Deux ans après sa sortie initiale, Deus Ex : Human Revolution refait parler de lui en déboulant sur Wii U dans une version Director's Cut. Le charme cybernétique du FPS / RPG opère toujours à merveille malgré ce retard. Vous retrouverez ici le test original du titre, les détails de cette édition spéciale étant consultables en fin d'article.
En reprenant la quintessence d'Ultima Underworld, de System Shock et de Thief dans le cadre d'une fable cyberpunk conspirationniste, Deus Ex est devenu à sa sortie le porte-étendard du FPS subtil mâtiné de RPG, capable de concilier gameplay émergent et profondeur scénaristique. Ce classique indémodable ("every time you mention it, someone will reinstall it") a même propulsé son créateur, Warren Spector, parmi le Hall of Fame vidéoludique. Mais qu'y a-t-il de plus difficile que de succéder à un monument du genre ? Pour Invisible War, l'hérédité a été trop lourde à porter, notamment dans les conditions d'un développement multisupport. Cette suite n'était pas désastreuse, mais son level design à côté de la plaque caricaturait la liberté d'approche qui avait fait le succès du premier opus : "Alors les bourrins, c'est à droite ; il y a un fusil d'assaut sur la table, servez-vous. Pour les furtifs, c'est à gauche ; le conduit d'aération est déjà ouvert." On exagère à peine... Voilà ce qu'on craignait de retrouver dans Human Revolution, à l'heure où les évolutions ont une fâcheuse tendance à tirer la richesse et la complexité vers le bas. Heureusement, il n'en est rien !
Qu'on s'entende : Deus Ex : Human Revolution ne s'interdit pas tout emprunt à la modernité. Le halo lumineux signalant les éléments interactifs du décor, la remontée automatique de l'énergie en plein combat ou encore la disparition du lean à la faveur d'un système de couverture à la Gears of War... Voilà de quoi faire tiquer les puristes ! Certaines de ces fonctionnalités sont paramétrables : avant de commencer à jouer, n'oubliez pas de faire un tour dans les options pour supprimer le halo jaune et l'indicateur d'objectifs (désactivés par défaut dans le plus haut mode de difficulté). Mais d'autres ne peuvent être modifiées : il vous faudra composer avec la régénération automatique de votre énergie vitale, qui vous privera de ces moments de stress où vous deviez aborder une nouvelle séquence avec une santé défaillante, ainsi qu'avec le passage automatique à la 3ème personne lors de certaines actions de jeu, qui écornera l'immersion typique de la représentation subjective. Mais il est difficile de condamner cet appel du pied aux néophytes, tant à côté de ça, Eidos Montréal s'est appliqué à restaurer l'expérience de jeu du Deus Ex original, pour le plus grand plaisir des fans.
Tout ça c'est Illuminati et compagnie
L'histoire se déroule 25 ans avant les événements du premier volet, au moment où la cybernétique commence tout juste à envahir le paysage mondial et à générer un clivage entre les partisans et les détracteurs de cette technologie. Contrairement à un J.C. Denton, Adam Jensen débute son aventure en tant qu'humain non augmenté et symbolise un futur proche qui s'interroge encore sur les bienfaits des progrès scientifiques et techniques. L'attaque brutale et méthodiquement orchestrée de la société dans laquelle il officie en tant que chef de la sécurité, Sarif Industries, emporte son ex-petite amie mais aussi une partie de lui-même puisque, agonisant, il est sauvé par l'implantation d'une interface neurale et de membres cybernétiques. Le thème cyberpunk de Human Revolution s'enracine donc dans une réflexion éthique et philosophique sur le transhumanisme. Tout au long de sa recherche de la vérité, qui le conduira de surprise en surprise, Adam Jensen sera confronté aussi bien à des clans de punks manipulés qu'à des milices surarmées, des idéalistes insurgés ou encore des groupuscules au service d'intérêts politiques et financiers... Pas de doute, on est bien dans un Deus Ex.
L'enquête d'Adam Jensen l'amènera à visiter successivement trois grandes villes : celle de Detroit, qui survit péniblement au choc automobile et pétrolier, celle de Hengsha, construite sur deux étages pour accueillir la population croissante, et enfin celle de Montréal, qui s'avérera être le relais d'une conspiration internationale. Chaque centre urbain, constitué de plusieurs zones reliées entre elles, est ouvert aux velléités d'exploration du joueur. Si le patron d'Adam, David Sarif, lui confiera la plupart de ses missions, il est aussi possible de converser avec la population locale pour récupérer quelques quêtes secondaires agréablement développées. La particularité de tous ces objectifs, c'est de pouvoir être atteints de plusieurs façons différentes. Exemple parmi tant d'autres, comment vous y prendrez-vous pour accéder à la morgue d'un poste de police ? En tentant de convaincre le gardien de vos bonnes intentions ? En perpétrant un massacre façon Schwarzy dans Terminator ? En piratant le code de sécurité de la porte de derrière ? En cherchant un accès par les toits ou par les égouts ? Servie par un level-design d'une redoutable efficacité, la liberté d'action est énorme.
