De nos jours, emprunter la voie du third person shooter revient à choisir un genre en vogue ayant des chances de conduire à la rentabilité. Le revers de la médaille, c'est qu'il faut aussi se heurter à une très forte concurrence. Pour s'en sortir, il faut alors trouver un moyen de se distinguer. Pour le développeur allemand Yager, l'éditeur américain 2K Games et leur TPS militaire Spec Ops : The Line, cette singularité tant recherchée provient de la volonté de proposer une narration particulièrement travaillée. Pour qu'au final, l'expérience suscite de vives émotions chez le joueur. Un pari bien engagé.
Dubaï, capitale du luxe et de la démesure. Cité de tous les excès, où les gratte-ciel côtoyant les nuages prolifèrent à la même vitesse que les touristes venus claquer des millions pour s'offrir un coin de paradis. De tout cela, il n'en reste rien dans Spec Ops : The Line. De violentes tempêtes ont balayé les envies de grandeur des plus grosses fortunes du pays. La nature a repris ses droits à Dubaï, détruisant tout ce que la main de l'homme s'était échinée à créer au cours des précédentes décennies. Particulièrement réputé, le bataillon du 33e, l'élite de l'armée américaine, est envoyé sur place pour aider à évacuer les civils. Emmenés par le colonel Konrad, les soldats tentent de faire face à des bourrasques de sable d'une ampleur inouïe. Devant la progressive dégradation des conditions atmosphériques, le gouvernement décide de rappeler ses troupes. Mais le 33e désobéit pour venir en aide aux derniers survivants. Peu de temps après, le bataillon est porté disparu.
Six mois plus tard, un message radiophonique de Konrad parvient aux oreilles des dirigeants américains. Il tend à prouver qu'il reste encore un mince espoir de retrouver quelques personnes au milieu des décombres. Une équipe de reconnaissance de la Delta Force est envoyée à Dubaï pour en avoir le cœur net. Elle se compose du capitaine Martin Walker (vous), de son bras droit, le lieutenant Alphonso Adams et du jeune sergent John Lugo, un tireur d'élite adepte à la langue bien pendue. Sur place, les trois compères découvrent vite que la plus grande cité des Emirats Arabes Unis est encore peuplée de réfugiés mais également de soldats du 33e. Tous se livrent une guerre sans merci au sein d'une ville ensevelie sous des tonnes de sable et que des tempêtes continuent de ravager chaque jour un peu plus. Décidément, Dubaï n'a plus grand-chose du paradis flamboyant d'antan. Ecrasé par un soleil de plomb, la ville s'apparente à un gigantesque champ de ruines où les amoncellements de cadavres s'entassent à mesure que le temps passe. Très vite, Walker et son équipe vont découvrir que leurs premiers pas difficiles dans ce paysage désenchanté ne sont que les prémices d'une lente descente aux enfers.
Dès les premières minutes passées en compagnie de Spec Ops : The Line, on ressent une véritable volonté de conter une histoire, de faire vivre des émotions fortes au joueur. Par sa mise en scène soignée - très cinématographique - l'introduction pose d'ores et déjà avec maestria les bases d'un scénario qui se veut écrit avec subtilité. La suite sera dans le même ton. Le jeu a beau être un TPS, la narration reste en permanence une priorité pour le studio Yager. Les développeurs prennent le temps de mettre en avant des dialogues permettant de découvrir la personnalité des trois soldats. De multiplier les longues marches à travers un Dubaï dévasté. Les scènes d'action ne s'enchaînent pas systématiquement. Elles sont souvent entrecoupées de phases plus calmes vous donnant l'occasion de vous imprégner de cette ambiance aride dont jouit le titre et de vivre les nombreuses désillusions auxquelles Walker et ses troupes doivent faire face, tout en restant sur une sorte de rail. Progressivement, les échanges entre les équipiers se font d'ailleurs plus tendus. Essuyant des tirs de toute part, luttant contre une météo déplorable et contre le chaos ambiant, les trois soldats se voient petit à petit gagnés par la fatigue et le désœuvrement. Leur apparence physique évolue également. Au fur et à mesure des chapitres, on constate qu'ils portent de plus en plus de stigmates des divers affrontements. La douleur se lit sur leur visage. Pour autant, le jeu n'oublie jamais son cadre original. Il raconte d'ailleurs autant l'histoire de la ville que celle de ses personnages.
Côté gameplay, Spec Ops : The Line utilise de nombreuses mécaniques bien connues des amateurs de TPS. A commencer par un système de couverture classique. Grâce à des animations variées, le tout s'avère remarquablement fluide. Les mouvements pour se cacher derrière les éléments du décor s'adaptent en fonction de l'attitude du personnage à l'approche de sa planque. S'il court, votre avatar réalise par exemple une sorte de glissade pour se mettre au plus vite à couvert. Rien de très original mais encore faut-il que cela soit réalisé proprement. Ce qui est le cas ici. On retrouve aussi un système de jeu par équipe très basique. Si vous ne contrôlez qu'un unique protagoniste (Walker), vous pouvez tout de même donner des ordres - relativement limités - à vos deux équipiers. En l'occurrence, soit attaquer une cible précise, soit soigner le camarade blessé. Le game over intervient en effet dès que vous ou un membre de votre squad décède. Il faut donc toujours veiller à ce que la team reste en vie. Dès qu'Adams ou Lugo commence à agoniser, une barre apparaît au centre de l'écran. Elle se remplit lentement et représente du coup le temps qu'il vous reste pour secourir vos équipiers. Soit vous faites le déplacement vous-même, soit vous envoyez celui des deux qui est en meilleur état. Du côté du joueur, point de blessure, la vie remonte toute seule.
