La sortie de chaque nouvel opus de la saga des Elder Scrolls est un événement, et c'est d'autant plus vrai pour Skyrim, qui a la lourde tâche de succéder au volet le plus controversé, Oblivion. Réussir à contenter les fans les plus exigeants sans effrayer les nouveaux venus, inquiets de pouvoir rentrer facilement dans l'univers de Tamriel dont on leur a si souvent vanté les mérites : voilà un défi que Bethesda a relevé avec la bravoure d'un Nordique. Il se déroulera dans la région gelée de Bordeciel. Il y aura des dragons et de l'hydromel. Et ce pourrait bien être l'expérience de votre vie.
Deux siècles après les événements qui ont secoué Cyrodiil, l'Empire de Tamriel est à nouveau dans la tourmente. Les faits se déroulent cette fois dans la province nordique de Bordeciel, dont le Haut-Roi vient d'être assassiné. Voilà l'occasion pour les indépendantistes d'Ulfric Sombrage de prendre les armes contre l'Empire, qui souhaite mettre son propre prétendant sur le trône. Mais cette guerre va prendre une autre dimension quand, à l'occasion de l'exécution d'un prisonnier qui se trouvait au mauvais endroit et au mauvais moment, les dragons depuis longtemps oubliés se réveillent et se mettent à menacer la région. D'après la prophétie, seul un héros appelé Dovahkiin – fils de dragon – serait capable d'affronter ces gigantesques vers cracheurs de feu. Et cet élu, qui n'est autre que le prisonnier qui vient d'échapper de peu au billot, c'est vous. Voilà donc un pitch étrangement proche de celui de Morrowind, avec lequel Skyrim entretiendra bon nombre d'autres points communs.
Pourtant, durant la phase de création de votre personnage, Skyrim semble bien loin de ses illustres aînés. Là où la série lui a toujours accordé une importance particulière, cette étape est ici bouclée en moins d'une minute si l'on met de côté la définition de l'apparence physique de votre avatar. Elle se limite en effet au choix de la race (Argoniens, Rougegardes, Elfes noirs, Khajiits... Toutes répondent présent à l'appel), dotées chacune de certaines prédispositions naturelles. Mais où sont donc passées les classes de personnages emblématiques de la saga, qui déterminaient vos compétences majeures et mineures ? Elles ont tout bonnement disparu, car Bethesda souhaite désormais octroyer au joueur une liberté d'évolution totale. Auparavant, seule l'augmentation de vos talents principaux vous permettait de gagner des niveaux, ce qui vous imposait d'adopter un style de jeu respectant la classe que vous aviez choisie. Cette contrainte n'a plus lieu d'être, puisque vous pouvez à présent utiliser n'importe quelle aptitude (arme à une main, magie de destruction, furtivité...) pour franchir les niveaux, sans vous embarrasser d'aucune orientation initiale. Il vous est donc tout à fait possible de modifier votre façon de jouer sans avoir à recréer un personnage. C'est en soi une bonne chose, mais le potentiel de rejouabilité risque d'en souffrir, bien que les plus "roleplay" d'entre vous se forceront sans doute à ignorer les compétences inappropriées au type de héros qu'ils veulent incarner.
Le système de jeu des Elder Scrolls, historiquement souple, s'oriente donc résolument vers une forme de libéralisme ludique. Bethesda en a profité pour le refondre et l'épurer, en évacuant ses aspects les plus dispensables (comme les talents acrobatie et athlétisme qui ne servaient somme toute qu'à accélérer indûment le leveling) et en reportant a posteriori une complexité que le joueur devait jadis anticiper, et qui n'a pas disparue. La montée de niveau permet à présent de choisir un "atout" parmi l'une des 18 constellations disponibles, relatives chacune à une compétence. Vous souhaitez vous spécialiser dans les coups critiques plutôt que dans les dégâts massifs ? Vous voulez qu'aucune serrure ne puisse vous résister (à l'occasion de mini-jeux de crochetage directement importés de Fallout 3) ? Vous avez envie de forger des équipements dwemers ? Vous aimeriez bien revendre plus cher vos possessions aux marchands ? Tout cela est possible en sélectionnant les atouts dédiés, sachant que la plupart sont soumis à des prérequis évitant la maîtrise trop précoce d'un domaine donné. Bref, les choix déterminants sont plus que jamais de la partie. En revanche, on voit d'un plus mauvais oeil la disparition des caractéristiques. Désormais, chaque niveau franchi vous permet de choisir une valeur à augmenter parmi trois : énergie vitale, mana ou vigueur. Etait-il nécessaire d'assister à ce point l'utilisateur, à plus forte raison dans le cadre d'un jeu de rôle ?
