Il n'y a rien de pire qu'un fan déçu. C'est ce que devrait apprendre à ses dépens le studio Overhaul Games, responsable d'une Baldur's Gate : Enhanced Edition loin d'être à la hauteur des ambitions affichées.
Retour en 1998. Alors que les inconditionnels de Advanced Dungeons & Dragons s'adonnent depuis 10 ans aux productions vidéoludiques de SSI (Pool of Radiance et consorts), un certain Bioware leur propose une nouvelle incursion dans les Royaumes Oubliés. Le studio canadien ne le sait pas encore, mais il vient de propulser le RPG informatique dans l'ère moderne et de gagner le respect éternel de tous les rôlistes. Baldur's Gate est en effet l'adaptation la plus ambitieuse, la plus respectueuse et la plus enthousiasmante jamais créée. A l'instar de la version papier, elle offre au joueur le choix entre une multitude de races et de classes possibles, et lui propose de gérer un groupe de 6 personnages, ce qui lui donnera l'occasion de recruter des compagnons aux spécificités complémentaires mais aux motivations parfois antagonistes. Le vaste terrain de jeu en 3D isométrique, qui affiche des environnements détaillés, cycle jour/nuit et conditions météo à l'appui, est propice à l'exploration, aux rencontres et aux quêtes de toutes sortes. Enfin, les combats en temps réel offrent une option de pause tactique qui permet d'utiliser au mieux la grande variété de sorts et de compétences disponibles. Tous ces points forts, qui font de Baldur's Gate un classique instantané, seront repris par d'innombrables jeux du genre, dont sa propre suite qui viendra améliorer le concept deux ans plus tard. Plus riche et plus intense, elle souffre toutefois d'une linéarité prononcée et d'un aspect "grosbill" qui pousseront certains à lui préférer son prédécesseur. Le premier épisode mise en effet sur un univers ouvert où la mort guette le voyageur imprudent à chaque détour de chemin. Quel plaisir que de débuter avec un personnage de niveau 1, lâché dans la nature avec une épée rouillée et une poignée de points de vie, à la merci du premier loup venu !
Quand Beamdog, une plate-forme de distribution digitale fondée par Trent Oster (ex-Bioware), a levé le voile au mois de mars dernier sur son remake du premier Baldur's Gate, cette annonce a évidemment cristallisé les attentes des fans, attristés par la disparition de cette forme de jeu de rôle à l'ancienne (qui pourrait toutefois faire son retour grâce à des projets Kickstarter comme Wasteland 2 ou Project Eternity). Mais les promesses étaient peut-être trop belles, et les espoirs trop importants : c'est le constat qui s'impose après avoir téléchargé ce Baldur's Gate Enhanced Edition, disponible uniquement sous forme digitale et prévu sur tablettes iOS et Android. Pour commencer, le statut même d'édition "augmentée" n'a rien d'une évidence. Le jeu que vous avez bien connu reste ici essentiellement le même, y compris sur le plan visuel. A l'heure où fleurissent les remakes HD destinés à offrir une seconde jeunesse à des titres qui ont marqué leur époque, les graphismes de cette Enhanced Edition n'ont pas bougé d'un iota, ou presque. Le rendu a certes été adapté aux résolutions actuelles et aux formats wide (le 640*480 d'origine est remplacé par la résolution par défaut de votre écran, sachant que les options graphiques sont aux abonnés absents), et il intègre la refonte de l'Infinity Engine dont avait profité Baldur's Gate II (effets visuels, moteur physique et interface améliorés). Mais c'était là le minimum syndical vu que de nombreux mods en font autant depuis bien longtemps. Ceci étant, il faut reconnaître que contrairement à la full 3D d'un Neverwinter Nights, les graphismes en 3D isométrique et les décors peints à la main d'un Baldur's Gate n'ont pas trop mal vieilli. A côté de ça, on "profitera" de cut-scenes refaites dans un esprit plus cartoon et d'une fonction de zoom parfaitement inutile au vu de la pixellisation qu'elle engendre.
C'est un peu le même constat, mi-figue mi-raisin, que l'on est amené à dresser en matière de jouabilité. Il est appréciable de pouvoir bénéficier d'un tutoriel interactif, de menus plus complets (le format panoramique permet d'augmenter les informations sans trop alourdir l'interface) ainsi que d'une création de personnages qui a gagné en clarté - chose nécessaire dans la mesure où elle inclut désormais les races et les classes supplémentaires ainsi que les spécialisations apparues dans le Baldur's Gate II. Mais pour le reste, c'est un peu la douche froide, surtout quand on constate que les défauts présents dans la version d'origine du jeu n'ont pas été corrigés : le pathfinding est toujours aussi désastreux, les déplacements des personnages sont toujours aussi lents et le scrolling est plus saccadé que jamais. Qui plus est, la qualité de votre expérience de jeu sera visiblement fonction de votre machine : alors qu'elle s'avère très correcte sur certains PC, elle se voit inexplicablement entachée, sur d'autres, de bugs plus ou moins pénibles (problèmes de lancement, crashs, bugs graphiques...). Il faut toutefois reconnaître qu'Overhaul Games travaille d'arrache-pied à les résoudre : les patchs se succèdent, le plus récent ayant réintroduit les doublages en anglais en attendant le retour des voix françaises (qui avaient été purement et simplement supprimées !). On espère notamment que le multijoueur intégrera au final, comme promis, la possibilité de jouer en ligne sans devoir se farcir la saisie d'une adresse IP ! On se rend bien compte que l'équipe de développement a eu du mal à respecter à la fois ses promesses et son calendrier. Voilà qui a un goût amer pour qui s'est acquitté des 20 dollars demandés, d'autant que la majorité des améliorations de confort, on le répète, existaient déjà à l'état de mods gratuits.
