Quand Bethesda Softworks a annoncé son intention de donner une suite rapide à Fallout 3, basée sur le même gameplay et sur le même moteur hérité du dernier Elder Scrolls, les détracteurs du jeu commençaient déjà à ironiser. A un détail près : Fallout New Vegas serait développé par Obsidian Entertainment, un studio fondé sur les cendres de Black Isle, et chapeauté par Chris Avellone, connu pour son travail sur Fallout 2. Et là, tous les sarcasmes ont cessé pour laisser la place à une religieuse attente.
Fallout New Vegas a été conçu dans une optique des plus louables : réconcilier les fans historiques de la franchise, qui restent fermement attachés aux deux premiers épisodes, avec l'orientation qu'elle a prise dans Fallout 3. Autant dire que l'entreprise relevait de la gageure, et s'il n'était pas question de modifier les fondements d'un gameplay qui lui a attiré un nouveau public, quelques retouches pouvaient suffire à maquiller cet excellent Elder Scrolls post apocalyptique en un digne rejeton de la saga. Avec son système de réputation, son mode Hardcore, ses perks tous les 2 niveaux et le retour des traits, Fallout New Vegas y va donc de son élitisme flatteur saupoudré de fan-service : les retrouvailles avec la République de Nouvelle Californie, le retour des Geckos et – cerise sur le gâteau – l'utilisation de quelques thèmes musicaux composés par Mark Morgan pour Fallout 1 & 2, provoqueront l'érection des plus blasés. Reste à savoir si ces citations obligatoires ne servent qu'à promouvoir la version 3.5 d'un titre jadis conspué par les fans, ou si elles témoignent d'un véritable retour aux sources.
L'histoire de Fallout New Vegas se déroule au beau milieu des plaines arides et rocailleuses du désert de Mojave, dans le Nevada. La République de Nouvelle Californie et la Légion de Caesar, deux factions rivales et antagonistes, s'y livrent une lutte sans merci pour la possession du barrage Hoover. L'enjeu ? Les réserves d'eau et d'électricité, promesses d'une nouvelle civilisation. Au nord de la région, un mystérieux "bienfaiteur" a déjà rebâti la sienne : New Vegas est la résurrection de la cité du vice sur les cendres de l'ère atomique. Toxicos, prostituées et laissés pour compte hantent les lieux à la recherche de cette part de rêve qu'on leur a promise, tandis que les parvenus affluent dans les salles de spectacle et dans les casinos pour dilapider leur fortune. C'est là que vous trouverez la conclusion de votre périple, mais pour l'heure, vous vous réveillez dans le village de Goodspring, un toubib à votre chevet. Ce dernier vient de recoller vos morceaux après qu'un groupe de mafieux vous ait abattu et laissé pour mort dans le cimetière local. Vous n'êtes pourtant qu'un simple coursier ; ces crapules s'intéressaient-elles au contenu de votre livraison ? Quoi qu'il en soit, vous décidez de vous venger en vous mettant à la recherche de vos agresseurs, ce que vous pourrez faire dès que le doc aura fini de vérifier votre identité. C'est l'occasion d'une création de personnage plus sobre que celle de Fallout 3, mais tout aussi originale et bien plus drôle : les commentaires qui accompagnent la détermination de vos caractéristiques (les fameuses S.P.E.C.I.A.L.) et l'inénarrable test de Rorschach marquent le retour d'un humour décalé, typique de la série, qu'on avait un peu perdu dans l'opus précédent. Notez toutefois qu'une intelligence de 1 n'aura pas les mêmes répercussions que dans les premiers Fallout : la débilité mentale semble toujours aussi politiquement incorrecte.
