A côté de ses productions AAA nécessitant de gros budgets et la collaboration de plusieurs studios de développement, Ubisoft semble lancer parallèlement de plus en plus de titres modestes, maîtrisés par de petites équipes, mais qui n’en demeurent pas moins ambitieux. C’était le cas récemment de Child of Light et c’est le tour aujourd’hui du fascinant Soldats Inconnus auquel il a été possible de jouer pendant une petite heure…
Aux commandes de Soldats Inconnus figurent une trentaine de personnes talentueuses issues du studio Ubisoft Montpellier et à la tête desquelles s’affiche le directeur artistique Paul Tumelaire. De Fade To Black à Rayman en passant par Prehistorik Man, Beyond Good and Evil, Splinter Cell ou encore Ghost Recon, le bonhomme a su résolument faire fructifier son savoir-faire au fil des années. Le résultat, élaboré sur une année pleine à l’aide d’une toute petite équipe, est aujourd’hui une sacrée surprise comme le révèlent les tout premiers niveaux accessibles lors de la démo…
Une histoire aux multiples points de vue
L’action de Soldats Inconnus retrace les événements principaux de la Première Guerre mondiale, de 1914 à 1918, sur pas moins de 24 niveaux répartis au fil de quatre gros chapitres. L’aventure prend la forme d’un jeu d’aventure en 2D doté d’un scrolling horizontal dans lequel le joueur déplace le personnage et accomplit des actions ou résout des puzzles. L’un des principaux intérêts du titre est d’incarner à tour de rôle plusieurs héros, plus ou moins liés les uns aux autres et qui offrent à chaque fois un point de vue différent sur l’histoire. Ainsi, pendant la démo, trois personnages étaient jouables dans des niveaux dédiés. Il y a d’abord le Français Emile, un fermier vivant à la campagne avec sa fille, son mari allemand Karl et leur bébé. Après le retour forcé de Karl dans son pays afin de combattre au sein de l’armée allemande, Emile est à son tour mobilisé. Celui-ci se retrouve au sein d’un camp d’entraînement de l’armée française où il apprend notamment à manier la grenade (tutorial simplissime mais indispensable pour le joueur). Plus tard, sur le champ de bataille, il est rapidement fait prisonnier puis est contraint de devenir cuisinier pour nourrir les soldats allemands. Mais à l’issue d’un bombardement allié, Emile se retrouve isolé, accompagné seulement d’un chien qui va devenir un allié précieux (en certains lieux précis, celui-ci peut effectuer une action contextuelle, comme creuser le sol pour trouver un os ou user de son museau pour pousser un levier)…
Des personnages hauts en couleur
Second personnage jouable : l’Américain Freddy qui semble s’être engagé dans la guerre volontairement afin d’assouvir une vengeance et poursuivre sans relâche son pire ennemi, le baron Von Doff. C’est un spécialiste des explosifs qui peut aussi cisailler facilement les barbelés. Lors de la démo, Freddy est amené à faire sauter un pont puis à collaborer ensuite à un régiment d’indiens, intégré à l’armée française, afin de dynamiter un tunnel. Et puis il y a aussi l’infirmière belge Anna qui demeure peut-être le personnage le plus attachant, dans la mesure où elle se dévoue corps et âme à son métier et fait face sans faiblir aux divers champs de bataille et à leurs cortèges d’horreurs. Affronter un gaz mortel, scier une jambe ou donner les derniers sacrements à un soldat trop jeune pour mourir… Rien ne l’impressionne. Anna a même l’occasion de participer au fameux épisode historique des Taxis de la Marne, ces taxis parisiens réquisitionnés par l’armée française pour transporter ses renforts urgemment dans le département de Seine-et-Marne en septembre 1914. Enfin, les deux derniers héros de l’aventure - indisponibles dans la démo - devraient être l’Allemand Karl ainsi que l’aviateur anglais Georges. Ce dernier pourrait d’ailleurs n’être accessible que par l’intermédiaire d’un DLC à sortir plus tard…
De l’action et de la réflexion
Par souci d’universalité et donc pour toucher le public international, les développeurs ont choisi de ne pas inclure de texte dans l’aventure (excepté les documents bonus à collecter mais qu’il n’est pas obligé de lire). Si bien que les puzzles à résoudre passent obligatoirement par des icônes, symboles ou images (os, clé à mollette…) qui s’affichent à l’écran souvent dans des bulles à l’instar d’une véritable bande dessinée. Le gameplay qui en découle se révèle donc très accessible puisque les actions se résument à se déplacer horizontalement, donner des coups, interagir avec l’environnement (ouvrir un placard, parler aux personnages, grimper à une échelle…) et enfin projeter un objet (fruit, bouteille ou grenade). A noter qu’il est possible de moduler l’angle du lancer en maintenant la touche appuyée. Certaines séquences disposent également d’une maniabilité particulière. Comme les soins apportés par Anna aux blessés qui prennent la forme d’un défilé de touches à presser en haut de l’écran, à l’instar d’une séquence simplifiée de notes de musique dans Guitar Hero. Autre scène réjouissante révélée dans la démo : Anna prenant part à l’opération des Taxis de la Marne. Le joueur se retrouve alors à la diriger au volant d’un taxi qui roule à toute vitesse face à l’écran. Il faut éviter les nombreux obstacles (tonneaux, autres véhicules) qui déboulent au premier plan en déplaçant rapidement le véhicule. Cette séquence de jeu est d’autant plus sympathique qu’elle se déroule sur un air de french cancan particulièrement entraînant. Nettement plus angoissant, en revanche, le moment où Emile, devenu porte-drapeau de son régiment, fonce sur le champ de bataille sous une pluie d’obus allemands qu’il est nécessaire d’esquiver. Heureusement, si le personnage meurt, il peut recommencer immédiatement la même séquence à l’infini…
