Basé sur une idée originale d'Eric Chahi (Another World), From Dust est l'héritier d'une longue lignée de god games initiée avec Populous en 1989. Son thème tribal renvoie d'ailleurs au troisième opus de la série de Bullfrog, même si le principe est sensiblement différent. Dans From Dust, bien que vous incarniez aussi un dieu protecteur, la tribu sur laquelle vous veillez ne rencontre jamais de rivaux sur la carte. Mais elle doit faire face en permanence à une menace non moins dangereuse : les forces de la nature, aussi imprévisibles que dévastatrices.
La première chose qui frappe au lancement de From Dust, c'est sa direction artistique de haute volée. Outre l'inimitable french touch, savamment perpétuée par les équipes d'Ubisoft Montpellier, l'univers du jeu est issu du brassage de multiples influences géographiques et culturelles. Pour les décors, qui bénéficient d'une superbe palette de couleurs riche et contrastée, les développeurs se sont inspirés de l'île de Socotra, du coeur du Sahara et des lagons de Polynésie, sans oublier les clichés de volcans d'Éric Chahi, dont c'est une seconde passion. Quant à la tribu primitive sur laquelle vous devez veiller, elle évoque certaines ethnies d'Afrique et de Nouvelle-Guinée. Ces hommes au visage recouvert d'un masque rituel, qui s'expriment dans un dialecte inconnu, sont à la recherche de leur passé oublié. D'où viennent-ils et où doivent-ils aller ? Telle est la question.
Chaque chapitre du mode Histoire adopte un déroulement identique : quelques hommes émergent d'une cavité souterraine, dans un lieu qu'ils ne connaissent pas. Ils doivent s'y établir en construisant un certain nombre de villages sur la carte, à des endroits prédéfinis matérialisés par des totems. En cas de succès, ils sont alors invités à quitter cet environnement qu'ils sont parvenus à apprivoiser, pour franchir une porte qui les conduira vers un nouveau territoire. D'aucuns regretteront que les concepteurs aient privilégié ce schéma répétitif au détriment d'un véritable scénario, qui brille par son absence. Mais cette mise en forme a le mérite de répondre implicitement au questionnement évoqué plus haut et d'éclairer le titre du jeu : parabole de la condition humaine et du caractère cyclique de l'existence, From Dust nous rappelle que les hommes, issus de la terre, s'en retournent toujours à la terre, et nous enseigne le respect et l'humilité face à la nature.
La toute-puissance de cette dernière peut en effet réduire les hommes en poussière : marées, tsunamis, incendies, éruptions volcaniques... From Dust regorge de catastrophes naturelles susceptibles d'empêcher vos protégés d'ériger tranquillement leurs villages. Heureusement, vous jouissez comme toute divinité digne de ce nom de plusieurs pouvoirs dédiés à la protection de vos fidèles. Votre capacité de base vous permet tout d'abord de saisir une quantité de matière (terre, eau, lave...) pour la placer où bon vous semble. Détourner une rivière, vider un lac ou modeler à la lave une digue artificielle : voilà autant d'applications possibles qui devraient vous permettre de protéger efficacement votre tribu. A mesure que cette dernière parvient à s'emparer des totems en bâtissant un village autour, vous débloquez d'autres pouvoirs bien utiles, qu'il s'agisse d'éteindre un incendie, d'abaisser le niveau de l'eau ou de figer un élément trop fougueux.
Tout de même, prenez garde, car si le village est détruit, vous perdez le contrôle du totem, et donc de la capacité associée. Veillez aussi à vous emparer rapidement des pierres de pouvoir : situées sur la carte dans des endroits généralement difficiles d'accès, elles confèrent à vos villages une immunité inespérée au feu ou à l'eau. L'ensemble donne vraiment l'impression de jouer avec la matière en manipulant les quatre éléments et en modelant le monde comme un démiurge. Voilà quelque chose que le moteur physique de From Dust, en tous points remarquable, peut se permettre tant il simule de façon réaliste le comportement des différentes substances, l'érosion et l'écoulement des fluides. Le déclenchement d'une éruption volcanique ou encore l'arrivée soudaine d'un tsunami poussent à la contemplation, à tel point que dans ces moments-là, on en oublierait presque le danger lié à ces phénomènes naturels éminemment destructeurs.
