L'histoire de la pucelle d'Orléans a beau avoir déjà eu droit à plusieurs adaptations en jeux vidéo, il faut bien avouer que le jeu de rôle tactique japonais n'est pas la catégorie où l'on s'attendrait spontanément à la rencontrer. C'est pourtant le choix fait par Level-5, avec cette mouture PSP d'une partie de notre histoire de France, bien plus réussie qu'on aurait pu s'y attendre.
Le ton est donné dès le début du jeu : on n'assistera pas ici à une retranscription fidèle du fait historique, mais bien à son arrangement à la sauce typique des animés japonais. Alors que la guerre fait rage entre la France et l'Angleterre, Jeanne, jeune fille insouciante, mène une petite vie tranquille dans le village français de Domrémy. Tandis qu'elle effectue une course pour son père hors du village, celui-ci est soudainement attaqué par les troupes anglaises assistées par une horde de monstres directement issus du bestiaire de la Fantasy. Pendant que les orcs et autres créatures se chargent de détruire le patelin, un cheval monté par un chevalier fait irruption devant la jeune fille et laisse choir son propriétaire, visiblement pas au mieux de sa forme. C'est en fouillant le corps du décédé que Jeanne y trouve un bracelet, vraisemblablement une relique d'une guerre passée, qui vient se fixer de son propre chef sur son poignet. Mais la surprise ne s'arrête pas là, puisque les suppliques de notre héroïne devant sa propre impuissance vont réveiller une voix sortie du bracelet, qui lui enjoindra d'utiliser sa force pour se débarrasser des intrus. Après une séquence qui n'est pas sans rappeler la transformation d'une Magical Girl, Jeanne se retrouve affublée d'une armure et d'une épée imposante qui lui permettront de se défaire sans difficultés de ses ennemis. Bien décidée à mettre ses nouveaux pouvoirs au service de sa vengeance, et par extension à celui de l'armée française, Jeanne décide de rejoindre le front en compagnie des deux seuls survivants de l'attaque.
Si l'idée de départ, calquée sur l'Histoire avec un grand H, est assez inédite, il faut reconnaître que le reste l'est beaucoup moins. On a beau rencontrer des personnages historiques tels que le Dauphin Charles, le roi Henry VI d'Angleterre, ou encore la Hire, le tout est tellement décalé qu'on a peine à le prendre au sérieux. D'autant plus quand les stéréotypes franchouillards viennent s'en mêler, notamment en ce qui concerne les dialogues doublés en anglais avec un accent français volontairement forcé. Les «Zut, Monsieur» et autres interjections intempestives sont marrantes cinq minutes, mais lorsque débarque la grenouille bleue sobrement nommée Cuisse, on se dit qu'ils sont peut-être allés un peu loin. Les clichés des jeux de rôle japonais ne sont pas en reste non plus, et donnent un sérieux décalage avec le propos, comme lorsque Jeanne décide de troquer sa lourde armure pour un justaucorps moulant pour passer inaperçue, en plein Moyen Age, rappelons-le. Même constat pour les transformations de l'héroïne et de ses compagnons, qui fort heureusement jouent un rôle important dans le système de combat.
Reprenant à première vue l'ensemble des codes du genre, à savoir des déplacements au tour par tour d'unités sur un damier, les combats offrent suffisamment de petits ajouts pour rester innovants et garantir un attrait à long terme. Chaque attaque a par exemple comme effet d'émettre derrière la cible un halo de lumière augmentant les caractéristiques du personnage occupant la case, ce qui permet, avec un minimum de planification, de vaincre des cibles plus rapidement qu'à l'accoutumée. Surtout, c'est l'apport des transformations citées ci-dessus que vous devrez maîtriser. En combat, après avoir accumulé un certain nombre de points octroyés à chaque tour, Jeanne peut utiliser son bracelet et se transformer en formidable guerrière disposant de pouvoirs accrus, comme la possibilité d'agir à nouveau immédiatement après l'élimination d'un ennemi, et transforme donc son apparente témérité face aux situations perdues d'avance en un véritable potentiel offensif. Le système est d'ailleurs partagé par quelques autres personnages, élus comme elle. Ces transformations sont limitées dans le temps et devront être utilisées avec parcimonie. Les pouvoirs se développeront au cours du jeu, permettant d'utiliser en un seul combat plusieurs types de transformations, multipliant ainsi les possibilités tactiques. Cela a par contre pour effet de déséquilibrer l'intérêt en combat des différents personnages, ceux non touchés par la grâce divine devenant pour une grande partie du jeu bien moins efficaces. Heureusement, certaines unités tirent leur épingle du jeu par des caractéristiques plus élevées ou la possibilité de combattre à bonne distance de l'ennemi. On obtient ainsi un système simple, mais néanmoins complet.