Avion furtif ou char d'assaut
L'approche frontale n'est pas inintéressante. Soutenus par une vaste palette d'armes mortelles (colt, fusil à pompe, pistolet-mitrailleur, grenades frag, etc., toutes entièrement customisables au moyen de visées lasers, silencieux et autres absorbeurs de reculs) ainsi que par un système de couverture plutôt bien fichu permettant d'arroser l'ennemi en restant planqué derrière un élément du décor, les gunfights sont dynamiques et enlevés. Mais l'approche furtive se révèle incontestablement plus gratifiante, notamment parce qu'elle offre de multiples possibilités. Sniper méthodiquement ses adversaires sans s'embarrasser de considérations éthiques, les assommer avec l'une des nombreuses armes non létales (fusil tranquillisant, taser, arbalète à fléchettes anesthésiantes, pistolet à onde de choc, mine à gaz...) ou encore s'infiltrer jusqu'à l'objectif sans se faire repérer, en empruntant des conduits d'aération et en bondissant de cachette en cachette pour se faufiler à la barbe des gardes et des systèmes de sécurité : c'est vous qui choisissez ! Il est notamment possible de boucler le jeu sans tuer un seul être humain, exception faite des boss. Et ça, c'est une réelle satisfaction !
Il est d'autant plus regrettable que l'intelligence artificielle soit sujette à quelques errements, que vous agissiez de façon subtile ou bourrine. S'ils gèrent parfaitement les indices visuels et sonores tels qu'une porte qui s'ouvre ou un corps à terre (que vous pouvez heureusement déplacer), les gardes ont un comportement trop faillible dès qu'ils sont en état d'alerte. Ils se précipitent bêtement vers leur(s) collègue(s) tombé(s) au lieu d'essayer de localiser l'origine de la menace, ce qui permet trop souvent d'amonceler les corps en un endroit donné. Et s'ils ont le malheur de vous repérer, ils vous alignent alors comme des lapins avec une précision redoutable (le syndrome S.T.A.L.K.E.R.) là où on aurait préféré les voir utiliser des stratégies de contournement. On attendait mieux d'une IA moderne, même s'il convient de relativiser notre déception. Tout d'abord, celle du premier Deus Ex n'était pas non plus irréprochable, mais elle ne nous a jamais empêché de prendre notre pied. Qui plus est, l'équipe d'Eidos Montréal a le mérite de ne pas avoir cédé à la tentation d'une succession de scripts typique des FPS modernes, qui aurait nuit à la variété d'approches disponibles.
La grande force de Human Revolution, c'est d'ailleurs de ne jamais soumettre une situation à une seule résolution possible (même les combats contre les boss peuvent être abordés différemment). De nombreuses voies annexes s'ouvrent notamment au fil de l'évolution d'Adam, qui acquiert des points d'amplification à dépenser parmi une soixantaine d'augmentations possibles. Les implants neuraux lui permettront de convaincre facilement son interlocuteur ou de pirater les systèmes de sécurité (via un mini-jeu plus élaboré que de coutume consistant à s'infiltrer dans un réseau sans être détecté), les implants rétiniens de voir à travers les murs, les implants dermiques de devenir invisible un court instant ou de résister aux dégâts, les jambes bioniques de courir plus vite ou de sauter par-dessus les obstacles infranchissables et les bras augmentés de détruire certains murs ou de déplacer les objets lourds, etc. Seul regret : les points d'amplification s'acquièrent un peu vite, si bien que vous finissez par maîtriser plusieurs domaines à fond, sans réelle obligation de vous spécialiser. Mais le jeu sait maintenir un challenge constant jusqu'au bout, vous aurez l'occasion de vous en rendre compte.
