Après avoir démocratisé les jeux de stratégie en temps réel avec Warcraft, Blizzard s'attaque en 1996 au hack'n slash. Déjà représenté par quelques illustres titres tel Gauntlet et Rogue : The Adventure Game, ce type de jeux de rôle orienté action n'est pas encore parvenu à toucher un large public. Avec Diablo, le studio compte bien changer la donne et offrir aux joueurs une expérience de jeu unique. Les développeurs sont encore loin de se douter qu'ils marqueraient l'histoire vidéoludique à jamais.
La vie est faite de rencontres et celle qui se produit avec le studio Condor Software offre un tournant majeur dans l'épopée de Blizzard. Travaillant sur un projet secret inspiré de Rogue : The Adventure Game, les frères Schaefer et David Brevik du jeune studio Condor sont contactés par Blizzard qui croit fortement en leur soft naissant. Afin d'aider dans le développement de Diablo, Blizzard offre un solide soutien logistique ce qui permit au studio d'intégrer de nouvelles fonctionnalités à son jeu tel un système de combat en temps réel et un mode de jeu multijoueur en ligne. Après de nombreux mois de travail acharné, le soft voit enfin le jour en 1996 sous l'emblème Blizzard North, nouveau nom du studio Condor Software qui est alors racheté par Blizzard pour l'occasion.
Diablo est un jeu de rôle s'inscrivant dans un univers médiéval-fantastique mature et réaliste qui tranche clairement avec l'ambiance ronde et colorée de Warcraft. Avec ses graphismes sombres et glauques à souhait, le soft vous plonge dans un monde troublé et pourvu d'une atmosphère pesante. En effet, durant toute l'aventure, vous évoluerez dans une obscurité omniprésente seulement troublée par quelques sources lumineuses discrètes et magistralement gérées par le moteur graphique qui offre du coup un rendu particulièrement bluffant.
Après une première scène cinématique aussi mystérieuse qu'effrayante, vous aurez à choisir votre personnage entre les trois héros disponibles dans le mode Solo : un guerrier, une archère ou un magicien. Chacun affiche des attributs spécifiques. Alors que le guerrier excelle dans le combat au corps-à-corps grâce à une force et à une vitalité élevées, l'archère préfère les affrontements à distance à l'image du magicien qui compense sa faiblesse physique par des sorts dévastateurs. Ainsi, le jeu offre trois types de gameplays bien distincts permettant à chacun de trouver son bonheur. Sachez toutefois que le guerrier très rentre-dedans est beaucoup plus simple à prendre en main que le magicien qui demande pour sa part plus de tactique pour éviter le choc frontal avec les nombreux monstres. L'archère, quant à elle, est un compromis entre ces deux classes : elle offre une résistance moyenne et des dégâts à distance assez élevés.
L'aventure débute dans la seule et unique ville du jeu, Tristram, qui est en proie à de nombreux troubles depuis quelque temps. Les rumeurs évoquent le réveil d'un démon extrêmement puissant, nommé Diablo le Seigneur de la Terreur, alors emprisonné dans les entrailles du monastère de la cité. Les villageois vous chargent d'enquêter sur ces évènements inquiétants qui font mention de la disparition de plusieurs d'entre eux. Après avoir récupéré les premières quêtes auprès des personnages croisés dans le village, vous êtes finalement convié à vous engouffrer dans l'entrée de l'abbaye qui vous conduit au seul et unique donjon du jeu. Rassurez-vous, l'immensité de ce dernier aura de quoi vous divertir un sacré moment puisqu'il s'étale sur seize niveaux répartis en quatre zones : l'église, les catacombes, les caveaux et l'Enfer. Chaque palier se subdivise en des dizaines de salles obscures que l'aventurier peut parcourir comme bon lui semble et de manière totalement libre. Derrière la plupart des portes, se cachent tapies dans l'ombre, des hordes de squelettes, chauves-souris, zombies, esprits déchus, et autres abominations tout droit sorties de l'Enfer. Votre but sera bien sûr de vous frayer un chemin à travers ces souterrains inhospitaliers afin d'en dénicher tous les secrets et de tenter de vaincre Diablo et ses innombrables sbires.
