Voilà déjà une dizaine d'années que les développeurs de The Creative Assembly font frémir de joie nos chers PC en pondant chaque fois de redoutables jeux de stratégie. Aussi, lorsque ceux-ci ont annoncé vouloir renouer avec les glorieuses origines de la série des Total War et nous plonger de nouveau en plein Japon féodal, autant dire que nos glandes salivaires se sont mises à fonctionner à plein régime. Et aujourd'hui, le résultat de cette noble volonté est enfin à portée de souris. Poussé par la grande expérience et le talent de ses développeurs, Shogun 2 : Total War se révèle finalement aussi magnifique et tranchant qu'un katana brandi par un samouraï avant la bataille. Amis Daimyo, l'heure est venue d'accueillir une nouvelle référence dans l'impitoyable monde des STR.
On se souvient en effet que le premier Shogun : Total War avait posé les jalons d'une licence rapidement devenue incontournable dans le milieu de la stratégie. Les épisodes se sont ensuite suivis, mettant toujours en œuvre un gameplay bien huilé pour nous plonger dans des époques historiques très différentes. C'est ainsi que nous avons pu aussi bien prendre le contrôle des légions romaines que des chevaliers européens ou des Grognards napoléoniens. Cela dit, cette nouvelle sortie nous propose quant à elle de retourner sur l'archipel nippon en 1545, en plein Sengoku-jidai, ce que les érudits traduisent par "l'âge des provinces en guerre". Dans l'histoire du Japon, il s'agit en effet d'une époque d'intenses turbulences sociales, d'intrigues politiques alambiquées et de conflits militaires quasi permanents, le tout concordant avec l'introduction des premières armes à feu et du christianisme... Une fois encore, The Creative Assembly fait reposer son bébé sur des bases historiques extrêmement solides et n'hésite pas à pimenter la progression à grands coups de dilemmes et de décisions à prendre parfaitement crédibles. Un vrai cours de fac interactif, et passionnant de surcroît.
Au début de la campagne, vous devrez ainsi choisir votre camp parmi les 9 clans principaux de l'époque, chacun étant basé dans un coin différent de l'archipel et offrant des bonus spécifiques. Le clan Shimazu par exemple pourra recruter ses samouraïs à moindres frais tandis que les célèbres Tokugawa bénéficieront d'avantages diplomatiques, entre autres. Mais quel que soit votre choix initial, votre but est simple : imposer votre autorité aux autres factions par la force, par la ruse et par tout autre moyen que vous jugerez bon d'employer, afin que l'empereur soit littéralement contraint de vous désigner comme le nouveau Shogun. Vous imaginez bien que les autres chefs de clans poursuivent exactement les mêmes buts et qu'ils ne capituleront pas si facilement. Vous voilà donc lancé dans une véritable guerre pour le pouvoir, riche, passionnante et impitoyable. Avec un tel terreau, The Creative Assembly a ainsi conçu un titre qui s'inscrit dans la droite ligne du très solide Empire : Total War, et même plutôt de son parent dédié à Napoléon.
Pour les joueurs non familiers avec la série, rappelons en effet que les Total War intègrent une composante wargame en tour par tour, qui se déroule donc sur une carte globale découpée en zones à conquérir. Le gameplay de ces phases n'a pas fondamentalement changé et profite des améliorations introduites par les deux précédents épisodes. Pour mener votre quête de pouvoir à bien, vous devrez tout d'abord faire avec les conditions de départ spécifiques à chaque clan, certains étant plus puissants que d'autres, mais la plupart entretenant déjà de grandes rivalités avec leurs voisins. Dans tous les cas, vous devrez d'abord vous constituer une armée digne de ce nom. Or l'armée, ça coûte cher (à produire et à entretenir). Vous allez donc devoir générer des ressources, développer vos provinces, commercer, lever des impôts... Le hic, c'est que comme dans la vraie vie, les impôts, ça fait des mécontents, il faut alors veiller au bien-être de la population... Un autre élément à prendre en compte, c'est la maîtrise des arts, qui fait office d'arbre technologique et conditionne les unités et bâtiments qu'il sera possible de construire, puisque les 2 branches s'orientent l'une vers la guerre, l'autre vers l'économie. Bref, vous l'aurez compris, il y a pas mal de paramètres à gérer dans cette partie du jeu. Mais ne vous inquiétez pas pour autant, vous pourrez choisir de profiter d'une aide permanente.
