Depuis Neverwinter Nights 2, sorti fin 2006, les adeptes du jeu de rôle papier Donjons & Dragons n'ont pas eu grand-chose à se mettre sous la dent, et il n'est pas certain que les projets actuels les ravissent particulièrement. Atari, qui possède toujours les droits d'adaptation de la licence dans le domaine vidéoludique, a confié à Cryptic Studios le soin d'en tirer un nouveau titre bien dans l'air du temps, tourné vers le online, doté d'un modèle économique free-to-play, mais nommé Neverwinter pour ne pas se couper de la base de fans existante. L'éditeur a parallèlement mis en chantier un autre concept tout aussi moderne : un social game jouable exclusivement sur Facebook, intitulé quant à lui Heroes of Neverwinter. L'amuse-gueule se retrouve logiquement à sortir avant le plat de résistance, et devient pour l'occasion le premier jeu vidéo officiellement basé sur les règles de la quatrième édition.

Heroes of Neverwinter n'a certes pas la prétention de retranscrire ces règles dans toute leur richesse et leur complexité, mais se propose plutôt d'initier doucement les joueurs occasionnels à l'univers et aux combats tactiques de Donjons & Dragons en leur faisant goûter une version simplifiée de son système d20. Le titre permet tout de même de retrouver les fonctionnalités principales du jeu de rôle papier, à commencer par la création de personnage. Il est en effet possible de générer soi-même son avatar en combinant l'une des quatre races (humain, Eladrin, semi-homme ou Drakéide "ki kr4sh du fe") à l'une des quatre classes (guerrier, clerc, voleur ou mage). La création incluant répartition des points de caractéristiques et bonus raciaux, les néophytes sont invités à se reporter sur l'un des quatre archétypes prédéfinis. Il convient ensuite de définir grossièrement le look de son héros et de l'affubler d'un joli sobriquet avant de le propulser dans l'aventure. Au fil de ses prouesses, il gagnera de l'expérience et prendra du galon : en fonction du niveau atteint, il faudra alors lui choisir un nouveau pouvoir parmi deux ou bien augmenter ses caractéristiques, sans pour autant maîtriser à 100 % son évolution. Il pourra aussi s'équiper dignement grâce aux armes et armures disponibles. Tout cela reste assez limité mais franchement, on s'attendait à pire.

Le coeur du jeu reste toutefois le nettoyage d'une cinquantaine de donjons, qui se débloquent au fur et à mesure de la progression, et auxquels on accède à partir du panneau d'affichage de la ville de Neverwinter. Cette dernière, qui fait office de menu principal, permet également de consulter sa fiche de personnage, de rendre visite aux différents marchands et de recruter des compagnons pour partir à l'aventure. Car si Heroes of Neverwinter est un jeu solo, il ne faut même pas espérer survivre à la première rencontre sans avoir recruté trois autres héros. Pour ce faire, le joueur bénéficie d'une fonctionnalité très innovante qui s'inscrit à merveille dans l'esprit du social gaming : on lui permet d'utiliser les personnages de tous ses contacts Facebook, même s'ils ne sont pas connectés. Il peut les inclure dans son groupe et profiter de leur progression en niveau et de tous leurs pouvoirs. Voilà une façon originale de coopérer par procuration, sachant qu'un mode spectateur permet par ailleurs d'assister aux prouesses d'un ami qui est en train de jouer, et de le soutenir en direct par le biais de quelques pouvoirs spéciaux. Il est aussi possible de lui envoyer des cadeaux ou de visiter sa maison pour admirer ses trophées. Enfin, ceux qui n'ont pas de contact Facebook inscrit à Neverwinter ont toujours la possibilité de se rendre à l'auberge pour recruter des héros lambda contre un peu d'or.

Une fois votre groupe constitué, il est temps de descendre dans les profondeurs d'un donjon. Chacun d'eux se compose de cinq à dix salles reliées entre elles, infestées d'un bestiaire typique de Donjons & Dragons (morts-vivants, kobolds, dragons...), et se conclut par l'affrontement contre un boss. Oh certes, on profite bien de textes d'ambiances typiques de ce que pourrait dire un Maître de Jeu, mais il ne faut pas y chercher d'exploration ni d'interactions sociales : l'essentiel du gameplay réside dans les affrontements, et le titre est assez fidèle en cela à la philosophie de la franchise. C'est l'occasion de constater que si les combats au tour par tour ne bénéficient pas de toute la dimension tactique du jeu papier (les attaques d'opportunité brillent notamment par leur absence), leur résolution est fidèle aux règles de la 4ème édition. Chaque personnage peut, à chacun de ses tours, exécuter une attaque de base (disponible en nombre illimité) ou lancer un de ses pouvoirs (utilisables une fois chacun), puis effectuer un mouvement et accomplir éventuellement une action libre. Les combats doivent donc être abordés de façon stratégique, en profitant de la synergie de groupe : le guerrier encaisse les coups et inflige de gros dégâts, le mage profite de nombreux sorts de zone, le voleur peut assommer ses cibles et le clerc soigner tout ce petit monde.

L'expérience pourrait se révéler concluante si elle n'incitait constamment le joueur à investir dans une monnaie virtuelle – les diamants astraux – moyennant des micro-paiements onéreux. Le jeu se révèle en effet plutôt ardu dès le mode de difficulté intermédiaire. Un de vos personnages est tombé au combat ? Passez à la caisse. Vous avez besoin de soigner complètement votre équipe avant d'affronter le boss ? Passez à la caisse. Votre voleur a raté son crochetage ? Passez à la caisse. Vous voulez réduire la part d'aléatoire du butin ? Passez à la caisse. Qui plus est, Heroes of Neverwinter fait partie de ces social games qui ne permettent pas de jouer en continu sans sortir le porte-monnaie : une fois utilisés, les héros ont besoin de se reposer plusieurs heures (en temps réel) avant de repartir à l'aventure ; et même si l'utilisateur paye pour forcer leur recrutement, une jauge d'énergie limite de toute façon le nombre de donjons dans lequel il peut se lancer quotidiennement... à moins bien sûr de dépenser encore quelques cristaux. Or, le jeu a beau être sympathique, il n'est pas suffisamment abouti pour mériter un investissement financier conséquent. L'utilisateur averti, fan ou non de la licence, se limitera donc à l'offre gratuite, même si la progression jusqu'au niveau 10, où il obtiendra le droit de créer ses propres donjons, se révèlera du coup aussi longue que frustrante.