Le soft se distingue de ses pères par un gameplay aussi simpliste qu'innovant. Basés sur un moteur 3D isométrique, les déplacements et les attaques s'effectuent avec les deux boutons de la souris, ce qui à l'époque était une véritable révolution pour le genre alors habitué aux touches du clavier. En effet, pour attaquer une cible il vous suffit de faire un clic gauche dessus. Votre personnage se dirige vers l'ennemi sélectionné et lui inflige une attaque. Pour le frapper à nouveau, vous devrez néanmoins renouveler cette action, Diablo n'intégrant pas de système d'attaque automatique. Quant au bouton droit de la souris, il vous donne la possibilité d'utiliser une compétence spéciale ou une magie placée dans l'encart de lancement rapide de l'interface. En accédant à votre livre de sorts, vous aurez alors tout le loisir de choisir lequel sera assigné au bouton droit de la souris. Pour obtenir de nouveaux sorts, vous devrez débusquer des livres dans les bas-fonds du donjon et avoir suffisamment de points en Magie pour pouvoir en apprendre les arcanes. La vingtaine de sortilèges disponibles comportent chacun quinze rangs qui au fil de leur augmentation influe sur leur puissance et leur coût en mana. Pour passer au rang supérieur, vous devrez trouver un nouveau livre du même nom et procéder à son apprentissage. Plus le rang du sort est élevé, plus il vous faudra des points de Magie pour pouvoir l'assimiler.
Cette corrélation entre les sorts et les caractéristiques de votre personnage est également valable pour les autres équipements que sont les armes et les armures. Alors qu'un niveau élevé de Force vous sera demandé pour utiliser des épées, haches et autres masses, des points de Dextérité seront prérequis pour cribler de flèches vos ennemis avec les arcs (courts ou longs) présents dans le jeu. Idem pour les armures les plus solides qui nécessiteront une forte Vitalité afin d'en supporter leur poids. Ainsi, vous comprendrez aisément que le Magicien, qui par défaut dispose de beaucoup de points de Magie, sera plus enclin à apprendre des sorts puissants que le Guerrier qui en possède beaucoup moins. Toutefois, Diablo ne vous enferme pas dans un archétype prédéfini puisqu'il est possible d'assigner vos points de statistiques comme vous le souhaitez. Votre personnage, débutant au niveau 1, peut évoluer jusqu'au niveau 50 en tuant les monstres présents dans le donjon afin de glaner des points d'expérience. Chaque niveau de personnage nécessite un nombre de points d'XP fixe qui augmente cependant à mesure de votre progression. Une fois un nouveau niveau atteint, vous obtenez 5 points à répartir librement dans les quatre caractéristiques primaires (Force, Magie, Dextérité, Vitalité), les autres critères sont quant à eux influencés soit par les bonus des équipements, soit indirectement par les caractéristiques de base. Ainsi, un Guerrier qui habituellement investira des points en Force et Vitalité pourra tout à fait répartir des points en Magie pour obtenir quelques précieux sorts comme celui qui permet de se soigner ou d'invoquer un mur de feu. Cependant, ne comptez pas atteindre le rang 15 des sorts appris, car chaque classe comporte un cap maximum pour les différentes caractéristiques collant à son profil de base.
Un autre moyen existe pour augmenter la puissance de son personnage, il s'agit des tombeaux (shrines) représentés par une croix blanche accrochée au mur de certaines salles. Les profaner libère une bénédiction qui vous octroie diverses améliorations ou bonus tant au niveau des statistiques, que de vos sorts ou même de vos objets (réparation, remplissage des coffres précédemment vidés, etc.). Néanmoins, l'effet obtenu n'est jamais explicitement décrit en jeu, il vous reviendra alors de décrypter le sens d'une citation énigmatique pour connaître votre récompense.
Le leveling et l'équipement dans Diablo revêtent un aspect central car à mesure que vous vous enfoncerez dans les sous-sols du monastère, vos guenilles vous servant d'équipement de départ ne feront pas le poids face aux monstres toujours plus nombreux et puissants que vous rencontrerez. Il vous faut donc fouiller chaque coffre, sarcophage et dépouille ennemie à la recherche de meilleurs équipements et de précieuses pièces d'or permettant de faire des achats auprès des marchands du village. Il est en effet possible de librement sortir du donjon pour aller vendre ou acheter de l'équipement. Et vu le faible nombre d'emplacements dans l'inventaire, les allers-retours seront assez nombreux. Fort heureusement, ce fardeau pourra être soulagé grâce à la création d'un portail magique qui vous téléportera directement au sein du village et vous permettra de retourner au cœur du donjon. Ce sort peut être utilisé soit grâce au parchemin à usage unique, soit par son apprentissage via le grimoire associé.