Des puzzles logiques
Au fil de l’aventure, le joueur semble régulièrement confronté à quelques casse-têtes visiblement pas trop difficiles. Par exemple, lors de la démo, Emile doit aider Freddy - qui deviendra ensuite son meilleur ami - à se débarrasser d’une poignée d’agresseurs lui cherchant des noises alors qu’il est de garde. Pour cela, Emile doit dégager le terrain autour de lui afin d’avancer. Il est donc d’abord nécessaire de s’emparer d’une bouteille d’alcool et de l’offrir au capitaine des gardes qui, fou de joie, va aller la boire plus loin. Le chemin d’Emile est entravé ensuite par une fanfare. Il doit alors faire jouer ses quatre membres dans le bon ordre pour que la liesse gagne la foule et que la voie se libère. Enfin, Emile peut monter sur le train en arrière-plan via une échelle puis se rendre dans la locomotive afin de tirer sur le signal. Résultat : la vapeur fait déguerpir les agresseurs de Freddy. Autre exemple un peu plus loin avec l’Américain qui doit faire sauter un pont. Avant de l’atteindre, celui-ci doit esquiver les tirs d’une mitrailleuse lourde, grimper sur une plate-forme, lancer une brique pour détourner l’attention d’un soldat et l’assommer ensuite par derrière. Enfin, Freddy doit placer un pain de dynamite à un endroit précis et appuyer sur l’interrupteur pour tout faire sauter. Plus tard, de la même manière, il doit neutraliser un nid de mitrailleuses allemand. Alors que de son côté, Emile a pour mission de cuisiner des saucisses et donc d’accomplir les bonnes actions dans le bon ordre. Attention, au bout d‘un certain temps, si la solution n’est pas trouvée, un indice est proposé automatiquement. Libre alors au joueur de cliquer dessus pour découvrir une image montrant la manière de progresser à l’endroit pile où le personnage est bloqué. Heureusement, il est possible de désactiver cette aide ainsi que la mise en évidence des objets interactifs du décor en choisissant de jouer au niveau Vétéran. Et puis les actions à effectuer semblent relever de la logique. Ici, pas question d’énigmes trop tordues !
Une esthétique convaincante
Inspiré d’auteurs de BD français appréciés par les développeurs, comme Manu Larcenet (Les Entremondes) ou Lewis Trondheim (Les Petits Riens), Soldats Inconnus peut se targuer d’afficher des graphismes très stylisés mais aussi parfaitement étudiés. Preuve en est par exemple : tous les personnages adultes ont les yeux cachés ou fermés – symbole de leur aveuglement quant aux raisons et conséquences de cette guerre -, tandis que seuls les enfants ou le chien arborent des yeux clairement visibles – symbole en quelque sorte d’une innocence avide de découvrir le monde. A cela, il faut ajouter aussi une bande-son marquante avec des musiques qui ont l’air très inspirées (notamment une interprétation de la Marseillaise), voire même parfois bouleversantes. Et puis c’était sans compter la charismatique voix – française – du narrateur qui intervient entre chaque niveau. Rien d’étonnant dans la mesure où il s’agit de l’acteur Marc Cassot qui a prêté auparavant son célèbre timbre à Albus Dumbledore dans les films Harry Potter ou encore à Sentinel Prime dans Transformers 3. S’il est trop tôt pour évaluer correctement la durée de vie du jeu, en revanche il faut noter la présence d’un challenge supplémentaire à l’aventure principale. Il consiste à collecter un nombre précis d’objets secrets disséminés dans le décor, véritables témoins d’une époque tragique (carte postale, bouton d’uniforme, carte d’Etat-Major…). D’ailleurs, ce ne sont pas les seuls puisque de nombreux documents sont offerts au joueur à chaque nouveau niveau. Tels que des photos d’époque, articles de journaux, rappel de faits historiques indispensables pour bien comprendre certain sujets ou événements (comme la présence américaine dans l’armée française ou la bataille de la Marne). Bref, de quoi renforcer encore un peu plus l’expérience de jeu et l’immersion dans l’Histoire…
Découvrir la grande Histoire par l’intermédiaire de petites histoires simples et pourtant terriblement humaines… Voilà ce que semble être le but du studio Ubisoft Montpellier en proposant cette œuvre vidéoludique réalisée avec le cœur et les tripes. Non content de proposer une esthétique stylisée de bande dessinée et un gameplay a priori très accessible, Soldats Inconnus bénéficie également d’un solide cachet d’authenticité, grâce aux recherches historiques minutieuses effectuées par les développeurs. Nul doute, au final, que de nombreux joueurs devraient se laisser tenter par cette émouvante aventure (disponible uniquement en version dématérialisée pour une quinzaine d’euros)…