Ellen Page et Willem Dafoe feront dans moins d'un mois les gros titres du secteur vidéoludique puisqu'ils seront les deux stars de Beyond : Two Souls, 4ème jeu du studio français de David Cage. Pour l'occasion, le créateur délaisse un peu la structure tentaculaire du polar Heavy Rain pour explorer des thématiques bien plus sombres en se concentrant sur un seul et même personnage, suivi sur plusieurs années de sa vie. Qu'en est-il au bout de quelques heures, manette en mains ?
On ne peut décemment pas évoquer la french touch dans le jeu vidéo sans parler du travail de Quantic Dreams, studio français à l’origine du sublime The Nomad Soul, de Fahrenheit et surtout d’Heavy Rain qui incarne actuellement la fine frontière entre le jeu vidéo et le cinéma. Le nouveau bébé du studio de David Cage, Beyond : Two Souls, une exclusivité PS3 fort attendue qui devrait pousser le concept d’ « expérience interactive » à son paroxysme, nous a été prêté sous forme de version preview par Sony, afin que nous puissions nous y essayer au calme sur une dizaine de séquences. L’occasion de tester la bête, mais surtout de vérifier si le titre emprunte à son grand frère le côté « expérience évolutive aux embranchements multiples » qui a fait le succès d’Heavy Rain, un aspect essentiel particulièrement attendu au tournant...
Une histoire de fantômes
Pour ceux n'ayant pas suivi le jeu, Beyond : Two Souls relate une histoire assez singulière. Vous y contrôlez Jodie Holmes, incarnée à l'écran par Ellen Page, à travers plusieurs périodes de sa vie pour le moins extraordinaire. En effet, cette jeune fille pas comme les autres se découvre, très jeune, un don bien particulier puisqu’elle est constamment raccordée à une présence fantomatique, Aiden, avec qui elle entretient une relation plutôt ambiguë. La jeune fille aime se sentir protégée par l’entité, mais souffre de son comportement parfois hostile à l'égard des autres humains, et voudrait bien être « normale » comme toute jeune fille de son âge.
De son côté, Aiden est un être mystérieux, interagissant avec le monde entourant Jodie et lui permettant par exemple de prendre possession d’êtres humains ou de faire un peu de reconnaissance en utilisant son omniscience pour explorer une pièce ou un immeuble dans lequel évolue Jodie. Et comme un tel talent ne passe pas facilement inaperçu, Jodie va très vite se retrouver enrôlée comme enfant-cobaye dans des expériences scientifiques, puis comme agent dans un programme spécial de la CIA, la confrontant au paternel Nathan Dawkins, incarné à l’écran par Willem Dafoe et à une foule de personnages aux motivations douteuses. Sachant toujours tirer son épingle du jeu, notamment grâce à son lien avec Aiden, Jodie va au fil des années s'avérer être une personne talentueuse, inatteignable pour ses ennemis, et n'ayant pour seuls compagnons que sa solitude et son statut de "monstre de foire" aux yeux de ses semblables.
Une structure narrative séquencée et non-chronologique
Soyons clairs dès le début, la version reçue ne couvre qu'une dizaine de séquences du jeu : difficile donc de jauger si cette preview présente une large part du jeu ou s'il ne s'agit là que du commencement. Néanmoins l'aperçu que l'on a de Beyond en terminant la preview une première fois est très satisfaisant. Nous y suivons les pérégrinations de Jodie et d'Aiden, à travers un ensemble de séquences constituant au final un tout épique, immersif et jouant à fond la carte de l'empathie à l'égard de cette petite fille apeurée qui deviendra une talentueuse adulte. Exit l'aventure condensée sur une semaine dans laquelle on incarne plusieurs personnages aux tâches et profils variés, désormais vous suivez une seule et même héroïne durant plusieurs séquences « apparemment indépendantes » et jouées dans le désordre chronologique.
Ce point est essentiel pour notre approche du jeu puisque l'indépendance de ces séquences dans la preview ne permet pas de déceler un véritable impact au niveau de nos choix et des conséquences de nos actions. Nous restons donc un peu sur notre faim concernant l'aspect évolutif de la narration et même si certains choix disponibles durant la preview génèrent des passages différents, on retombe généralement sur le même fil rouge un peu plus loin, avant de passer à une autre séquence de la vie de Jodie. Cela dit, Beyond : Two Souls disposera de 23 fins différentes et l'éditeur assure que les choix auront une réelle importance dans l'approche du scénario. De même, le rythme est censé aller crescendo durant l'aventure, ce qui promet, à terme, une intensité de l'action et de la narration très élevée, si l'on considère la preview comme un simple premier tiers voire un premier quart du jeu final.
Un gameplay repensé
Quantic Dreams a, pour son nouveau titre, repensé le système d'interaction proposé aux joueurs, passant des QTE et des actions contextuelles de toutes sortes à un système plus simplifié. Ainsi, lors des phases d'exploration, le jeu propose désormais au joueur de bouger le stick droit dans une direction précise lorsqu'un point d’intérêt (matérialisé à l'écran par un point blanc sur un objet) est à proximité de Jodie. Le système est efficace et simple d'approche mais frustre quelque peu les amateurs d'Heavy Rain habitués à devoir effectuer des actions millimétrées avec la vitesse et le mouvement adéquat afin d'ouvrir une porte, de se raser, ou de danser en rythme. Certes ces actions contextuelles avaient un intérêt discutable et étaient surreprésentées, mais n'importe qui s'étant pris au jeu vous dira qu'elles renforçaient l'immersion et l'investissement du joueur.
