Le MMORPG est actuellement en recherche de son second souffle. Pour les nouveaux arrivants sur le marché, il ne s'agit même plus d'essayer de rivaliser avec World of Warcraft, mais de trouver le moyen de survivre au-delà de la première année d'exploitation autrement qu'en switchant sur un modèle économique free to play. Il faut dire que les joueurs commencent à se lasser de la sclérose créative et à refuser de payer pour des expériences trop similaires les unes aux autres. C'est dans ce contexte particulièrement difficile que sort Rift, un MMO peu original nourri d'influences diverses, qui mise sur la viabilité d'une souscription mensuelle. Le pari est osé.
Le risque est certes grand, mais il est mesuré. Car s'il est développé par un jeune studio californien, Rift est paradoxalement l'œuvre de vieux briscards du MMO. Co-fondé par Jon Van Caneghem (le papa de la série Heroes of Might & Magic a depuis quitté le navire), Trion Worlds compte en effet dans ses rangs des anciens de NC Soft et de Sony Online Entertainment, parmi lesquels Bill Trost et Nicholas Beliaeff, deux des créateurs d'Everquest. Autant dire que le premier MMO du studio ne pouvait partir de zéro ! Mais à côté de ça, le jeu n'hésite pas non plus à emprunter des bonnes idées à droite et à gauche. Le background évoque celui d'Aion, la jouabilité lorgne du côté de World of Warcraft, le système de failles et d'invasions doit autant à Warhammer Online qu'à Tabula Rasa, les collections sortent tout droit d'Everquest II, etc. On pourrait citer bien d'autres références ; mais l'important, c'est de savoir si Rift parvient à digérer les influences dont il se nourrit, et si au-delà de son aspect composite, il parvient à offrir un gameplay cohérent et à dégager une vraie personnalité.
Rift se déroule dans le monde fantastique particulièrement instable de Telara. Il y a bien longtemps, les peuples humanoïdes s'étaient unis pour repousser le terrible dragon Regulos, dieu de l'extinction, et ses serviteurs de la Tempête Sanglante. Ils étaient parvenus à bannir tout ce joli monde dans les plans et à tisser une barrière impénétrable, le Voile, censé les protéger à l'avenir de cette menace. Hélas, lors d'une terrible guerre civile qui divisa les humains, un prince avide de pouvoir suivit la volonté de Regulos et causa une puissante explosion qui eut pour effet de lacérer le Voile. Depuis, le monde est en proie à de fréquentes attaques du dieu dragon et de ses serviteurs, qui affaiblissent et déchirent la protection magique. Des failles s'ouvrent régulièrement un peu partout, déversant des hordes de créatures issues des plans. Pour ne rien arranger, les peuples de Telara sont divisés : si les deux factions en présence, les Gardiens et les Renégats, cherchent chacune à sauver le monde, leurs croyances et leurs méthodes diffèrent, si bien qu'elles s'affrontent presque aussi souvent qu'elles luttent contre les envahisseurs planaires.
Le jeu vous propose d'incarner un Élu, un personnage de légende ressuscité pour libérer Telara de la menace de la Tempête Sanglante. En fonction de la faction à laquelle vous choisissez d'appartenir, vous bénéficiez d'un background et d'un prologue différents. Mais vous devez préalablement créer votre avatar, en commençant par opter pour l'un des trois peuples liés à chaque faction (Mathosien, Elfe et Nain côté Gardiens, ou Kelari, Eth et Bahmi côté Renégats, avec quelques traits raciaux à la clé), puis en sélectionnant l'un des quatre archétypes disponibles : guerrier, clerc, voleur et mage. Il ne vous restera plus qu'à définir votre apparence physique grâce à un éditeur suffisamment complet, mais qui ne représente pas ce qu'on a vu de mieux en la matière. Il faut dire que les différentes races sont assez typées (s'éloigner du look de base équivaut souvent à enlaidir son personnage), mais que le character design perdu quelque part entre Lineage et Everquest 2 ne dégage paradoxalement pas grand chose sur le plan artistique. Même constat au niveau des environnements de jeu, variés et bien agencés mais sans doute un peu froids.