Et pourtant, Dieu sait que vous risquez de ne pas trouver vos mots devant le rendu visuel du jeu, qui vous renvoie cinq ans en arrière. Fallout New Vegas est moche, voire parfois hideux, et pas qu'un peu. Depuis qu'on savait qu'Obsidian reconduirait le moteur graphique de l'épisode précédent, hérité d'Oblivion, on se doutait bien qu'il faudrait composer à nouveau avec des textures dégueulasses, un éclairage raté, des animations datées et des expressions faciales figées. Mais on ne s'attendait pas à ce que cette suite soit aussi mal optimisée. Sur des machines où Fallout 3 tournait parfaitement au plus haut niveau de détails, New Vegas accuse des chutes de framerate aussi inexplicables qu'inacceptables. Les joueurs console subiront même des freezes avec obligation de redémarrer la machine. Obsidian n'a décidément rien à envier à Bethesda en matière de programmation. Mais le plus grave, c'est que Fallout New Vegas témoigne d'un manque terrible d'ambition artistique. Plus cohérent que celui de Fallout 3, l'univers du jeu ne dégage paradoxalement pas autant de personnalité. Les différentes villes affichent une architecture peu inspirée qu'Obsidian tente vainement de relever en plaçant ça et là une montagne russe rouillée ou une statue géante. La cité de New Vegas, presque aussi découpée que Washington D.C. pouvait l'être dans l'épisode précédent, est affublée d'un design d'une pauvreté sans nom, que les enseignes lumineuses ne parviennent pas à sauver. On est loin de Megaton, de Rivet City et du village des enfants, qui conféraient une sobre magnificence à l'univers postapocalyptique de Fallout 3. Le problème, c'est que l'atmosphère générale souffre de cette direction artistique douteuse : aussi intéressant soit-il, l'univers traîne comme un boulet ses environnements fades et ses PNJ génériques.
Que ce paragraphe assassin ne vous rebute pas trop, car à l'instar d'un Fallout 2 qui avait déçu sur ses aspects visuels, la richesse de New Vegas est ailleurs. A commencer par un système de réputation qui vient en appui de quêtes à tiroirs particulièrement bien écrites. L'univers abonde de factions variées pour lesquelles vous pouvez travailler : la RNC et la Légion de Caesar, mais aussi les Poudriers, les Disciples de l'Apocalypse, les Sosies du King (sic), différents clans de goules et de super-mutants, sans oublier la population de toutes les villes traversées ainsi que celle de plusieurs camps de mineurs et de caravaniers. En aidant l'un de ces groupes, vous boostez votre réputation envers lui, mais vous risquez de vous attirer les foudres de la faction avec laquelle il a maille à partir, avec toutes les conséquences que cela entraîne à plus ou moins long terme. Ainsi, dès le début du jeu, vous vous voyez déjà contraint de choisir entre le parti de Goodsprings et celui des Poudriers, des détenus soumis aux travaux forcés. Lorsqu'un peu plus tard, vous aurez à vous rendre dans une prison dont un groupe de mutins a pris le contrôle, la réaction de ces derniers sera fonction de vos relations avec les Poudriers : ils tireront à vue ou accepteront de parlementer, rendant l'expérience de jeu très différente puisqu'un assaut armé pourrait même vous priver de la possibilité de recruter un compagnon de route. Le système de factions est donc un ajout terriblement séduisant, même si on peut regretter que le jeu ne fasse pas assez "dans le social" et vous pousse trop souvent à taper sur les uns ou sur les autres : pour rester sur notre exemple, une bonne réputation envers les Poudriers ne vous empêchera pas de devoir nettoyer le casino de Primm, infesté de poudriers « renégats » avec lesquels vous ne pouvez négocier. Un peu facile...
Fallout New Vegas regorge toutefois de possibilités directement liées à vos compétences ou à vos caractéristiques S.P.E.C.I.A.L., et en ce sens, c'est un jeu bien plus roleplay que pouvait l'être Fallout 3. Ici, c'est un expert en explosifs que vous devrez convaincre de vos connaissances en la matière pour qu'il vous laisse profiter de son arsenal. Là, c'est un robot défectueux que vous pourrez réparer afin qu'il devienne un compagnon bien utile. Là encore, votre maîtrise du crochetage vous permettra d'accéder, au détour d'une mission, à un développement que vous ne soupçonniez pas. Ce sont ces situations qui vous aident à façonner progressivement votre personnage et contribuent à rendre votre expérience de jeu unique parmi toutes les autres. Pour en revenir à vos capacités, sachez que New Vegas propose une légère réorganisation des compétences d'armes à feu (désormais regroupées en une seule) et marque l'arrivée d'une petite nouvelle : la survie. L'utilité de cette dernière se mesure surtout dans le mode Hardcore, dont l'activation optionnelle entraîne plusieurs conséquences. En premier lieu, la nécessité de boire, de manger et de dormir régulièrement pour ne pas souffrir des effets liés à ces carences. Si on apprécie que ces paramètres viennent enrichir une dimension survie trop peu prépondérante dans Fallout 3, ils se révèlent hélas trop gadgets et sans effet sur le challenge, la faute à une trop grande profusion de consommables. Même problème pour l'artisanat, plus développé puisqu'il recouvre désormais davantage de domaines et nécessite un outil de travail (feu ou établi dédié) : s'il est sympa de pouvoir griller soi-même ses steaks de brahmine et de démonter, modifier et crafter ses munitions, ça n'est nullement indispensable vu l'abondance de ces ressources. Voilà donc deux fonctionnalités prometteuses sabordées par de mauvais réglages.
