Faut-il encore présenter The Last of Us ? Le dernier-né du studio Naughty Dog restera sans doute comme l'un des plus beaux bijoux de la PS3. Davantage qu'un simple jeu d'action horrifique saupoudré d'infiltration, les créateurs de Uncharted nous ont prouvé là qu'ils maîtrisaient à merveille l'art de la narration pour nous plonger dans une ambiance hors du commun. Ce ne sont pas forcément les affrontements contre les pauvres bougres infectés par le cordyceps qu'on garde en mémoire en ressortant de cette aventure. Les moments de tension ne sont finalement là que pour mieux nous permettre d'apprécier les passages plus contemplatifs. Ce rythme très particulier est d'ailleurs l'une des principales forces de The Last of Us. Il passe aussi par un recours régulier aux ellipses, par le non-dit. Dans ces circonstances, on est en droit d'être sceptique en voyant arriver Left Behind, un contenu téléchargeable qui se propose justement de nous montrer ce qui n'était pour l'instant que suggéré...

L'origine du mal

Left Behind nous propose effectivement d'incarner Ellie pendant l'une des fameuses ellipses de l'histoire principale. Autant vous laisser la surprise sur le moment précis concerné par cet ajout, mais sachez seulement que la pauvre adolescente est en bien mauvaise posture. Sa détresse vous donnera l'occasion de plonger dans de longs flash-back qui reviennent sur les événements qui ont précédé le scénario du jeu de base. Pas la peine de vous faire un dessin, si vous avez déjà écumé The Last of Us, vous vous doutez de ce qui a pu chambouler la vie d'Ellie quelques semaines avant que sa route ne croise celle de Joël. C'est donc avec un petit pincement au cœur que l'on fait la rencontre de son amie Riley, une fille téméraire qui a eu une influence considérable sur le destin de notre jeune héroïne. Et pour cause, Riley n'est pas du genre à rester sagement dans les clous. Elle a fugué de l'école militaire où Ellie et elle étaient pensionnaires pour rejoindre les Lucioles, ce mouvement de résistance considéré comme un groupe terroriste par le pouvoir en place. C'est cette fameuse Riley qui va pousser Ellie à faire une dernière fois le mur. Symboliquement, c'est elle qui lui tend le fruit défendu, qui lui propose une alternative et qui lui montre que la soumission à l'autorité n'est pas la seule option.

Une montée progressive en puissance

Les deux temporalités s'imbriquent assez logiquement pour la bonne raison qu'elles sont calées sur le même rythme. Tout le début du DLC est plutôt contemplatif, mais les événements vont petit à petit s'emballer jusqu'à atteindre une apothéose au bout des trois heures que dure cette petite aventure dans la peau d'Ellie. La montée en puissance est non seulement progressive, elle est aussi tout à fait en accord avec le personnage d'Ellie. En effet, la jeune adolescente n'a pas le même gabarit que Joël et elle n'a par exemple pas la même capacité à encaisser les attaques au corps-à-corps. Il n'y a pas de secret, il vous faudra le plus souvent rester discrète pour sauver votre peau. Left Behind laisse une grande place à l'infiltration : mieux vaut poignarder un ennemi dans le dos que foncer tête baissée dans le feu de l'action. Ce constat est encore plus pertinent lorsqu'il s'agit d'affronter à la fois des chasseurs et des infectés. Faites alors travailler vos neurones pour que tout ce beau monde s’entre-tue avant de sortir de votre cachette. Finalement Left Behind respecte scrupuleusement l'ADN du jeu original et prend la forme d'un cocktail contenant aussi bien des pauses contemplatives, que des scènes d'action stressantes et des phases d'infiltration.

« C’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir »

Les éléments qui s'imbriquent directement dans la trame principale sont intéressants en termes de plaisir de jeu mais, on ne va pas se le cacher, ce sont surtout ceux qui font office de préquelle qui portent vraiment la narration. Pourtant, on connaît déjà le dénouement de ces événements, on sait déjà comment tout cela va se terminer. On a beau se dire qu'on ne va pas tomber dans le panneau du pathos, on a beau essayer de se blinder en faisant mine de prendre les choses à la rigolade, on est forcément touché par cette conclusion à laquelle on ne peut pas échapper. Rassurez-vous, ce débordement émotionnel n'est pas tout à fait gratuit, il nous éclaire aussi sur le scénario du jeu de base. Une chose est sûre, vous ne regarderez plus Ellie de la même façon après avoir bouclé Left Behind, mais votre relecture de The Last of Us peut aussi aller un peu plus loin grâce à ces nouveaux éléments. Le ressort proprement tragique de ce DLC apporte en effet un nouvel éclairage sur la portée du jeu. Pas besoin de pousser la réflexion trop loin pour voir par exemple dans ces deux adolescentes le reflet lointain d'une Antigone moderne posant la question de la légitimité de la lutte contre le pouvoir établi. Bref, Left Behind nous invite non seulement à refaire The Last of Us, mais aussi à le questionner de nouveau, à y découvrir d'autres implications, sans pour autant céder aux sirènes d'un voyeurisme qui se contenterait de nous balancer des images choquantes. Une bonne pioche en somme.