Quand vous êtes bloqué (cela arrive !), il suffit souvent d'explorer les alentours pour trouver une solution alternative, pas forcément prévue par les développeurs (c'est ce qu'on appelle le gameplay émergent). Si vous êtes de ceux qui aiment empiler des caisses récupérées à l'autre bout de la map pour atteindre un endroit inaccessible, vous devriez être servi ! Relativement ouvertes, les zones de jeu sont surtout d'une richesse et d'une densité exceptionnelles. Elles regorgent de lieux secrets dont la découverte, bien que superflue, provoque toujours un grand plaisir, comme c'était le cas dans le premier Deus Ex. On sent d'ailleurs que ce dernier a beaucoup inspiré les équipes d'Eidos Montréal, jusque dans la progression aux similitudes troublantes : le périple Detroit/Hengsha/Montréal évoque le périple New-York/Hong Kong/Paris, d'autant qu'on y retrouve des missions similaires (l'antenne pirate à Detroit, la boîte de nuit à Hengsha). On prendra ça comme un hommage, d'autant qu'avec son suspense qui monte crescendo, ses quelques choix cruciaux ayant des répercussions ultérieures et ses différentes fins possibles, Human Revolution se rapproche ostensiblement de son modèle.
Director's Cut Edition
Pour mériter son sous-titre de Director's Cut, cette version Wii U, également disponible sur les supports ayant déjà accueilli Deus Ex : Human Revolution, comprend évidemment quelques joyeusetés spécifiques. La première que l'on choisira de mentionner est évidemment le nouveau design des boss, éléments honnis des joueurs ayant opté pour la voie furtive. Auparavant, les joueurs peu, voire pas, armés et peu résistants devaient faire des pieds et des mains pour affronter ces brutes épaisses, dorénavant, ils trouveront de nouvelles méthodes plus subtiles essentiellement basées sur du piratage (retourner une tourelle) ou des éléments d'environnements. A titre d'exemple, le second boss, Fedora, peut être abattue en piratant une porte menant à un nouvel étage d'où il sera possible de libérer du gaz ou, après deux piratages, de lancer à ses trousses une tourelle. On ne dira pas que les boss sont subitement devenus un point merveilleux du jeu, mais on a en tout cas un peu moins le sentiment de se faire jeter à poil dans un bac de verre pilé. Le GamePad est l'autre nouveauté de cette version Wii U. Plusieurs fonctions sont déportées sur le second écran de la Wii U de l'inventaire à la gestion des augmentations en passant par la lecture des journaux électroniques. On y trouve aussi une carte en 2D affichant un plan de la zone et les ennemis présents. Le piratage s'effectue également au doigt depuis l'écran tactile, ce qui rapproche l'expérience de la version PC puisqu'il n'est plus nécessaire d’utiliser les sticks pour aller d'un nœud à un autre, un simple tapotement permettant de lancer la capture d'un point. Dernière petite fonction amusante : la possibilité de créer des infologs, des annotations à la carte (avec screenshots) que l'on peut partager sur le Miiverse.
Sortant 2 ans après la version originale, cette Director's Cut a le bon goût d'intégrer le DLC Chaînon Manquant, qui s’intègre du coup nettement mieux à la progression de la campagne puisqu'elle se déroule en plein milieu de l'histoire, ainsi que la mission bonus Sauvez Tong. De quoi compléter la trentaine d'heures nécessaires pour boucler le jeu en explorant l'ensemble des quêtes. Et pour en finir avec le contenu, sachez que vous trouverez des commentaires des développeurs ainsi que le guide stratégique du jeu, l'ensemble étant malheureusement en anglais. Et on terminera cette revue avec un petit point technique. Très proche des version PS3 et Xbox 360, cette déclinaison Wii U souffre toutefois de quelques ralentissements occasionnels et rappelle au passage que le moteur a pris un peu d'âge, fort heureusement, la direction artistique fait rapidement oublier les considérations techniques.
Points forts
- L'univers et le scénario cyberpunk
- Le gameplay ouvert aux bourrins, aux furtifs, aux hackers
- Deus Ex : Human Revolution accessible sur Wii U
- L'utilisation du GamePad sympa
- L'intégration des DLC
- Les boss certes retravaillés...
Points faibles
- … mais toujours aussi dispensables dans un tel jeu
- Guide et commentaires audio en anglais uniquement
- Le moteur a un peu vieilli
Doté d'une histoire intelligente, d'une ambiance formidablement immersive et d'une liberté d'action gratifiante, Human Revolution s'impose comme le digne représentant d'un genre qui se fait trop rare. Ce troisième opus n'est certes pas dénué de défauts ; son IA tout juste moyenne et ses quelques concessions aux diktats des shooters actuels pourront au demeurant en agacer certains. Mais on finit par s'en accommoder tant le plaisir de jeu est immense. Adam Jensen a même suffisamment de classe pour faire avaler aux réfractaires les séquences à la 3ème personne. Une très bonne pioche pour la Wii U dont la ludothèque ne peut que s’enrichir d'une telle réédition.