Vous avez l'impression que le petit monde des jeux vidéo a tendance à tourner en rond et à accoucher de titres trop aseptisés ? Il existe pourtant des jeux qui échappent au conformisme ambiant. American Mc Gee's Alice en était un bon exemple : le titre nous livrait une version trash des romans de Lewis Carroll en nous dépeignant un Pays des Merveilles dévasté et une Alice totalement folle. Le fameux American Mc Gee revient aujourd'hui aux fourneaux pour nous proposer une suite dans le même esprit que son aîné.
Si American Mc Gee's Alice s'était élevé au rang de jeu mythique lors de sa sortie il y a une dizaine d'années, c'était moins pour son gameplay qui s'apparentait à celui d'un jeu d'action / plate-forme assez classique, que pour son univers particulièrement malsain. On retrouvait bien Alice, le personnage principal des romans de Lewis Carroll, mais celle-ci avait totalement sombré dans la folie après la mort de ses parents dans l'incendie de la maison familiale. On la retrouvait donc sous les traits d'une jeune femme de dix huit ans enfermée dans un asile psychiatrique depuis ce tragique accident. Son retour au Pays des Merveilles, ou ce qu'il en restait, constituait alors pour elle une forme de thérapie lui permettant de reprendre petit à petit pied dans la réalité. La suite qui nous intéresse aujourd'hui prend place un ou deux ans après ce premier opus. Alice a plus ou moins retrouvé la santé mentale mais elle ne s'est toujours pas débarrassée de ses vieux démons : il lui faut encore mettre la main sur le vrai responsable de la mort de ses parents.
On débute ainsi cette nouvelle aventure dans les bas-fonds londoniens de la fin du XIXème siècle. La pauvre Alice a bien du mal à remettre de l'ordre dans ses souvenirs et devra donc aller à la rencontre d'une galerie de personnages tous aussi glauques les uns que les autres. Ces confrontations à la réalité ne manqueront pas de lui provoquer quelques épisodes hallucinatoires qui la plongeront dans le fameux pays imaginaire. C'est en effet dans le royaume de la Reine de cœur qu'elle retrouvera les souvenirs les plus enfouis qui lui permettront d'assembler petit à petit toutes les pièces de ce puzzle. Tout comme le premier opus, cette suite s'apparente donc à un voyage au plus profond de la psyché de la jeune femme, ce qui laisse le champ libre aux situations les plus grotesques, aux références les plus énigmatiques et aux délires les plus tordus. Il n'y a pas de doute, on retrouve bel et bien la patte d'American Mc Gee à qui l'on devait déjà le précédent volet. Ceux qui connaissent un peu l'œuvre de Lewis Carroll savent déjà que l'univers d'Alice avait une forte dimension psychédélique mais American Mc Gee va plus loin en lui donnant une tonalité sombre et malsaine. Les décors sont littéralement déchirés et laissent souvent place à des gouffres sans fin, les cartes-soldats de la Reine de cœur ont été zombifiées et offrent des visages squelettiques, le chat du Cheshire continue de vous guider mais reste aussi rachitique et mal en point que dans le premier opus... Bref ce monde imaginaire demeure à l'image de la psyché d'Alice, c'est à dire totalement décrépi.
Ce sont justement les malheurs de la jeune femme qui font notre bonheur et on se régale réellement en découvrant les différents environnements qu'elle devra traverser. Les décors sont ainsi totalement dans la veine de ceux du premier opus même si les choses ont bien changé au Pays des Merveilles. Un train diabolique sème le chaos et la destruction dans cet univers. Quelques figures bien connues vous demanderont de l'aide et vous croiserez par exemple la Chapelier Fou qui a perdu ses membres ou le Charpentier qui compte inviter les petites huitres à un spectacle gastronomique... Bref, le charme opère sans problème même s'il faut reconnaître que le jeu est parsemé d'imperfections techniques. La direction artistique est exemplaire mais vous rencontrerez quelques ralentissements tout au long de votre aventure. En somme, le joueur tatillon qui n'accroche pas à cet univers déjanté sera forcément rebuté par ce genre de défauts, mais cela ne veut pas dire pour autant que le jeu est une catastrophe technique, loin de là. On apprécie la finesse des décors et certains détails comme la tenue et la chevelure d'Alice ne pourront pas vous laisser de marbre. Le moindre courant d'air ou le moindre mouvement fait en effet onduler la robe et les cheveux de la jeune femme. Ces simples mouvements ajoutent une dimension onirique non négligeable aux déplacements de la demoiselle.
Vous ne manquerez pas d'occasion de contempler sa magnifique chevelure se faire décoiffer par le vent puisque, comme son aîné, Alice : Retour au Pays de la Folie reprend la formule traditionnelle mêlant l'action à la plate-forme. La jeune femme n'est visiblement pas sujette au vertige et elle est même capable d'utiliser sa robe pour amortir sa chute ou pour effectuer des doubles, des triples... bref des multiples sauts. Elle utilise aussi les particularités de sa tenue pour profiter de jets de vapeur qui lui permettent de s'élever dans les airs. Ces phases de plates-formes sont relativement classiques mais elles sont malheureusement parfois plombées par une caméra un peu capricieuse qui n'aide pas vraiment à évaluer les distances. Notez aussi que la demoiselle est capable à tout moment de rétrécir. Elle pourra ainsi non seulement se faufiler dans les trous de serrure et dans les passages étroits pour découvrir des trésors, mais elle sera aussi capable de détecter des plates-formes invisibles à l'œil nu ou des messages indiquant l'emplacement de quelques secrets. Si la progression est indéniablement linéaire, elle laisse tout de même une large place à l'exploration puisque ce n'est qu'en fouillant les recoins les plus obscurs que vous retrouverez tous les fragments de mémoire recherchés ou que vous aurez l'occasion de booster votre santé. Notez enfin qu'il faut toujours prêter l'oreille pour guetter le moindre grognement : il indique qu'un groin se situe dans les parages et il suffit d'assaisonner ce dernier pour révéler un passage secret ou un bonus.