Heureusement, l'ensemble n'est guère plus simplifié que pouvait l'être l'épisode précédent. Vous pouvez encore effectuer des mauvais choix et "rater" votre personnage : un couteau-suisse ambulant finira par souffrir de sa polyvalence face aux monstres qui progressent au même rythme. Signalons à ce propos que le full level scalling d'Oblivion, qui a fait couler tant d'encre, a été abandonné au profit d'un système similaire à celui de Fallout 3. Il ne s'applique plus aux équipements (impossible de looter une armure daedrique sur le premier peon venu) et s'étale sur une tranche de niveaux plus large, de façon à ce que, si la puissance de vos adversaires s'aligne globalement sur la vôtre, un simple loup restera relativement facile à vaincre tandis qu'un maître vampire représentera toujours un certain challenge. Bethesda semble avoir pris en compte les doléances de la communauté, et c'est bien ! Le système de combat est également moins permissif que celui d'Oblivion : adieu les super-héros qui, munis d'une épée et d'un bouclier, lançaient des sorts avec leur "troisième" bras ! La gestion des mains est devenue plus réaliste, puisqu'elle vous limite à une seule chose dans chacune d'elle. Vous pouvez assigner une arme à l'une de vos mains et un sort à l'autre, mais il faudra alors vous passer de bouclier. Et si vous maniez une arme à deux mains, faites une croix sur la magie, sachant que le système permet aussi d'utiliser ses deux mains pour amplifier l'effet de certains sorts.
Dommage que certaines évolutions ne soient pas dans la même veine. La remontée automatique de l'énergie vitale après le combat est quelque peu malvenue. Rien de grave vu le taux de régénération particulièrement lent (du moins à haut niveau), mais cette idée saugrenue réduit l'intérêt de se soigner, de se restaurer ou de dormir suite à un affrontement difficile. Cela rend donc, sur ce point précis, l'expérience moins immersive, d'autant qu'à côté de ça, il reste possible d'engloutir un ragoût de chou ou une tarte aux pommes en plein combat. Du coup, tandis que les joueurs PC attendront avec impatience l'arrivée d'un mod gérant de façon réaliste les besoins nutritifs et le sommeil (dormir ne sert pas à grand-chose et ne permet plus de passer les niveaux), les possesseurs d'une version console n'auront plus que leurs yeux pour pleurer. Au rayon des allègements, profitons-en pour mentionner la disparition des signes astrologiques, de plusieurs pièces d'armures (épaulières et jambières), de la durabilité des équipements (et donc du talent d'armurier) ainsi que de la possibilité de créer ses propres sorts. Cette dernière coupe est sans doute la plus dommageable car elle symbolisait mieux que nulle autre l'aspect bac à sable des Elder Scrolls. La création de sorts était – il est vrai – sujette à certains abus, mais on peut regretter que Bethesda ait décidé de les prévenir d'une façon aussi radicale. Là encore, il faudra compter sur la communauté des moddeurs pour rectifier le tir.
Les options d'artisanat restent toutefois suffisamment nombreuses pour contenter les adeptes en la matière. Les compétences d'alchimie et d'enchantement se voient complétées par la possibilité de fondre des lingots et de tanner des peaux, d'utiliser ces ressources pour forger ou améliorer soi-même son équipement, ou encore de concocter de bons petits plats pour sa promise. Car oui, votre personnage peut désormais se marier, tout comme il peut acheter une maison, monter dans l'échelle sociale et bénéficier de suivants (humains ou animaux). Par contre, pas d'arène et donc pas de fan (ouf !). Le jeu vous donne aussi l'occasion de travailler pour plusieurs factions (Légion impériale, rebelles Sombrages, Compagnons, Guilde des voleurs, Confrérie noire...). Plus nombreuses encore qu'à l'accoutumée, les quêtes annexes sont variées et soignées à défaut d'être particulièrement profondes. La trame principale aux accents initiatiques, aussi longue à démarrer et aussi posée que celle de Morrowind, alterne les moments contemplatifs (cf. le pèlerinage jusqu'à un monastère situé sur le toit du monde) et les séquences épiques qui vous confrontent notamment à des dragons. Une fois vaincus, ces derniers vous laissent absorber leur pouvoir, que vous apprendrez à utiliser dans le cadre de l'art du cri. Même s'il est un peu succinct, le journal de quêtes est bien fichu car il recense aussi bien les missions déjà débutées que toutes les opportunités en la matière.