Bien que les deux zones de départ soient solidement scénarisées, elles risquent de desservir le jeu tant elles donnent l'impression de s'adonner à un MMORPG lambda et ne témoignent en rien de ses qualités propres. Les néophytes apprécieront sans doute de prendre doucement leurs marques, mais les vieux routards auront l'impression (qui s'estompera heureusement par la suite) de s'adonner à un vulgaire clone de World of Warcraft. Il faut dire que la jouabilité de Rift est très proche de celle du hit de Blizzard, ce qui est en soi un compliment : de la résolution des combats à l'agencement des quêtes en passant par la gestion de l'inventaire et le design global de l'interface, les emprunts sont manifestes. Tout se fait donc de façon aussi simple et naturelle, et c'était là le souhait de l'équipe de Trion, qui voulait son MMO le plus accessible possible. Mais la comparaison avec WoW s'arrête là (ou presque) dans la mesure où Rift offre une évolution de personnage beaucoup plus intéressante et un PvE bien plus exigeant. Ses deux atouts, ce sont indéniablement son système d'âmes et ses mécanismes de failles.
Le système d'âmes, pour commencer, vous offre une réelle latitude dans le développement de votre personnage, surprenante dans un MMO occidental et ô combien appréciable ! Votre avatar bénéficie en effet de trois spécialisations différentes (à choisir parmi huit possibles pour chaque classe), entre lesquelles vous n'avez pas besoin d'alterner : vous bénéficiez simultanément de tous les avantages qu'elles vous procurent et de toutes les compétences (actives ou passives) que vous avez débloquées dans les arbres prévus à cet effet. Pour prendre un exemple, votre voleur peut être à la fois Tireur d'élite (spécialisé dans le combat à distance), Rôdeur (doté d'un familier à envoyer au corps-à-corps) et Barde (capable de booster ses compagnons). Voilà de quoi affiner votre style de jeu, sachant qu'il vous faudra tout de même essayer de trouver le bon compromis entre polyvalence et spécialisation. D'autant qu'à mesure que vous investissez des points dans un arbre donné, vous débloquez des talents supplémentaires sur ses "racines", qui vous permettent de vous spécialiser encore plus si tel est votre souhait.
Le système d'âmes donne donc lieu à d'innombrables combinaisons, dont certaines seront bien entendu bien plus viables que d'autres. Vous pouvez réellement "rater" votre personnage (bien qu'une re-spécialisation soit toujours possible), d'autant que l'obtention de vos trois âmes survient assez précocement dans la progression. Et ça, ça n'a pas de prix ! Qui plus est, plusieurs fonctionnalités viennent en appui de cet ingénieux concept. Sachez d'abord que vous pouvez profiter d'une âme dédiée spécifiquement au PvP : il y en a une par archétype, susceptible de remplacer l'une de vos trois âmes classiques et de vous procurer alors des bonus tournés vers l'affrontement contre d'autres joueurs. Vous avez en outre la possibilité d'acheter un deuxième rôle, qui vous autorise à conférer d'autres spécialités à votre personnages et de switcher ensuite librement entre les deux profils en fonction de la situation. La progression dans Rift est donc fichtrement intéressante, d'autant que le jeu, particulièrement riche en matière de quêtes, ne vous astreint jamais à un fastidieux farming pour vous permettre de monter en niveau.