Il faut noter que les différentes batailles entraînent le joueur à combattre dans divers paysages, des châteaux aux toits des villes françaises, en passant par des plaines traversées par des cours d'eau, qui offrent chacun son lot de spécificités topologiques. Libre au joueur de les utiliser à son avantage en plaçant par exemple ses archers bien à l'abri sur la rive opposée d'une rivière pour vaincre les hordes ennemies sans risque, même si la diversité des situations offertes viendra régulièrement briser votre stratégie bien huilée. En effet, le jeu place souvent le groupe devant des événements moins classiques qu'une simple guerre ouverte. Les renforts ennemis pourront ainsi être constants jusqu'à ce que vous abattiez leur leader, vous devrez parfois faire traverser la carte à vos personnages, ou encore vous devrez garantir la sécurité d'un autre. En outre, chaque combat est soumis à une limite de temps entraînant un game over direct si vous jouez les lambins. Le jeu est donc loin d'être difficile et pas forcément exigeant en termes de stratégie, mais demande quand même une attention régulière et un maintien à jour des nombreux équipements et techniques pour éviter les mauvaises surprises.
A côté de ça, on peut se réjouir des efforts cosmétiques consentis par le développeur. En plus des très belles cinématiques animées venant fréquemment ponctuer le récit, les sprites des unités en combat sont représentées en 3D et leurs animations sont assez fines pour le souligner. On n'échappe malheureusement pas à des choix de design douteux dans le casting, où animaux anthropomorphes côtoient des personnages directement échappés de la dernière fashion week parisienne. Encore une fois, le mélange des genres donne un résultat assez curieux, mais pas franchement désagréable. Comme on l'a vu, le soft a tendance à jouer sur plusieurs tableaux mais il parvient toutefois à ne pas trop se disperser. On a beau savoir à l'avance où nos pérégrinations mènent la donzelle, il se pourrait bien que certains rebondissements scénaristiques viennent agréablement surprendre les joueurs. Au final, malgré quelques passages à vide et des stéréotypes rapidement énervants, ce jeu disponible uniquement en import se révèle être une meilleure pioche que ce à quoi on aurait pu s'attendre.
- Graphismes14/20
Si on passe sur les incohérences de design, force est de constater que Jeanne d'Arc s'en tire relativement bien sur le plan graphique pour un T-RPG sur PlayStation Portable. Les scènes animées sont bien réalisées, de même que les portraits dynamiques des personnages au fil des dialogues et les modèles des unités en et hors combat.
- Jouabilité15/20
La base du système de combat est tout ce qu'il y a de classique, mais les nombreuses subtilités rendent le tout suffisamment solide pour justifier l'achat. Toutefois, on déplorera peut-être les trop fréquents pièges imprévisibles sous forme de scripts qui peuvent rendre compliquées certaines situations dans un jeu d'une difficulté habituellement en dessous de la moyenne.
- Durée de vie15/20
L'aventure principale peut paraître un peu courte (pour un T-RPG s'entend), mais en ajoutant les batailles annexes et le post-game, vous pourrez compter sur une bonne trentaine d'heures de jeu sans trop de temps morts.
- Bande son14/20
Les musiques du jeu sont globalement d'assez bonne facture. Les dialogues sont intégralement doublés en anglais, mais risquent toutefois d'agacer rapidement par leur propension à forcer l'accent français et les expressions toutes faites.
- Scénario13/20
Une fois passée la curiosité de l'idée de départ relativement inédite, on retombe rapidement dans des développements scénaristiques vus et revus. Fort heureusement, la narration –bien plus mature que les graphismes pourraient le laisser supposer– réussit ponctuellement à se réveiller pour remettre un peu d'attrait sur ce qui aurait pu devenir soporifique.
L'un dans l'autre, Jeanne d'Arc parvient, sans rien réinventer du genre, à proposer une expérience solide, agrémentée de quelques bonnes trouvailles. Si le scénario est assez inégal, on suivra l'histoire sans trop se prendre la tête et en profitant des quelques rebondissement distillés ça et là pour en relancer l'intérêt. Un jeu finalement assez honnête.