Le mode Hardcore inclut malgré tout d'autres aspects plus convaincants : dormir ne permet plus de recouvrer ses points de vie et les stimpacks ne soignent plus les membres infirmes (il faut pour cela aller voir un docteur ou disposer d'un précieux kit médical). Du coup, il n'est pas rare de finir un combat avec un bras cassé, une patte folle ou de gros maux de tête ; voilà qui accroît sensiblement le réalisme du jeu ! Pour ne rien arranger, les combats sont assez ardus en début de jeu en raison de l'abandon total, réclamé par les fans, du level scaling : un super-mutant vous "oneshotera" sans problème à bas niveau. Les développeurs ont d'ailleurs profité de ce parti-pris pour accoucher d'un level design qui oriente légèrement votre progression au moyen de groupes de griffemorts et de montagnes infranchissables. D'aucuns apprécieront, d'autres moins, l'essentiel étant que le plaisir de l'exploration soit resté intact. Que penser au final de ce Fallout New Vegas ? Que c'est un excellent jeu de rôle qui n'a pas grand chose à envier à Fallout 3 : ses immenses qualités compensent très largement sa technique datée et son univers peu attirant au premier abord. Il est toutefois regrettable que l'expérience de jeu soit entachée de tous ces petits défauts hérités de son prédécesseur, qu'on espérait voir corrigés : l'interface peu pratique, l'IA des ennemis à la ramasse, les soucis de caméra lors des dialogues ou encore les quelques problèmes de cohérence qui nuisent parfois à la crédibilité du propos (cf. le médecin qui accepte que vous pilliez sa maison, mais pas que vous dormiez dans le lit où vous venez pourtant de passer plusieurs jours). S'y ajoutent ici des bugs bien trop fréquents et une traduction française en proie à quelques errances. Rien de bien grave, cependant, en regard du monstrueux potentiel rôlistique de ce titre à ne manquer sous aucun prétexte.
- Graphismes11/20
L'aspect graphique n'a pas évolué depuis Fallout 3, et se montre clairement inférieur à ce que pouvaient laisser espérer les derniers DLC. New Vegas affiche un rendu visuel techniquement désuet, couplé à une direction artistique sans éclat et à un manque flagrant d'optimisation.
- Jouabilité18/20
Toujours aussi solide, le gameplay s'enrichit de nouvelles fonctionnalités. Certaines sont un peu gadgets (on pense au mode Hardcore), d'autres purement jouissives (le système de réputation liées aux factions). Ceux qui s'attendaient à une refonte de l'interface devront par contre repasser.
- Durée de vie17/20
Un peu moins étendue que celle de Fallout 3, l'aire de jeu de Fallout New Vegas s'avère en contrepartie plus fouillée et cohérente. Les quêtes annexes et les différents défis (cf. les capsules spéciales) sont la promesse d'innombrables heures de jeu et d'un certain potentiel de rejouabilité.
- Bande son16/20
Enrichie de thèmes musicaux de Mark Morgan tout droit sortis des premiers Fallout, la bande-son plus sombre et plus pesante de New Vegas colle bien mieux à l'univers du jeu. Les bruitages sont toujours trop discrets et les doublages en français sont tout de même un peu inégaux.
- Scénario14/20
L'univers de Fallout New Vegas aligne des environnements génériques truffés de PNJ sans aucune personnalité. Heureusement, la trame principale et les missions annexes font preuve d'une qualité d'écriture qui, sans être du niveau des premiers opus, est supérieure à celle de Fallout 3.
A l'instar d'un certain Fallout 2, Fallout New Vegas apparaît de prime abord comme une timide évolution de son prédécesseur, affublée d'un aspect visuel techniquement repoussant et artistiquement peu inspiré. Il suffit pourtant de s'y plonger avec suffisamment de conviction pour mesurer l'importance de chaque apport, à commencer par le système de réputation lié aux factions. On appréciera alors la cohérence remarquable de l'univers ainsi que la richesse incommensurable des possibilités offertes. En boostant l'aspect jeu de rôle du précédent opus, Obsidian devrait même permettre à son bébé d'être adopté par les fans les plus hardcore de la série. Il est toutefois difficile de pardonner les nombreux problèmes techniques du jeu et son optimisation perfectible, qui nous conduisent à sanctionner légèrement la note finale.