On n'a jamais rien sans rien. C'est bien ce que vous répétait votre mère quand elle vous demandait d'aller réviser vos leçons ? Par contre, elle ne s'attendait peut-être pas à ce que vous preniez cette maxime au pied de la lettre. Evitez donc d'aller lui dire gaiement que vous êtes sur le point de vous couper un bras ou de sacrifier un petit camarade pour acquérir de fantastiques pouvoirs magiques. Il s'agit pourtant bel et bien du point de départ de Soul Sacrifice.
Vous avez certainement déjà entendu parler de Keiji Inafune. Ce producteur japonais a laissé sa marque sur une foule de jeux estampillés Capcom. De la série des Megaman aux Dead Rising en passant par les Lost Planet et les Onimusha, on le retrouve crédité au générique d'un nombre considérable de titres sortis ces vingt dernières années. Ça ne l'a pas empêché de tenir récemment des propos particulièrement durs concernant l'industrie nippone du jeu vidéo et même de quitter Capcom pour tenter de voler de ses propres ailes. Autant dire que le bonhomme est plutôt attendu au tournant concernant ses nouveaux projets. Pour aller droit au but, il ne lui serait pas pardonné d'accoucher maintenant d'un jeu se contentant de reproduire des recettes trop connues. Ça tombe bien, Soul Sacrifice est tout sauf un titre insipide et paresseux.
Sorcier, un métier qui tache
Vous vous rendrez compte dès le début que vous êtes face à une aventure hors-norme. Vous incarnez un pauvre bougre, prisonnier d'un charnier, condamné à attendre que son geôlier se décide à le sacrifier. On a connu des départs plus joyeux, mais il reste tout de même une lueur d'espoir car vous tombez sur Librom, un livre monstrueux et doté de la parole. Il vous assure que ses pages renferment le secret qui vous permettra de vaincre Magusar, le sorcier qui vous retient. C'est là que les choses se compliquent : certes cet étrange compagnon se révèle être un excellent conteur qui vous apprendra une foule de détails sur ce monde désolé et sur l'histoire de Magusar, mais il ne se contente pas de décrire les événements passés, il vous les fait vivre. Chapitre après chapitre, vous allez ainsi vous retrouver dans les bottes d'un autre sorcier dont le destin était lié à celui de Magusar. Concrètement, le livre vous plonge dans une succession de combats épiques entrecoupés de récits bénéficiant d'une narration travaillée. De cette manière, on s'imprègne très vite de l'ambiance délicieusement glauque du jeu. Bref, on baigne dans le sang et dans les larmes, mais on en redemande.
Vous aurez bien compris que ce fameux livre se propose de vous initier à la sorcellerie. Les sortilèges de Soul Sacrifice répondent pour commencer à un principe de réciprocité : il faut forcément passer par une perte pour profiter d'un gain. Comprenez par là que les différents sorts sont associés à des objets et que vous pouvez totalement détruire ces supports physiques à force de les utiliser. Le tout est donc de prendre soin de recharger régulièrement les objets en question pour ne pas se retrouver en panne sèche au beau milieu d'un combat. Histoire de rendre les choses un peu plus intéressantes, il est recommandé d'associer les offrandes entre elles afin de créer des artefacts de plus en plus puissants. Il est en effet hors de question de trimbaler tout votre inventaire lors des combats, vous êtes limité à six objets. Il existe bien entendu une panoplie de sortilèges différents, certains transforment votre bras en véritable arme, d'autres permettent de retrouver un peu de vie, de lancer des projectiles, de faire apparaître une épée ou encore d'invoquer un golem. Cerise sur le gâteau, ces sorts ont généralement des vertus élémentaires. Un ennemi de type poison sera ainsi plus vulnérable aux attaques de type feu. Avec un peu d'ingéniosité, vous parviendrez même à trouver des façons de combiner ces éléments pour profiter d'effets supplémentaires ravageurs.
Un choix permanent entre la vie et la mort
Vous imaginez bien qu'un sorcier ne se bat pas contre des ennemis ordinaires, les adversaires qui se dressent devant lui sont généralement des animaux ou des personnes transformés en monstres par le truchement d'une sombre sorcellerie. Une fois que vous avez vaincu votre adversaire, deux choix s'offrent à vous : soit l'épargner pour regagner un peu de vie, soit le sacrifier pour rendre un peu de pouvoir aux artefacts qui vous permettent de lancer des sorts. Ce choix n'est pas à prendre à la légère puisqu'il vous permet aussi de mettre la main sur différentes ressources qui seront ensuite utilisées pour ajouter des runes au bras avec lequel vous faites votre magie. Pour aller plus loin, c'est aussi de cette façon que vous aller prendre de l'expérience. Ici le système de niveaux est très particulier : il vous faudra au final répartir un total 100 niveaux entre la vie et la magie. A vous donc de sacrifier ou d'épargner en fonction de si vous comptez favoriser votre puissance offensive ou votre défense. Rassurez-vous, il est aussi possible de perdre quelques niveaux dans une des deux catégories, histoire de doser sa propre alchimie, mais il vous faudra pour cela utiliser les précieuses larmes laissées par Librom. Si le fait de sacrifier quelques rats ne devrait pas vous poser trop de problèmes moraux, vous risquez d'être un peu plus réticent lorsqu'il s'agira de monstres plus imposants qui sont en réalité des sorciers qui ont mal tournés. Arriverez-vous à mettre à mort ces pauvres bougres qui implorent votre clémence ? Attention, vos choix auront non seulement une répercussion sur le gameplay, mais ils peuvent aussi modifier une bonne part du scénario.