Le deuxième point fort de Rift, c'est son système de failles, qui rend le PvE assez imprévisible. Des failles planaires d'un certain type (feu, eau, terre, air, vie ou mort) s'ouvrent régulièrement dans les zones de jeu où vous évoluez. A l'occasion de ces phénomènes particulièrement spectaculaires, le ciel s'assombrit, l'environnement s'altère et des créatures planaires pénètrent dans Telara. Pour espérer vaincre ces envahisseurs et refermer la faille, vous devez combiner vos efforts à ceux des autres joueurs à proximité, avec lesquels vous êtes groupé à l'invite, à la manière des quêtes publiques de Warhammer Online. La fermeture d'une faille se déroule selon plusieurs phases consistant en des spawns de monstres puissants, jusqu'à l'affrontement contre un boss. Si vous sortez victorieux, vous bénéficiez d'une récompense qui est fonction de votre contribution personnelle. Mais si personne n'intervient pour refermer la faille, les créatures planaires sont susceptibles de se regrouper et de converger vers un objectif plus ambitieux : les avant-postes, où vous attendent généralement tous les PNJ utiles (donneurs de quêtes, marchands, soigneurs...).
Et c'est là que ça devient diablement intéressant, puisque les forces ennemies peuvent tuer les PNJ et prendre le contrôle de l'avant-poste en détruisant sa pierre protectrice, vous contraignant alors à essayer de reprendre les lieux avec les joueurs alentours si vous avez besoin d'y valider une quête. De temps en temps, vous êtes soumis à des invasions dites "majeures", à l'occasion desquelles des failles s'ouvrent de partout, déversant leurs cohortes de créatures issues des plans. Tous les joueurs sont alors invités à se mobiliser pour défendre la zone. Concrètement, cela passe par l'accomplissement d'objectifs communs nécessaire pour repousser l'invasion, avec à la clé un affrontement contre un boss surpuissant. Même s'il peut sembler un peu répétitif à la longue, le système de failles fonctionne à merveille et anime agréablement les serveurs. Il ne reste plus à espérer que lorsque les premières zones de jeu seront moins peuplées, les nouveaux arrivants n'auront pas trop de mal à quêter et ne passeront pas leur temps à attendre que quelqu'un vienne les aider à reprendre un avant-poste. C'est un peu le revers de la médaille.
Le système d'invasion a aussi la particularité d'être applicable au JcJ. Dans les zones contestées, vous pouvez en effet vous emparer des avant-postes détenus par les PNJ liés à la faction opposée. Voilà une bonne occasion de se disputer des territoires dans le cadre d'un RvR certes limité, mais qui a le mérite d'exister. Et ce n'est pas la seule possibilité de PvP ouvert, puisque certains items permettent de se téléporter dans une zone adverse pour aller en découdre avec l'ennemi. Enfin, les joueurs préférant un JcJ plus encadré bénéficient de plusieurs champs de bataille thématiques et inter-serveurs (quatre pour le moment, mais d'autres devraient être implémentés rapidement), selon un principe déjà vu ailleurs, que ce soit dans World of Warcraft ou Warhammer Online. On y retrouve des modes martyr, domination ou capture du drapeau, ainsi qu'un BG plus sophistiqué mêlant objectifs PvP et PvE. L'ensemble est certes classique mais reste assez efficace. Si le PvP manque encore un peu d'équilibrage et n'est à l'évidence pas l'atout-maître du jeu, il est loin d'avoir été intégré à l'arrache.
Rift apporte aussi son lot de satisfactions concernant le jeu en groupe. Il faut d'abord savoir que le PvE n'est pas si facile : les zones de jeu sont quadrillées par les monstres, l'agro multiple est souvent fatale à un personnage isolé et les pénalités de mort ne sont pas négligeables. D'où l'intérêt de se regrouper pour effectuer certaines quêtes plus délicates. Rift propose également son lot de donjons instanciés à parcourir à 5. Là aussi, s'ils se montrent classiques, ils sont particulièrement bien designés, qu'il s'agisse d'un voyage parmi les quatre saisons, d'une descente dans une crypte lugubre ou d'une visite d'une cité troglodyte. Qui plus est, ils réservent toujours une petite surprise qui vient pimenter l'action à un moment ou à un autre. En ce qui concerne le haut niveau, on compte pas mal sur les raids de faille, qui permettront à des groupes de 10 joueurs de livrer des combats épiques contre des créatures d'exception. Enfin, si toutes les fonctionnalités liées aux guildes ne sont pas encore disponibles à l'heure où nous écrivons ces lignes, la présence de quêtes et de récompenses de guilde au lancement du jeu est une agréable surprise.