Mais si vous n'êtes pas un lâche, vous vous régalerez à paramétrer finement les taux d'imposition, à exempter des provinces dont vous souhaitez acheter l'adhésion (au risque de rendre jalouses les autres), à solliciter des ninjas pour aller assassiner un leader ou un général adverse, à employer les services de Metsuke pour fomenter des troubles chez le voisin ou assurer la stabilité de votre propre territoire. Les possibilités sont innombrables, intelligentes, même si finalement assez semblables à ce qu'on trouvait déjà dans Empire. Non, là où Shogun 2 se distingue de ses aînés, c'est par sa capacité à créer une atmosphère unique, en introduisant notamment des considérations de jeu inextricablement liées à la période. Outre le fait que le titre n'hésite pas à déployer cartes, menus et illustrations tous créés sur le modèle de sublimes estampes, il nous invite surtout à garder à l'esprit qu'à la base de chaque clan se trouve une famille. Pour assurer la stabilité de votre clan, vous devrez ainsi ménager vos frères et éventuellement marier les filles à des voisins pour renforcer vos liens. Chaque membre masculin de votre famille, ainsi que les généraux nommés par vos soins, disposent d'une jauge de loyauté envers vous, une jauge qui évolue en fonction des charges officielles que vous leur confierez, des victoires qu'ils remporteront, mais aussi de leur caractère...
Ces derniers gagneront de l'expérience avec le temps, pourront profiter des services d'assistants et développer leurs compétences. Mais les bougres pourront aussi mourir sur le champ de bataille, finir assassinés, ou plus rarement succomber à leur grand âge. Mais le plus grand risque, c'est encore de voir leur succès leur monter à la tête, au point d'en venir à vous trahir et retourner leurs hommes contre vous ! Lorsqu'on s'intéresse à cette période de l'Histoire, on ne peut qu'apprécier ces justes retournements de situations. Et prenez garde à ce que tout cela ne vous empêche pas de veiller à votre prestige personnel, qui changera en fonction de vos décisions. En choisissant par exemple d'occuper pacifiquement une ville conquise plutôt que de la piller pour de l'or, vous éviterez de trop ternir votre image et donc d'attirer les foudres du shogunat ou de vos propres ouailles. Enfin, pour terminer et pour rester dans le trip Japon féodal, sachez qu'il est également possible de rançonner un voisin plus faible ou d'en faire en vassal, tout en veillant à éviter un soulèvement, toujours très courant.
Quoi qu'il en soit, vous n'échapperez pas à la nécessité absolue d'en passer par les armes pour imposer votre volonté. Ainsi, si une option permet de résoudre automatiquement les batailles, nous vous recommandons de ne réserver cette dernière qu'aux affrontements gagnés d'avance, lorsque vous disposez par exemple d'une supériorité numérique écrasante. En cas de bataille plus équilibrée, mieux vaudra prendre directement le commandement de vos troupes sur le terrain pour éviter toute déconvenue. Comme dans Empire, ces batailles en temps réel sont l'épine dorsale du soft. Cela commence avant toute chose par le placement des troupes pendant la phase déploiement. Il faut essayer de prendre avantage du terrain, d'anticiper la position et les mouvements de l'adversaire. Puis, lors de l'assaut proprement dit, il faut user de toute votre matière grise pour battre l'ennemi et s'accrocher comme un beau diable. Car malgré quelques rares comportements hasardeux, il faut avouer que l'intelligence artificielle donne du fil à retordre surtout lorsqu'on booste la difficulté. Il vous faudra ainsi apprendre à utiliser au mieux vos Ashigaru Yari (lanciers) contre la cavalerie en les postant à proximité des archers - aux munitions limitées - ou des possesseurs de fusils à mèche (plus puissants et disposant d'une meilleure portée que les archers traditionnels). On se servira également des samouraïs ou des moines comme de troupe de choc et de la cavalerie pour les charges décisives ou le harcèlement si elle se trouve équipée d'arcs.
La plupart des unités disposent en outre de plusieurs formations et de capacités spéciales, pour peu que vous les ayez débloquées auparavant. On pense par exemple aux flèches enflammées, à la formation en triangle pour la cavalerie, aux formations dispersées pour minimiser les pertes dues aux projectiles, etc. Ajoutons à cela des unités spéciales comme les grenadiers de certains clans ou les ninjas, idéal pour s'infiltrer dans une citadelle et capturer des bastions. Car le jeu propose également de jouer de nombreux sièges ! A ce titre, on notera d'ailleurs qu'il vous faudra parfois capturer des bâtiments spécifiques sur certaines cartes : un sanctuaire vous procurera un bonus de moral, un stand de tir ravitaillera les unités d'archers à proximité en munitions et les fermes vous donneront un surplus de vitesse et d'endurance (les troupes se réapprovisionnant en victuailles sur place). Car vous devrez effectivement veiller au moral et au "bien-être" de vos troupes. Des troufions malmenés par l'ennemi auront tôt fait de prendre leurs jambes à leur cou et de générer un sentiment de panique contagieuse dans vos lignes. Pour tenter de contrer la panique, on cherchera à faire bon usage des généraux, qui offrent des bonus de moral aux troupes placées dans leur rayon d'action (matérialisé à l'écran par un cercle bleu) en plus de leurs aptitudes à encourager ponctuellement des régiments ou à rallier les fuyards.