Contrairement à ce que proposera Binary Domain, les ordres donnés aux équipiers ne changeront pas les relations entre les trois protagonistes principaux. Leur rapport évoluera avec l'histoire, de manière scriptée. En revanche, on sent que l'IA d'Adams et de Lugo a été particulièrement travaillée. L'un et l'autre réagissent la plupart du temps de manière cohérente à ce qu'il se passe. Ils attaquent les ennemis sans que l'on ait besoin de leur signaler la présence d'un danger. On a d'ailleurs noté qu'ils étaient particulièrement efficaces pour éradiquer toute menace. Y compris lorsqu'ils doivent rester discrets. Peut-être trop même ? D'après les développeurs, si on le souhaite, il sera d'ailleurs possible de faire la majorité du jeu uniquement en donnant des ordres. Bien sûr, vous pourrez aussi participer au carnage pour les accompagner ou vous la jouer solo pour faire tout le travail. A chacun son style. Chez les ennemis, on a observé un comportement variable (en mode normal en tout cas). Souvent un peu trop statiques, ces derniers faisaient preuve de temps à autre d'une agressivité intéressante en venant vous débusquer derrière votre planque. Mais un peu trop rarement malheureusement.
Yager a également pris en compte le contexte du jeu au cours de la conception du gameplay. Ainsi, le fait que Dubaï soit complètement recouvert de sable a une grande importance. L'explosion d'une grenade soulèvera par exemple un nuage de sable aveuglant les ennemis aux alentours. Dans ces conditions, il est facile de les aligner ou d'aller les frapper au corps-à-corps. De quoi vous permettre de vous dépêtrer d'une situation compromise. Si vous n'avez plus de munitions par exemple. A plusieurs reprises, vous croiserez également de grandes verrières renfermant des tonnes de sable. En tirant dessus avec le timing opportun, les ennemis pourront se retrouver ensevelis. Un principe identique à celui des barils d'essence disséminés sur les maps dans la plupart des jeux d'action. Plus intéressant encore, des tempêtes se déclenchent à des moments précis, emmenant avec elles tout le sable de la région. Vous vous retrouvez alors à avancer au ralenti avec une vision limitée à quelques mètres. Impossible du coup de viser correctement, votre avatar ayant bien du mal à stabiliser son arme et à distinguer les adversaires. Evidemment, cela change complètement le gameplay. Le choix de l'arme devient primordial. Aux fusils de sniper, flingues et autres mitrailleuses nécessitant un peu de précision, on préférera subitement le fusil à pompe qui impacte une zone large. Le bruit généré par le vent vous empêche aussi de donner des ordres aux coéquipiers, qui n'entendent plus votre voix. Il faudra donc se débrouiller seul, à l'aveuglette. Des moments certes scriptés mais diablement spectaculaires et plaisants à jouer.
Le dernier impact de la narration sur le gameplay tient aux choix cornéliens que vous aurez parfois à effectuer. Dans l'un des chapitres que nous avons pu jouer, un civil et un militaire étaient suspendus par les bras à une sorte de pont. Les bad-guys, présents en nombre, vous demandent d'exécuter l'un des deux personnages, sans quoi tout le monde, y compris vous, mourra. Vous avez alors la possibilité de tuer l'un des protagonistes, les ennemis se retirant de l'aire de jeu ; de les libérer en tirant sur leur cordage, ce qui déclenchera un affrontement violent ; de les laisser suspendus tout en ouvrant le feu sur les opposants pour prendre l'avantage. Dans tous les cas de figure, l'aventure continuera sans que cela ne change profondément son déroulement. L'objectif de Yager n'est pas de proposer trente fins en fonction de vos actions mais plutôt de provoquer des émotions chez le joueur. De lui proposer des choix difficiles qui feront appel à ses propres valeurs. Mettrez-vous en péril la santé de votre équipe pour sauver des inconnus ? Allez-vous exécuter un civil pour mettre à l'abri vos équipiers, avec qui vous traversez de dures épreuves depuis votre arrivée à Dubaï ? A vous de voir. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de réponse juste. D'ailleurs, le jeu ne vous jugera pas.
Visuellement, Spec Ops : The Line tenait la route sur la version preview exposée même si le jeu ne nous a pas non plus impressionnés. Certains passages comme une phase de shoot à bord d'un hélicoptère ou les fameuses séquences avec les tempêtes fonctionnent très bien. Une variété que l'on espère retrouver dans les phases d'action tout au long de la campagne solo. C'est là l'une des grosses interrogations soulevées par notre session de jeu. On ne sait pas si les développeurs seront capables de maintenir cette tension parfois insoutenable tout au long de l'aventure. Ni même si le scénario restera captivant jusqu'au bout. A priori, il faudra compter 8-10 heures pour terminer le jeu. La norme finalement en ce qui concerne les TPS. Evidemment, Yager s'est bien gardé de nous parler de tout l'aspect multi alors que le gameplay en équipe se prête notamment parfaitement à une aventure en coop. Les réponses seront progressivement données d'ici au printemps prochain, période au cours de laquelle sortira le jeu.
Il n'est vraiment pas évident d'imposer de nos jours un nouveau TPS sur le marché. Pour autant, Yager et 2K Games possèdent avec Spec Ops : The Line un argument de poids pour séduire le public. Au-delà de la fluidité de l'action, de ses mécaniques de gameplay tantôt classiques, tantôt plus originales, le jeu dispose surtout d'une ambiance prenante. Certains passages coupent littéralement le souffle. Cette volonté de mettre en avant la narration, de poser le rythme sert clairement le titre qui parvient de ce fait à se démarquer de la concurrence. S'il reste encore quelques incertitudes que seule une version complète saura gommer, on est pour le moment enthousiaste à l'idée de découvrir ce qui se trame dans ce Dubaï chaotique.