Dans Beyond, la simplification des actions contextuelles permet une plus grande fluidité dans le déroulement de l'action et introduit même un facteur chance dans les combats. Désormais, au lieu d'appuyer au bon moment sur la touche indiquée sur le poing droit de votre ennemi, comme c'était par exemple le cas dans Heavy Rain, vous n'aurez qu'à orienter le stick droit dans la direction que vous pensez adéquate pour esquiver, parer, ou donner un coup à votre ennemi. Évidemment, le temps est ralenti durant cette courte période interactive, mais il arrive tout de même que l'on rate l'action en pensant parer alors qu'il fallait en réalité se baisser. Autant d’éléments qui rendent les séquences de courses-poursuites et les combats intéressants. Petit bémol à ce sujet : la version preview ne présentait pas énormément de challenge au niveau des séquences de combat, et certains passages se sont déroulés « correctement » même en ratant volontairement les actions demandées...
Aiden : Une expérience à part entière...
Si le gameplay global de Jodie apparaît comme très basique et relativement assisté, on prend beaucoup de plaisir à manœuvrer Aiden, l'entité accompagnant l'héroïne. Exit la 3ème personne et la mise en scène hollywoodienne, parfois "too much" avec une caméra laborieuse, non, désormais vous êtes un fantôme ! Cela signifie que vous pouvez passer à travers les murs (certaines surfaces restent toutefois infranchissables), et agir sur l'environnement en toute impunité. Attention tout de même à bien prendre en compte l'aspect dirigiste du jeu : vous ne pourrez agir qu'avec les éléments prévus à cet effet. Néanmoins, deux séquences de jeu ont révélé tout le potentiel jouissif d'un tel gameplay, outre le plaisir de sentir une personne prise de frissons lorsque nous entrons dans sa boîte crânienne.
Un anniversaire très spécial !
La première séquence marquante de cette preview se déroule durant l'anniversaire d'une ado, fête à laquelle Jodie est conviée malgré elle. Un peu gênée et pas forcément à l'aise en public, notre héroïne va avoir plusieurs choix durant la fête : vous pourrez y boire de l'alcool pour la première fois, être ivre et même tirer sur un joint pour vous intégrer dans votre nouveau groupe de copains, mais vous pourrez aussi vous la jouer timide et ne parler à personne, ou danser pour attirer l'attention. Peu après, et surtout peu importe vos choix, le groupe d'ados se retournera contre vous, vous considérera comme une sorcière, et décidera de vous mettre dans un placard sous l'escalier.
Prise de panique, Jodie finira par se libérer, mais vous aurez alors un choix : vous venger ou partir. Bien évidemment, la première chose qu'on décide de faire, c'est de se venger ! Nous prenons alors le contrôle d'Aiden et décidons de faire des misères à ces jeunes irrespectueux, leur jetant divers éléments du décor en pleine poire, et allant même jusqu'à déclencher un début d'incendie. Évidemment, l'issue des deux choix (se venger ou non) revient au même dans le contenu de la preview mais on imagine facilement que de telles décisions permettront de varier la configuration de la trame et influeront ainsi sur des séquences au contenu variable.
Madame l'ambassadeur
La seconde séquence marquante durant cette preview fut la scène de l'ambassade, dans laquelle Jodie infiltre une réception au Moyen-Orient, épaulée par un autre agent de la CIA. Si le gameplay général de Jodie est classique et permettra davantage de profiter de sa robe rouge échancrée, la séquence laisse surtout admirer le travail artistique autour du titre. Il faut bien l'avouer, il existe un décalage assez prononcé entre la qualité de certaines textures et le soin apporté aux visages des personnages principaux, mais l'ensemble reste cohérent, réaliste et agréable. De même, si la motion capture s'avère très réussie pour ces mêmes personnages principaux, on remarque parfois certaines animations cassant un peu l'immersion pourtant si finement amenée.
Mais revenons à notre scène marquante. L’intérêt de la scène est une fois de plus la différence d'approche de l'objectif. En effet, vous pouvez très bien faire la mission comme indiqué, utilisant Aiden à bon escient, mais vous pouvez aussi saboter totalement la mission de Jodie en prenant possession d'un être humain avant de le balancer par-dessus la rambarde du 1er étage. Encore une fois, votre méchanceté et votre curiosité sauront s'exprimer à travers le gameplay d'Aiden, creusant un peu plus la différence d'approche entre l'entité et Jodie. Reste à savoir si les développeurs ont pensé à assez de choses pour rendre la trame unique et inciter le joueur à refaire l'aventure encore et encore pour savourer les petits détails et les embranchements scénaristiques. Une chose est sûre, Beyond : Two Souls s'annonce très complet et enivrant, bien que la version preview ne nous permette pas actuellement de trancher sur les finalités du gameplay ou sur l'importance des choix.
Difficile de juger Beyond : Two Souls sur ces deux ou trois heures de jeu. L'immersion est bien là, la mise en scène est de bonne qualité et le panel de situations abordées est à la fois vaste, atypique et complet. Cela dit, nous émettons quelques réserves quant au "challenge", quasi inexistant durant la preview, sans doute parce que nous ne sommes qu'au début du jeu et que le gameplay, déjà simplifié, n'est pas exploité à 100 %. De même, des questions subsistent au sujet de l'importance des choix et actions et de leur impact sur les événements futurs. La trame étant chronologiquement décousue, les différentes conséquences de nos actions sont difficiles à concevoir. A moins d'un mois de sa sortie, le soft semble toutefois être d'une grande qualité, et nous avons hâte de nous y frotter ! Affaire à suivre !