De manière générale, le contenu est d'une complétude et d'une finition exemplaires pour une release. Vous disposez d'un solide système d'artisanat doté de plusieurs métiers de collecte et de production, qui servent à confectionner des items variés (potions, équipements, runes...). Des quêtes journalières de craft, avec récompenses à la clé, permettent d'acquérir des recettes spécifiques. Et si les équipements lootés ne vous plaisent pas, pourquoi ne pas les désassembler pour récupérer des matériaux ? Bien entendu, les autres fonctionnalités indispensables à tout bon MMORPG sont là : montures, familiers, banque, hôtel des ventes... Rien ne manque à l'appel. Le système de collections, hérité de Everquest 2, est un peu la cerise sur le gâteau : pour peu que vous ouvriez bien l'œil, vous trouverez ça et là de nombreux artefacts, qui spawnent aléatoirement dans les différentes zones de jeu. Et en rapportant une série complète à un PNJ, vous pouvez bénéficier de jolies récompenses. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire à propos de Rift, mais la place nous manque, ce qui est tout de même la marque d'un jeu extrêmement complet !
- Graphismes15/20
Si l'on met de côté les animations un tantinet rigides des personnages, Rift se montre techniquement irréprochable. La direction artistique se révèle moins convaincante : le design est assez froid et peu inspiré, bien que cela reste au fond une affaire de goûts.
- Jouabilité17/20
Rift est un MMORPG accessible à tous, qui bénéficie d'une excellente prise en main et s'appuie sur des mécanismes de jeu qui ont fait leurs preuves. A côté de ça, les systèmes d'âmes et de failles lui confèrent une vraie personnalité. La grande variété des compétences et des profils disponibles apporte un certain dynamisme aux combats.
- Durée de vie17/20
Entre le contenu PvE (quêtes et donjons instanciés), les événements de failles, les différentes possibilités de PvP, les fonctionnalités liées aux guildes et les systèmes d'artisanat et de collection, vous ne risquez pas de vous ennuyer durant votre progression. Il ne reste plus à espérer que le haut niveau suivra.
- Bande son15/20
Si les thèmes musicaux, d'une qualité assez inégale, ne sont pas vraiment marquants, on apprécie le soin particulier accordé aux bruitages, qui se révèlent d'excellente qualité. Même si quelques textes restent encore à traduire, la qualité des doublages en français est très correcte.
- Scénario15/20
Rift bénéficie d'un background solide (bien que peu original) et surtout bien exploité par les quêtes disponibles, ce qui n'est pas le cas dans tous les MMO. Dommage que les quêtes elles-mêmes souffrent d'un certain manque de variété.
En matière de MMORPG, on ne sait jamais de quoi sera fait demain. Ce qui est sûr, c'est que malgré l'inconnue qui plane sur le haut niveau, Rift est un très bon représentant du genre, agréable à jouer, particulièrement complet et doté d'un degré de finition admirable pour un lancement. Si de prime abord, ses emprunts et ses influences manifestes l'empêchent de faire valoir une vraie personnalité, on finit par s'attacher à son PvE intéressant et à son développement de personnage gratifiant – ce dont peu de MMO occidentaux peuvent encore se targuer aujourd'hui. Il s'agit donc d'une excellente alternative aux ténors du genre, à réserver en priorité aux nouveaux arrivants, mais à conseiller aussi à tous ceux qui voudraient s'extraire un moment d'Azeroth.