La principale originalité de Diablo provient de son système de génération aléatoire de contenu. En effet, à chaque nouvelle partie, tous les paliers du donjon voient leurs structures générées aléatoirement. Ainsi, la disposition et l'organisation des salles sont complètement différentes d'une partie à l'autre. Egalement, alors que les monstres déjà vaincus ne réapparaissent pas lors de votre partie, l'intégralité du donjon et des quêtes peuvent être réinitialisées en choisissant l'option « New Game » avec votre personnage. Le héros conserve néanmoins l'expérience acquise ainsi que ses objets obtenus précédemment. L'intérêt de ce système réside dans la possibilité de faire croître la puissance de votre avatar avant d'entamer les niveaux inférieurs du donjon où les ennemis seront beaucoup plus puissants. Autre intérêt, le fait de réinitialiser l'aventure vous donne accès à de nouvelles quêtes et à de nouveaux objets car les marchands sont également affectés par ce mécanisme et voient leur stock généré aléatoirement. Cependant, profiter de ce système n'est pas une obligation puisque vous avez aussi la possibilité de reprendre l'aventure où vous l'aviez arrêtée en chargeant votre sauvegarde. A ce propos, le soft vous permet d'enregistrer votre progression à n'importe quel moment et autant de fois que vous le souhaitez.
Le système d'objets n'est pas non plus exempt d'originalité puisqu'il intègre deux concepts novateurs pour l'époque : la durabilité et la qualité. En effet, chaque objet se voit affublé d'une durée de vie représentée par un score sous forme de fraction. Le numérateur décroît à mesure de l'utilisation de l'objet jusqu'à atteindre 0 le rendant inutilisable. Le dénominateur diminue, lui, à chaque réparation effectuée auprès d'un forgeron ou grâce à la compétence du Guerrier. Dès lors, vos équipements ne sont pas éternels et s'usent à mesure de votre progression, vous obligeant à les remplacer fréquemment. A moins, bien sûr, de dénicher des objets rares de qualité supérieure qui sont alors pour certains indestructibles. Ces derniers comportent aussi des bonus de statistiques qui devront parfois être « identifiés » grâce à un parchemin ou via le magicien du village.
Autre élément marquant, l'interface en bas de l'écran, particulièrement intuitive et pratique qui permet d'accéder en un clic aux statistiques du personnage, journal de quêtes, livre de sorts, et inventaire. Dans le même ordre d'idées, la représentation de la ceinture du personnage au centre de l'interface est parfaite puisqu'elle permet d'y placer potions et autres parchemins puis de les utiliser via le pavé numérique de votre clavier, chaque chiffre étant alors attribué aux différents items. Ainsi, vous ne serez pas contraint d'ouvrir votre inventaire à chaque fois que vous voulez restaurer vos points de vie ou de mana joliment représentés par deux gros orbes. Enfin, la possibilité d'afficher la carte du donjon en transparence sur la zone de jeu est une belle trouvaille et facilite l'exploration de cet immense labyrinthe.
Pour ce qui est de la trame générale, Diablo offre une grande liberté car l'aventure principale n'est composée que de quelques quêtes obligatoires dont les textes sont un tantinet laconiques et malheureusement non traduits en français. En marge de cela, les quêtes annexes sont plutôt nombreuses et vous feront affronter des boss très coriaces, dont le célèbre Boucher. Notez que certains paliers du donjon ne seront accessibles qu'à partir d'un niveau minimum requis.
Sur le plan de la réalisation, sans être une claque visuelle, Diablo offre des environnements particulièrement riches en détails et les animations des ennemis et de notre personnage sont d'assez bonne facture bien que les déplacements soient un peu rigides. L'ambiance mature qui se dégage est brillamment retranscrite grâce à des scènes d'horreur décomplexées et à des ennemis réellement effrayants. Les musiques ne sont pas en reste, car bien que discrètes, elles parviennent sans mal à renforcer ce sentiment d'angoisse que l'on éprouve en s'enfonçant toujours plus profondément dans le donjon. Mention spéciale aux quelques riffs de guitares annonçant notre arrivée dans le village de Tristram, des notes devenues depuis tout simplement mythiques pour les fans de la série. Les voix digitalisées et bruitages associés à notre héros et aux monstres sont aussi du plus bel effet.
Terminons avec le mode multijoueur qui est une autre prouesse technologique pour l'époque. Diablo permet à quatre joueurs de parcourir le donjon en sachant que même si la coopération est de mise, rien n'empêche les participants de se combattre mutuellement et d'avoir recours à de fourbes stratagèmes comme le vol d'objets d'un autre joueur. Ce mode est accessible via la plate-forme Battle-net ou via une connexion locale type LAN. Quelques différences avec le mode Solo sont présentes comme la sauvegarde qui devient automatique et n'est plus contrôlable par le joueur, la disparition des quêtes, l'apparition de deux nouveaux modes de difficulté (Cauchemar et Enfer), et l'ajout de deux sorts qui permettent de soigner et ressusciter les autres joueurs.