L'aspect action du titre est plus ou moins dans la continuité de ce que proposait le premier opus. La demoiselle a d'ailleurs ressorti son fameux couteau de cuisine pour l'occasion et ne se prive pas de s'en servir pour lacérer ses ennemis ou pour trancher des têtes. Cette suite propose aussi son lot de nouvelles armes qui restent toutes parfaitement dans l'esprit de cet univers si particulier. On peut ainsi manier un cheval bâton comme s'il s'agissait d'une masse, ou même semer des chapeaux desquels sortiront des lapins explosifs télécommandés. Alice est aussi capable de se protéger ou de renvoyer les projectiles de ses ennemis en utilisant une jolie petite ombrelle. Les combats au corps à corps sont rendus particulièrement dynamiques par un système d'esquive instantanée du plus bel effet : il suffit d'appuyer sur Maj pour que votre personnage se change un instant en nuage de papillons bleus et se téléporte un tout petit peu plus loin. Vous pouvez aussi tenir vos adversaires à distance avec deux armes à feu plutôt originales : un moulin à poivre vous tient lieu de sulfateuse tandis qu'une théière vous permet de lancer des projectiles explosifs. Notez enfin que vous pourrez dépenser les dents collectées ici ou là pour améliorer ces différentes armes. Lorsque le game over vous guette, vous serez capable de passer la petite Alice en mode Berserker pour qu'elle déchaîne sa puissance et qu'elle fasse le ménage autour d'elle. Ce mode se traduit à l'écran par un affichage en noir, en blanc et en rouge du plus bel effet. Cette toute-puissance ne dure malheureusement qu'un court instant...
Si les phases d'action ne manquent pas de dynamisme, on reprochera encore et toujours aux caméras de se montrer particulièrement capricieuses. On ne le répétera sans doute pas assez, mais ce Retour au Pays de la Folie est techniquement loin de la perfection : les angles de caméra sont souvent agaçants et quelques légers ralentissements viennent gâcher la fête. Le jeu dégage malgré tout une ambiance incomparable et vous ne tarderez pas à être séduit par son univers sombre et dérangé. On remarque d'ailleurs que les développeurs de Spicy Horse n'ont pas hésité à s'écarter des chemins balisés en intégrant des phases de jeu assez surprenantes. Préparez-vous par exemple à tomber sur un shoot'em up sous-marin ou sur une phase de plate-forme en 2D tout ce qu'il y a de plus old school. Ces ajouts ne sont pas toujours bien conçus mais ils présentent l'intérêt d'apporter un peu de diversité à l'aventure. Cerise sur le gâteau, le jeu est fourni avec un code vous permettant de télécharger gratuitement le premier volet. Dans ces conditions, il faudrait vraiment faire la fine bouche pour bouder ce Retour au Pays de la Folie. Attendez-vous à découvrir un titre hors norme avec une ambiance aussi soignée et envoutante que macabre et déjantée.
- Graphismes17/20
Cette version PC du Retour au Pays de la Folie nous réserve une belle surprise : ses graphismes sont nettement plus fins et détaillés que sur la version destinée aux consoles de salon. En somme, on profite donc non seulement d'une direction artistique hors du commun et d'un rendu graphique plutôt honnête.
- Jouabilité16/20
Les problèmes de caméra récurrents viennent plomber la maniabilité aussi bien pendant les phases d'action que de plates-formes. Ce gros défaut ne parvient cependant pas totalement à ternir l'expérience de jeu une fois que l'on est immergé dans cet univers atypique. Notez que le jeu est aussi bien jouable au combo clavier/souris qu'à la manette.
- Durée de vie17/20
Compter une bonne quinzaine d'heures pour voir le bout de l'aventure. C'est déjà une bonne moyenne pour un titre du genre mais il faut aussi savoir que les acheteurs du jeu neuf auront droit à un code pour télécharger le premier American Mc Gee's Alice.
- Bande son16/20
Les musiques sont très agréables et on apprécie de constater que les doublages français sont soignés et qu'ils bénéficient d'une traduction assez recherchée.
- Scénario16/20
Les escapades londoniennes d'Alice manquent cruellement de cohérence mais le titre vaut avant tout le détour pour l'aspect glauque à souhait du Pays des Merveilles. Les réponses trouvées par la jeune fille ont de quoi laisser plus d'un joueur sur sa faim mais on apprécie surtout le jeu pour la plongée dans la psyché humaine qu'il nous propose.
Il faut bien avouer que Alice : Retour au Pays de la Folie nous a vraiment impressionné même s'il n'est pas exempt de défauts. On ne peut par exemple pas s'empêcher de remarquer que la gestion des caméras est chaotique. Ce détail a son importance mais il ne nous a finalement pas empêché de profiter pleinement du jeu et de son univers atypique. Attendez-vous donc à retrouver pour l'occasion l'ambiance malsaine et déjantée qui faisait tout l'intérêt du premier American Mc Gee's Alice pour une aventure qui vous entraînera au plus profond de la psyché humaine.