Enfin, l'ultime élément qu'il convient de prendre en considération tient aux conditions météo, changeantes en fonction de la saison. Se battre en hiver, dans un froid intense, influe sur le moral des troupes et peut même causer des épidémies ou des désertions. A même le terrain, blizzard ou brouillard nuisent à la visibilité et cachent parfois certaines unités jusqu'à ce qu'elles fondent sur vos archers, qui n'auront plus alors que leur slip pour se protéger. Les généraux avisés sauront d'ailleurs en tirer parti pour contourner l'adversaire et fondre à l'improviste sur des machines de guerre. Bref, avec tout cela, et même si une fois engagé en mêlée il ne reste plus généralement qu'à observer les combattants superbement modélisés s'embrocher avec plus de conviction que jamais, on peut dire que Shogun II apparaît comme l'épisode de la série le plus abouti à ce jour, ce qui n'est pas peu dire. En effet, la réalisation n'est pas en reste et offre un rendu assez impressionnant, avec une physique de haute volée. D'ailleurs, ne comptez pas faire tourner le jeu avec autre chose qu'une bête de guerre, la config minimale annoncée par les développeurs n'étant qu'une vaste fumisterie. Il faudrait également un autre test pour évoquer le multijoueur, ultra complet, permettant de créer de toutes pièces son propre clan qui évoluera au fil du temps. On appréciera également la possibilité d'inviter un autre joueur à prendre le contrôle d'un autre clan au sein de votre campagne. Bref, avec tout cela, Shogun II nous est apparu comme un véritable monstre du genre, capable de nous maintenir rivés à notre écran des mois durant.
- Graphismes17/20
Au-delà de son moteur 3D impressionnant, Shogun 2 vaut surtout le détour pour ses grandes qualités artistiques : entre une interface qui s'inspire des estampes et des combattants modélisés dans le moindre détail, on profite d'un superbe enrobage. Sur le terrain, on a l'impression d'assister à une véritable bataille avec des lignes de milliers de combattants qui s'entremêlent, s'étripent et s'effondrent dans un fracas assourdissant. Les batailles navales, toujours présentes, nous permettent quant à elles d'observer des navires finement modélisés, fourmillant de vie, évoluant sur une eau criante de vérité.
- Jouabilité18/20
Les habitués de la série seront en terrain connu. Shogun 2 reprend la plupart des mécaniques employées dans Empire : Total War tout en insérant une foultitude d'éléments propres à la période Sengoku-jidai : gestion intelligente du clan en tant que famille, honneur des Daimyo, trahisons, rivalités permanentes, conflits liés à l'introduction du christianisme dans l'archipel, tout est là pour nous mettre dans l'ambiance. Le mélange de gestion au tour par tour et de bataille en temps réel est toujours aussi délectable. Quant aux affrontements armés en eux-mêmes, aussi bien sur mer que sur terre, il s'avèrent palpitants à jouer et à observer.
- Durée de vie18/20
Typiquement le genre de jeu grâce auquel il est possible de mettre à mal une vie de couple. Cette dimension éminemment chronophage, Shogun 2 la doit en premier lieu à une campagne solo jouable avec 9 factions distinctes aux troupes et aux impératifs variés. Il est même possible de laisser un autre joueur prendre le contrôle d'un des clans présents sur la carte. Le soft propose en outre 4 batailles historiques ainsi qu'un multijoueur complet, dans lequel on pourra notamment faire évoluer son avatar et son propre clan sur la longueur.
- Bande son16/20
Les musiques, très agréables, tapent dans des thèmes japonais traditionnels. On comptera notamment sur des tambours et des voix graves associés à des compositions plus classiques aux tonalités orientales. Si cela ne plaira pas à tout le monde, force est de constater qu'on se retrouve plongé dans l'ambiance. Même constat pour les voix et les bruitages, d'excellente qualité quelle que soit la phase de jeu.
- Scénario17/20
S'il est difficile de parler de véritable "scénario", Shogun 2 se place au plus proche de la réalité historique sans jamais sombrer dans une complexité outrancière. Un véritable tour de force quand on sait à quel point la période concernée tient du gigantesque foutoir. Le soft de The Creative Assembly est tout simplement passionnant, nous mettant régulièrement aux prises avec des situations réelles de manière ludique. Les amateurs d'histoire japonaise auront du mal à garder le contrôle de leur vessie.
Comme annoncé par ses développeurs, Shogun 2 constitue un véritable retour aux sources de la série, un sublime hommage qui se paie tout simplement le luxe de rassembler en son sein le meilleur de Total War. Un contexte passionnant fidèlement retranscrit, une gestion intelligente aux multiples possibilités et des batailles aussi riches en possibilités tactiques que spectaculaires, voilà ce qui compose la recette de ce nouveau monument du STR. Incontournable.