Du coup, le contenu supplémentaire intégré dans cette Enhanced Edition suffit-il à en motiver l'achat ? Précisons d'abord qu'elle inclut à la fois le jeu de base et son extension, Tales of the Sword Coast. Elle offre aussi la possibilité d'enrôler 3 personnages supplémentaires, dotés chacun de ses spécificités. Rasaad yn Bashir, un moine humain, vous entraîne dans une zone inédite, les Pics Nuageux. La rencontre avec Neera, une magicienne demi-elfe, vous vaudra pour l'occasion une romance. Quant à Dorn Il-Khan, le guerrier semi-orque, il vous ouvre l'accès à une classe de prestige, le blackguard. On peut croiser en début de jeu ces recrues potentielles, dotées toutes les trois d'une quête personnelle dans l'esprit de celles de Baldur's Gate II, dialogues bien écrits à l'appui. Une nouvelle "aventure", totalement indépendante de celle du jeu de base, a également été ajoutée. Intitulée The Black Pits, elle consiste hélas en une simple série de combats en arène entrecoupés de retours au marchand afin d'optimiser son petit groupe. Ce qui devrait plaire aux joueurs intéressés avant tout par les combats, laissera de marbre les autres. On attendait tout de même quelque chose de plus consistant de ces nouveaux contenus, qui s'apparentent davantage à des amuse-gueules sans véritable valeur ajoutée. Heureusement que la Côte des Epées saura vous offrir des dizaines et des dizaines d'heures d'aventure toujours aussi passionnantes et que les nombreuses réserves mentionnées dans cet article n'enlèvent rien aux immenses qualités de Baldur's Gate. Mais que vous ayez déjà joué ou non à ce grand classique, on ne voit pas très bien comment on pourrait vous conseiller cette édition qui n'a d' "augmenté" que le prix, et que vous ne devez surtout pas acheter les yeux fermés, surtout si vous êtes un adepte du modding !
- Graphismes9/20
Baldur's Gate n'a rien perdu de ses qualités artistiques, mais sa peinture avait besoin d'être un peu rafraîchie. Hélas, vous n'aurez droit ici qu'à une prise en compte des résolutions modernes et des écrans larges, sans même qu'aucune option graphique ne vous soit proposée. A côté de ça, les nouvelles cut-scenes et la fonction de zoom sont d'une parfaite inutilité.
- Jouabilité13/20
Là encore, le travail de dépoussiérage n'a été effectué qu'à moitié. On apprécie la légère refonte de l'interface et l'intégration d'améliorations issues de Baldur's Gate II, mais le pathfinding et le déplacement peu fluide des personnages auraient dû être corrigés. Heureusement, le gameplay reste pétri d'immenses qualités.
- Durée de vie14/20
Qu'il s'agisse des 3 personnages supplémentaires à recruter ou de l'aventure indépendante intitulée The Black Pits, les ajouts sont aussi sympathiques qu'anecdotiques tant ils manquent de consistance. On peut heureusement compter sur l'énorme durée de vie du jeu et de son extension, Tales of the Sword Coast.
- Bande son12/20
Les thèmes musicaux et les bruitages remastérisés contribuent plus que jamais à vous immerger dans cette aventure épique. On déplore par contre l'absence des doublages en français, qui se fait cruellement sentir : ils n'étaient peut-être pas très bons, mais ils restent indissociables du jeu !
- Scénario8/20
Les nouveaux compagnons n'ont pas le charisme des anciens, et leur background abonde de clichés, mais ils bénéficient tout de même de dialogues bien écrits, dans l'esprit du jeu original. La nouvelle aventure, The Black Pits, n'a par contre, scénaristiquement parlant, aucun semblant d'intérêt.
Manque de temps et de moyens, ou volonté de profiter sans trop se fouler de l'aura de Baldur's Gate ? Toujours est-il que cette Enhanced Edition fait peine à voir. Difficile de la conseiller aux néophytes, tant le travail de restauration est à peine ébauché. Difficile de la recommander aux fans, qui, en l'absence de véritable valeur ajoutée, préféreront se tourner vers un modding à la fois gratuit et plus ambitieux. Dans l'absolu, elle s'adresserait donc à ceux qui ont jadis apprécié le jeu mais ne parviennent plus à remettre la main sur la boîte. Malgré tout, Baldur's Gate : Enhanced Edition, c'est un peu comme Imoen : les deux sont exaspérants et pas forcément indispensables, mais c'est si bon de les revoir !