Si vous aussi, vous commencez à en avoir ras le képi de ces STR où la victoire ne semble tenir qu'à la quantité de troupes que l'on balance sur la tronche de l'ennemi, alors peut-être devriez-vous jeter un oeil à la dernière production en date des parents d'Act of War. R.U.S.E., puisque c'est là le nom de la bête, redonne en effet ses lettres de noblesse au S de STR en introduisant avec intelligence les concepts de désinformation et d'espionnage. Bienvenue dans un monde où l'issue des combats se décide souvent au bout du canon d'un tank factice...
Avant de plonger au coeur de R.U.S.E. et de brosser un généreux tableau des tactiques de fouine qu'on pourra utiliser pour tromper et écraser l'adversaire, prenons quelques secondes pour nous remémorer le contexte. Le titre nous entraîne en pleine Seconde Guerre mondiale et nous invite, pendant les 23 missions de la campagne/tutorial, à revêtir le bel uniforme du commandant Joe Sherridan, un jeune officier américain prêt à mettre son service trois pièces sur le billot pour démontrer son gros skill de leader et accessoirement sauver l'univers. A travers la campagne, qui va nous faire intervenir sur différents théâtres d'opération plus ou moins réalistes (Afrique, Italie, France, Belgique, Pays-Bas), notre bon Sherridan va rapidement apprendre que foncer tête baissée vers l'ennemi, sabre au clair et persil entre les doigts de pied, n'est pas franchement une technique payante. Pour venir à bout du général allemand Von Richter, fin stratège, amateur de bon vin et de coups vicieux, il va devoir apprendre à feinter et à tromper son monde.
La campagne, qui tourne autour d'une bonne grosse quantité de cinématiques de qualité, va donc introduire progressivement les mécaniques d'un gameplay subtil, complexe mais qui parvient néanmoins à rester accessible. Le titre réussit en effet à mêler gestion tactique des troupes, stratégie d'ensemble incluant la collecte d'or et la production d'unités à l'utilisation de subterfuges pervers tout en restant largement compréhensible et nerveux. Un remarquable tour de force ! Petit à petit, vous allez donc apprendre à vous familiariser avec une interface minimaliste (un menu déroulant déployable en haut de l'écran), un zoom à faire pâlir d'envie un Supreme Commander et un champ de bataille qui s'il affiche bien nos unités et tout le relief, prend des airs de table de commandement ou de plan de bataille sur lequel évoluent des jetons colorés (des gros pour les unités lourdes, des petits pour les légères). De grandes flèches indiquent les déplacements de vos troupes, éventuellement ceux des gars d'en face et les objectifs apparaissent directement sur le terrain, leur description apparaissant sous forme de textes dès que vous passez votre réticule dessus.
Vos premières parties serviront ainsi à vous exposer l'importance capitale de la gestion des champs de vision (matérialisés à l'écran par des cercles dont chaque unité est le centre), le fonctionnement de l'artillerie, des blindés légers et de l'infanterie. Cette dernière, aussi fragile qu'elle soit, pourra par exemple venir à bout de colonnes de chars entières si vous la placez en embuscade dans des bois ou au détour d'une rue. On notera à cette occasion que si une unité n'est pas prévue pour affronter tel ou tel type d'adversaire, elle ne pourra tout simplement pas tirer du tout ! Plus tard, vous apprendrez à capturer des installations, à produire vos propres unités, à gérer des bombardiers, etc. Mais vous vous en doutez, le truc vraiment prenant relève de l'introduction régulière des différents types de "ruses". Il s'agit en fait de pouvoirs spéciaux applicables chaque fois à un secteur entier du champ de bataille et destinés à vous donner l'avantage. Limités dans le temps et assujettis à un cooldown, ces pouvoirs sont au nombre de 10 et peuvent/doivent être combinés entre eux pour un maximum d'efficacité.