C'est en explorant la région que vous aurez surtout l'occasion de mesurer la richesse phénoménale de Skyrim. Il y a de quoi se sentir perdu dans cette zone qui paraît plus vaste que celle d'Oblivion en raison de sa densité bien plus importante. En dehors des multiples villes, villages, forts, grottes, donjons et repaires divers et variés – tous créés à la main avec une attention particulière – il y a une vie dans Bordeciel, ce qui n'était pas forcément le cas dans l'opus précédent, où vous pouviez traverser la map sans qu'il ne vous arrive grand-chose. Outre le bestiaire très typé (ours, géant, troll des glaces, mammouth...) que vous ne manquerez pas de croiser au cours de vos expéditions, vous tomberez, ici sur un camp de sorcières, là sur un vieil orc qui veut en finir avec la vie, ou là encore sur une escorte dont vous aurez peut-être envie de libérer le prisonnier. Le cas échéant, privilégiez dans la mesure du possible les solutions diplomatiques (persuasion, l'intimidation ou corruption), car les témoins de vos crimes et de vos délits ont la langue bien pendue, ce qui peut pousser certains PNJ à vous pourchasser à l'autre bout de la carte ! Autre avancée dans Skyrim : les environnements de jeu évoluent parfois à la faveur de vos actions : l'arbre que vous avez soigné refleurira peu à peu, les gardes à qui vous avez demandé de protéger un village s'y rendront réellement et le fort que vous avez vidé de ses occupants aura peut-être été investi, à votre retour, par une autre faction !
Le quotidien du voyageur de Bordeciel n'est pas de tout repos. Au-delà des rencontres aléatoires qui pimentent vos trajets, vous devez composer avec des conditions météo épouvantables et avec un relief accidenté qui vous pousse parfois à descendre de monture pour continuer à pied. Voilà donc un aspect bien bien plus exigeant que dans Oblivion, d'autant que Skyrim ne permet pas d'effectuer de voyage automatique vers les lieux qui n'ont pas encore été visités. Seules les villes peuvent être ralliées rapidement en s'adressant aux conducteurs de chariots. Bien conçues, les différentes cités bénéficient d'une direction artistique encourageante qui atteste des efforts de Bethesda en la matière. Le style nordique qui prévaut a été décliné de façon suffisamment subtile pour conférer à chacune sa propre personnalité. Cet épisode propose également une grande variété de paysages superbement composés : que vous arpentiez un mont enneigé, une toundra désolée, une forêt de conifères ou un lac gelé, les décors grandioses et propices à l'émerveillement sont de mise. Doté d''une cohérence remarquable et d'une topographie sans concession, l'univers est sans doute le plus gratifiant que l'on ait eu à parcourir depuis les débuts de la série. Rarement on aura autant apprécié le feu chaleureux d'une auberge au retour d'une expédition éprouvante. Seule ombre au tableau : la carte en 3D, fort jolie, manque de praticité en raison d'un dézoom trop peu prononcé et de la nécessité de scroller.
L'interface est, de toute façon, le gros point noir du jeu. Bethesda n'a visiblement pas tiré les leçons de ses errances en la matière sur Oblivion, et propose une nouvelle fois aux joueurs PC un simple portage d'un inventaire déjà peu pratique sur consoles. Présenté sous forme de menus, il devient horripilant à gérer dès que vous commencez à accumuler les items, et notamment les ingrédients alchimiques. La fusion contre nature entre le système de défilement et le dispositif de pointage à la souris donne même lieu à quelques ratés. La version PC de Skyrim se rattrape heureusement sur l'aspect visuel, particulièrement réussi. Il combine un réel effort artistique à un nouveau moteur graphique offrant de jolis effets (ombres portées, éclairages volumétriques, brouillard...) ainsi que des visages enfin décents pour tous les personnages du jeu. S'il faut encore souffrir de quelques écueils typiques d'un open world (textures perfectibles, clipping trop prononcé), on profite par contre des avantages traditionnellement liés au support PC : les graphismes plus fins, le champ de vision plus important et la fluidité irréprochable sur les machines bien équipées rendent l'expérience visuellement plus convaincante que sur consoles, d'autant que les temps de chargement n'ont plus rien d'excessif. Les allers et venues en ville sont tout à fait supportables, tandis que la zone de jeu extérieure peut toujours être parcourue d'un seul tenant.