Au final, il ne fait aucun doute que Diablo est une réussite sur tous les plans. Après avoir convaincu le public de sa capacité à développer un STR de qualité, Blizzard, en s'attaquant à un autre genre, prouve une nouvelle fois sa faculté à transcender des concepts préexistants pour en faire un jeu unique. En 1996, une nouvelle légende vidéoludique est née. Diablo est son nom.
- Graphismes16/20
Sans affubler son soft d'effets pyrotechniques de haut vol, Blizzard North parvient à dépeindre un univers sombre, torturé, et particulièrement macabre. Bien loin des couleurs chatoyantes de Warcraft, Diablo nous transporte dans une obscurité oppressante que seules quelques flammèches parviennent à briser. Malgré cette pénombre omniprésente, la pléthore de petits détails immergent le joueur dans des environnements aussi effrayants que réalistes aux accents médiévaux-fantastiques fort bien rendus. Enfin, la 3D isométrique est parfaitement maîtrisée et permet d'évoluer dans les méandres de l'aventure sans aucun mal.
- Jouabilité19/20
La prise en main peut se résumer en deux mots : simple et efficace. Alors que le bouton gauche de la souris vous sert à avancer et attaquer, le bouton droit vous permet d'utiliser un sort ou une compétence placée dans l'emplacement dédié. A cela vient se greffer la ceinture de votre personnage représentée au centre l'interface qui vous permet d'utiliser des potions et autres parchemins sans même ouvrir votre inventaire. En marge de cette accessibilité, Diablo n'en demeure pas moins complexe puisque vous devrez judicieusement monter vos statistiques et apprendre à réparer vos équipements à bon escient. Saluons également la possibilité de créer une classe hybride à partir d'archétypes prédéfinis. Sur ce point, Diablo offre trois gameplays bien distincts grâce à ses trois classes aussi différentes que complémentaires.
- Durée de vie18/20
Malgré les apparences (le soft ne compte qu'une seule ville et un unique donjon), Diablo possède une durée de vie quasiment éternelle. En effet, grâce à l'ingénieux système de contenu aléatoire généré à chaque nouvelle partie, le joueur redécouvre le jeu sous un nouveau jour s'il réinitialise son aventure ou s'il la recommence. De plus, son système de niveau de personnage associé à la recherche du meilleur équipement possible rend l'aventure particulièrement addictive. Enfin, le mode multijoueur qui donne accès à deux nouveaux modes de difficulté et permet de refaire l'aventure à quatre, prolonge encore plus une durée de vie déjà impressionnante. Néanmoins, Diablo reste un jeu exigeant et demandera un certain investissement ce qui risque de décourager certains joueurs qui abandonneront l'aventure précocement.
- Bande son17/20
Avec ses thèmes envoûtants mais discrets, ses voix digitalisées et ses bruitages de qualité, Diablo nous offre une bande sonore d'une grande qualité qui parvient sans mal à nous immiscer un peu plus dans l'univers angoissant du soft. Mention spéciale aux riffs de guitare joués lors de nos pérégrinations dans Tristram. De simples notes devenues cultes pour tout fan de la série.
- Scénario16/20
Bien que les textes des quêtes soient un tantinet laconiques, on peut saluer le background extrêmement riche qui ravira n'importe quel amateur de jeux de rôle. Dommage néanmoins qu'ils ne soient disponibles que dans la langue de Shakespeare, privant les joueurs non anglophones de la trame du jeu. Fait rare dans le monde des jeux vidéo, Diablo ne succombe pas au sempiternel « happy end » pour nous offrir une fin digne de son univers.
Même si Blizzard n'a pas inventé la poudre, le studio parvient à chaque fois à utiliser des concepts préexistants pour les transcender dans des jeux novateurs. Le rachat de Condor Software, nouvellement nommé Blizzard North, est un véritable coup de maître qui marquera de son emprunte le monde vidéoludique. Car à l'image de Warcraft qui a permis de démocratiser les STR, Diablo porte haut les couleurs du genre hack'n slash qui passait plutôt inaperçu à l'époque. Avec son ambiance macabre et mature, le soft parvient à plonger le joueur dans un univers cohérent et angoissant où l'action prend le pas sur la narration, sans jamais la reléguer au second plan. Extrêmement accessible dans sa prise en main, Diablo n'en reste pas moins complexe et permet aux amateurs d'optimisation de statistiques et d'équipements de se faire réellement plaisir. Même si l'aventure peut sembler courte au premier abord, elle s'avère au final quasiment infinie grâce aux contenus générés aléatoirement. Enfin, le mode multijoueur offre quelques belles virées entre amis où la coopération est parfois synonyme de trahison. Une page historique vient d'être écrite dans le petit monde des hack'n slash désormais aussi appelés Diablo-like.