Tenez par exemple, vous pourrez demander à vos hommes de pratiquer le silence radio ce qui les soustraira à une éventuelle détection par l'ennemi. Idéal pour se glisser discrètement derrière les lignes adverses et frapper une ligne de ravitaillement. Si vous préférez, vous pourrez parfaitement mettre vos traducteurs au travail pour qu'ils interceptent les ordres de mouvements de troupes de l'ennemi. Ceux-ci apparaîtront alors sur le terrain sous forme de flèches, permettant de mettre au point une contre-attaque efficace. Mieux, comme Patrick Bruel, on appréciera toute la dimension "bluff" de R.U.S.E.. Il est ainsi possible de se servir d'unités voire de bâtiments factices, une technique abondamment employée durant la Seconde Guerre mondiale. La présence de ces faux bâtiments tactiques et de ces chars en bois mettra l'adversaire sur de fausses pistes. Par exemple, attiré par la présence d'une division de tanks dans une zone, il passera à l'attaque avec ses propres blindés. Dépassées, vos unités battront en retraite avec l'ennemi à leurs basques. Mais, justement, cette unité totalement factice n'aura pour d'autre raison d'être que de forcer l'adversaire à déplacer ses véhicules qui, jusque-là, étaient cantonnés autour d'une place-forte constituant votre véritable objectif. La défense partie à la chasse, vous n'aurez plus qu'à frotter vos petites mimines, allumer un cigare et lâcher vos véritables troupes (peut-être planquées par un silence radio) dans la cambuse de Robert pour y voler la poule aux oeufs d'or et faire pipi sur les murs.
Plus classique est le pouvoir du "Blitz", augmentant de 50 % la vitesse de déplacement des troupes du secteur. On appréciera aussi "Fanatisme", interdisant à vos ouailles de fuir si elles subissent trop de dégâts. Mais l'une des trouvailles les plus délicieuses pour votre humble serviteur est sans doute d'offrir des "Infos Inversées" à l'ennemi. En employant cette ruse, vos unités légères apparaîtront sous la forme d'unités lourdes tandis que vos unités lourdes pourront se faire passer pour du menu fretin sur la carte ennemie. En général, le temps que le commandant adverse comprenne la supercherie (ce qu'il pourra faire en utilisant Espionnage, une ruse qui révèle les types des d'unités du secteur visé par exemple), vous aurez peut-être déjà enfoncé ses lignes. Bref, vous l'aurez compris, R.U.S.E. est un bonheur pour celui qui aime élaborer des plans de bataille torturés, prévoyant plusieurs coups d'avance comme on le fait aux échecs. Les combinaisons induites par ces pouvoirs sont grisantes, même si lors de certaines parties, on peine parfois à comprendre le pourquoi de notre défaite. Car vous imaginez bien qu'avec de telles dispositions, la campagne solo n'est pas l'endroit idéal pour profiter à plein de R.U.S.E.. Aussi sympathique soit-elle, avec sa jolie mise en scène, son histoire, ses situations désespérées et son IA de qualité, le vrai plaisir de jouer viendra lorsque vous affronterez d'autres cerveaux humains. Cela dit, si vous ne vous sentez pas encore prêt à défier l'univers, sachez que le titre d'Eugen Systems vous offre aussi des missions spéciales, sous forme de défis, bien tendus à terminer. Si c'est pas de la pure générosité ça ?
Evoquons enfin le multijoueur de R.U.S.E. et déclarons d'emblée que de ce côté-là, le jeu assure sérieusement le steak. On pourra ainsi compter sur un joli cheptel de 23 cartes dédiées aux affrontements de 2 à 8 joueurs. Et tout est évidemment paramétrable. On pourra ainsi choisir l'année du conflit 1939, 1942, 1945, ceci définissant les unités auxquelles on aura accès et opter pour l'une des 6 factions du jeu (USA, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, France et URSS), factions qui ont chacune leurs avantages. On pense ainsi à la supériorité aérienne des Anglais, aux chars lourds des Français et à la redoutable artillerie soviétique. A tout cela se greffent un joli classement en ligne ainsi qu'un système de ligues. Notez en outre que toutes vos actions, en solo comme en multi, vous permettront d'engranger des points d'expérience, de booster votre niveau, de frimer devant votre petite soeur mais aussi et surtout de trouver des adversaires de votre trempe sur le net. Du moins, c'est ce qu'on suppose, car pour l'heure, le système n'est pas toujours très probant et on se retrouve parfois forcé d'affronter de gros rouleaux compresseurs formés sur la bêta.