Le gameplay de From Dust accuse hélas assez vite ses limites. Vos interactions avec la tribu se résument à lui demander de rejoindre un totem, une pierre de pouvoir ou la porte de sortie - ce qui n'est jamais gagné étant donné les soucis de collision et de pathfinding. Tout le reste vous échappe, tel un enfant qui serait chargé de protéger des vagues le château de sable érigé par son copain sur la plage. Quant à la simulation de l'écosystème, elle est très artificielle : les animaux (inutiles) apparaissent dès que la végétation recouvre un certain pourcentage de la carte, et les arbres spécifiques (à feu, à eau et explosifs) ne sont exploités que sur certaines maps dédiées. Enfin, en l'absence d'une véritable dimension stratégique, le gameplay émergent se réduit trop souvent à du bricolage poussif. Du coup, vous finissez par ressentir une certaine passivité couplée d'ennui. Pour dynamiser le concept, les développeurs ont donc eu l'idée de proposer des événements récursifs (une marée, des coulées de lave) vous poussant à vous dépêcher.
Ces séquences s'avèrent toutefois particulièrement crispantes car aller vite, dans From Dust, est une gageure tant la jouabilité au pad se montre approximative. Le terraforming au stick, ce n'est quand même pas l'idée du siècle, surtout quand votre curseur est un serpent lumineux qui ondule dans tous les sens. Épuisante à la longue (petites sessions de jeu conseillées), la maniabilité ne convient pas vraiment à un contexte qui exige de la précision, comme rafistoler une digue qui fuit, et encore moins à des séquences minutées, qui rendent la difficulté peu graduelle et la progression erratique. La campagne, constituée d'une douzaine de niveaux, est toutefois dotée d'une longévité acceptable, soutenue par un mode Défi riche de 30 niveaux. Ces derniers, qui reposent sur de petits objectifs (éteindre un incendie, assécher un lac...), s'avèrent au bout du compte plus agréables que le mode principal, signe que From Dust a tout du concept sympa mais inabouti.
- Graphismes16/20
Même s'ils perdent de leur finesse lorsqu'on zoome sur l'action, les environnements sont jolis et bénéficient d'une direction artistique très documentée, couplée à un moteur physique absolument fabuleux. On reprochera quand même à ce bel ensemble l'animation minimaliste des personnages, les bugs de collision, ainsi que l'absence d'un cycle jour/nuit et de conditions météo.
- Jouabilité13/20
Le gameplay quelque peu limité consiste pour l'essentiel à terraformer la carte en s'aidant de ses pouvoirs. Ce n'est pas gênant en soi, car c'était déjà le principe de Populous il y a 20 ans, sauf que From Dust ne propose aucun affrontement contre d'autres tribus. Il est surtout fâcheux que la lutte contre la nature passe par une lutte moins réjouissante contre la maniabilité, sans parler des soucis de pathfinding.
- Durée de vie14/20
Avec sa campagne d'une douzaine de niveaux, son mode Défi et ses petits plus à débloquer, From Dust possède une durée de vie satisfaisante, voire même suffisante dans la mesure où le concept de base est sujet à un certain essoufflement sur le long terme.
- Bande son16/20
Très travaillée, la bande-son de From Dust s'accorde à merveille avec l'univers du jeu. Étouffés par le grondement assourdissant d'une éruption volcanique ou d'une lame de fond, les cris de détresse des hommes, prononcés dans un dialecte inconnu, en deviendraient presque touchants. Dommage que les jolis thèmes musicaux aient tendance à se répéter beaucoup trop.
- Scénario/
From Dust est un concept réjouissant qui accuse vite ses limites. Vingt ans après Populous, son gamelay minimaliste passerait bien mieux si seulement la lutte contre les forces de la nature ne se couplait pas d'une lutte contre une jouabilité au pad trop approximative. Reste un jeu de toute beauté, doté d'un moteur physique impressionnant, susceptible de procurer le plaisir simple d'un enfant luttant pour protéger son château de sable du ressac. Et quoi qu'on en dise, ce n'est déjà pas si mal.