souhait
- Bande-son impeccable, des doublages à la musique
- Les quêtes secondaires aussi bien écrites que la principale
- Les combats au tour par tour, fun et dynamiques
- Plein d'interactions amusantes dans l'univers
- Les animations des aptitudes spéciales
- La quantité d'objets à ramasser aux descriptions hilarantes
- Destiné avant tout aux fans hardcore de South Park
Points faibles
- Destiné avant tout aux fans hardcore de South Park, justement
- Les scènes censurées, un scandale
- Temps de chargement nombreux et trop longs
- On fait vite le tour de la carte
- Absence de doublages français (VOSTFR uniquement)
- Trop facile (mode expert recommandé dès le début)
- Interface un peu brouillonne
South Park : Le Bâton de la Vérité n'est pas un excellent RPG au sens littéral. Il est en revanche à ce jour le meilleur jeu inspiré de l'univers de Parker et Stone. Avec sa réalisation impeccable qui ne s'écarte jamais de l'essence de la série, avec ses références innombrables, grâce son écriture soignée qui rend parfaitement justice à l'impertinence de South Park mais aussi en raison de son gameplay plus diversifié qu'il n'en a l'air, on peut affirmer que les fans de la série ont enfin le jeu qu'ils attendaient depuis des lustres. Les personnes indifférentes à l'animé se priveront d'une bonne partie du plaisir et risquent de ne s'attarder que sur le manque global de finition ou la trop grande facilité du titre. On les comprendra aisément. Pour les autres, il serait tout simplement criminel de passer à côté du Bâton de la Vérité. Et si les scènes censurées font un peu tache, cela ne ternit en rien le plaisir que procure le jeu.