Skyrim constitue également un véritable régal pour les oreilles. Le travail de Jeremy Soule, qui en profite pour réutiliser certains morceaux de Morrowind, est sans doute le meilleur qu'il nous ait été donné d'entendre de sa part. Tour à tour mélancoliques, épiques et contemplatifs, les compositions s'avèrent hautement immersives, d'autant que les bruitages ne sont pas en reste (il faut entendre le bruit du vent qui balaie les sommets ou le battement d'ailes qui indique l'approche d'un dragon). Le doublage en français est acceptable, même si certaines répliques manquent cruellement d'intonation et de conviction. On déplore toutefois quelques soucis de finition : des bugs sans gravité, un moteur physique parfois farfelu, quelques incohérences (des dragons plus faciles à occire que les géants) et une mise en scène parfois ratée (un jingle ou une réplique qui démarre alors qu'un PNJ est encore en train de parler). Mais ce sont autant de détails en regard du plaisir monstrueux procuré par Skyrim.
- Graphismes17/20
Skyrim combine un nouveau moteur graphique, offrant de jolis effets visuels, à des qualités artistiques que l'on n'espérait plus de la part de Bethesda. Le style nordique est décliné avec maîtrise et inventivité, les environnements sont suffisamment variés et les personnages sont enfin dotés d'une modélisation et d'une animation décentes.
- Jouabilité16/20
La refonte du système de jeu pourra choquer les puristes l'espace des premières heures de jeu, où ils ne verront que "ce qui manque". Mais ils finiront par s'incliner devant la richesse et la profondeur incommensurables de l'expérience offerte, d'autant que les détails les plus fâcheux pourront être réglés à grand renfort de mods. En revanche, l'inventaire peu pratique importé des versions consoles est, une fois de plus, difficile à avaler.
- Durée de vie18/20
La trame principale, qui offre un périple d'une vingtaine d'heures de jeu, est complétée par d'innombrables quêtes annexes à dénicher dans la vaste région de Bordeciel, dont certaines sont générées aléatoirement afin de procurer au titre une longévité quasi infinie.
- Bande son18/20
Après les terres désolées de Vvardenfell et les plaines verdoyantes de Cyrodiil, Jemery Soule adapte son art à la région glacée de Bordeciel, avec le talent immense qu'on lui connaît. Ses compositions s'avèrent hautement immersives, d'autant que les bruitages ne sont pas en reste et que les doublages en français sont dans l'ensemble très corrects.
- Scénario16/20
Tout aussi initiatique que celle de Morrowind, la trame principale met un peu de temps à démarrer, mais finit par prendre son envol tel un dragon. Comme de coutume, le joueur se plaira surtout à écrire sa propre histoire au travers des nombreuses quêtes annexes. On appréciera comme il se doit le retour de la culture dwemmer et l'arrivée des enfants.
Aussi rude que les nuits glacées de Bordeciel, aussi froid et brutal que l'acier des Nordiques, Skyrim sait, à l'occasion, se montrer chaleureux et convivial comme une coupe d'hydromel au coin du feu. Rares sont les jeux de rôle capables de fédérer à travers une même expérience les vieux routards et les néophytes, mais ce cinquième volet de la saga des Elder Scrolls le fait avec brio. Les plus conservateurs d'entre vous ne pesteront pas bien longtemps contre les modifications et les coupes opérées, tant la refonte du système de jeu s'avère probante et l'expérience plus immersive que jamais. Dotée d'une richesse et d'une densité phénoménales, mais aussi d'une topographie sans concession, la vaste Province de Bordeciel est une invitation permanente à la découverte, à la contemplation et aux actes de bravoure les plus héroïques. Seule l'interface inconfortable entrave l'accès de Skyrim au Valhalla, mais cela ne nous empêchera pas de vous le recommander chaudement, bien que ce ne soit pas l'adverbe le plus approprié !