Si Soul Sacrifice porte aussi bien son nom, c'est qu'il introduit la notion de sacrifice dans tous les éléments de son gameplay. Vous avez compris que l'on gagne des pouvoirs magiques en sacrifiant des objets ou des ennemis, mais ça ne s'arrête pas là. En effet, si vous êtes acculé et que vous voulez vous sortir d'un très mauvais pas, vous pouvez aussi choisir de sacrifier une part de vous-même. Il ne faut pas prendre la formule à la légère, il s'agit vraiment de se défaire de sa peau, d'un bras ou de ses yeux pour lancer une attaque aussi impressionnante que redoutable. Il faut bien calculer son coup car les conséquences sont généralement assez rudes. Le fait de perdre sa peau par exemple entraînera un méchant handicap en matière de défense, non seulement pour la fin du combat mais aussi pour tous les autres qui suivront. Ces effets ne sont pourtant pas tout à fait irrémédiables, vous pouvez toujours utiliser les larmes récoltées directement sur le gros œil de Librom pour vous régénérer. Mais attention, le coût de l'opération sera de plus en plus élevé. Dans le même esprit, lorsque l'un de vos compagnons est à terre, vous avez toujours le choix entre lui donner un peu de votre énergie vitale ou au contraire l'achever pour réaliser un sortilège extrêmement puissant. Encore une fois, il est toujours possible de faire revivre un allié ainsi sacrifié, mais le coût en larmes devrait vous amener à y repenser à deux fois...
Plus on est de fous, plus on trucide
Vous vous en doutez peut-être, il est plutôt déconseillé de sacrifier ses compagnons de route dans le cadre de l'histoire principale. A la fin de la mission, on vous expliquera alors gentiment que les faits ne se sont pas tout à fait déroulés de cette manière et qu'il vous faut donc désormais refaire le tout sans oublier de ramener l'allié vivant. Mais heureusement, Soul Sacrifice ne se cantonne pas à sa trame principale, le titre est riche de quêtes annexes qui font finalement tout le sel du titre. C'est ainsi que vous aurez l'occasion de croiser d'autres sorciers ayant chacun une histoire qui leur est propre, mais aussi un mode intitulé Pactes d'Avalon qui vous permettra d'embaucher les sorciers en question pour partir vers de nouvelles aventures. Et si la narration est incroyablement bien travaillée, Soul Sacrifice parvient finalement à nous tenir en haleine tout simplement en proposant un contenu suffisamment riche. J'espère que vous voyez venir le pot aux roses, la meilleure façon d'explorer ce contenu c'est évidemment de le faire avec des amis.
Si Soul Sacrifice est un bon jeu en solo, ça devient une vraie tuerie en multi. Vous pouvez inviter jusqu'à trois compagnons à vous rejoindre en ad-hoc ou en ligne. C'est seulement à ce moment-là que vous profiterez pleinement du titre. En effet, vous pourrez alors élaborer des stratégies plus complexes permettant de bénéficier de la complémentarité entre les sorts de différents éléments. Rien ne vous empêche non plus de spécialiser l'un des membres du groupe dans le heal, de désigner un tank et de demander au troisième de faire des dégâts à distance... Bien entendu, là où les choses deviennent un peu plus intéressantes, c'est lorsque l'un de vos compagnons tombe à terre. Quel va être votre choix ? Perdre quelques précieux points de vie pour le relever ou le sacrifier pour déclencher un sort extrêmement puissant ? Méfiez-vous, c'est typiquement le genre de situations qui peut mettre à mal une amitié... Vous aurez compris que c'est justement en multijoueur que la notion de sacrifice prend tout son sens : là il ne s'agit pas d'abréger les souffrances d'un simple PNJ mais bel et bien de jouer avec la vie de l'avatar d'un autre joueur. Bref, Soul Sacrifice vous permettra peut-être de découvrir si vous et vos amis êtes plutôt portés sur le sadisme ou sur l'altruisme.
Points forts
- Une ambiance qui vous prend aux tripes
- Une narration parfaitement maîtrisée
- Des choix cornéliens constants
- Un concept particulièrement original
- Un multijoueur jouissif et surprenant
Points faibles
- Un aspect bashing qui peut rebuter certains joueurs
- Des graphismes qu'on aurait aimé plus fins
On pouvait craindre que ce Soul Sacrifice ne nous propose finalement qu'une mauvaise copie de la recette éprouvée depuis des années par la série des Monster Hunter, mais rassurez-vous, il n'en est rien. Si les combats en coop contre des monstres titanesques constituent bel et bien le cœur du jeu, le tout profite d'un gameplay bougrement original qui vous demandera de faire constamment des choix cornéliens. Ajoutez à cela une atmosphère délicieusement glauque qui vous plonge la tête la première dans un bain de sang et de larmes, et vous obtenez un titre qui risque de vous scotcher à votre petite Vita de longues heures durant.