Cela dit, toutes nos parties se sont révélées des plus satisfaisantes et n'accusaient pas ou très peu de lag. Le gameplay est nerveux, et les stratégies possibles semblent tellement nombreuses qu'on voit mal comment on pourrait se lasser d'un tel titre. Notez toutefois que R.U.S.E. se pratique différemment des autres STR en ligne au sens où l'objectif n'est pas nécessairement d'écraser l'ennemi à plate couture, mais plutôt de remporter davantage de points que lui avant que le compte à rebours ne s'achève. Chaque unité adverse explosée rapporte en effet un certain nombre de points, en fonction de sa nature, qui s'ajoute à votre total. Visible en permanence sur un bord de l'écran, le compteur de points agit comme un solide moteur pour les joueurs. On se sentira ainsi obligé de ne pas sacrifier des troufions pour rien car imaginez que votre adversaire ait le bon goût de vaporiser 5 ou 6 escouades de fantassins abandonnées dans un coin juste avant la fin de la partie, alors que vous aviez le dessus ? Vicieux n'est-ce pas ? Mais c'est justement là tout le génie de R.U.S.E. qui s'impose sans aucun doute comme l'un des STR les plus rafraîchissants qu'il nous ait été donné de découvrir depuis un bon bout de temps. Paradoxalement, si vous vous frottez à R.U.S.E., sachez donc qu'on ne vous roulera pas dans la farine !
- Graphismes15/20
Ce qui frappe avant tout dans R.U.S.E., c'est l'excellente lisibilité de l'action. Avec son interface limpide et ses champs de bataille extrêmement vastes et détaillés qui d'un coup de zoom arrière, prennent la forme de véritables cartes de campagne sur laquelle évoluent des hordes de pions, le titre possède un cachet absolument unique. On lui pardonnera donc ses petits soucis d'affichage (sur consoles notamment) avec facilité. Ajoutons au passage que la campagne solo abonde en jolies cinématiques, ce qui devrait permettre à tout le monde de se plonger avec délectation au coeur de la tourmente.
- Jouabilité18/20
STR extrêmement solide à la base, usant de mécaniques classiques mais très bien maîtrisées, R.U.S.E. ajoute un concept inédit de pouvoirs originaux qui donnent une toute autre tournure aux affrontements. Particulièrement intense et bien pensé, car soutenu par une interface aussi redoutable que facile d'accès, le jeu permet de se concentrer uniquement sur la stratégie, sans s'empêtrer dans de multiples à-côtés. Le bébé du studio français apparaît en outre très bien équilibré et se fend d'une campagne/tutorial exemplaire. Du grand art.
- Durée de vie16/20
La campagne est solide et vous occupera plus d'une quinzaine d'heures, même si elle se borne la plupart du temps à nous enseigner les différentes mécaniques du jeu. Mais rien ne vous empêchera par la suite de tenter d'affronter l'IA en partie personnalisée, de terminer les défis du mode Opérations, de vous lancer dans quelques missions en coop avant de partir tâter d'un multijoueur qui constitue indubitablement le principal intérêt de R.U.S.E.
- Bande son15/20
R.U.S.E. profite d'une bande-son de très bonne qualité, alliant d'excellents bruitages à des compositions qui s'inscrivent parfaitement dans le contexte. Seul le doublage français (remplaçable par la VO sur PC) manque parfois de conviction. Rien de vraiment rédhibitoire cependant.
- Scénario14/20
La campagne, articulée autour de belles cinématiques, nous livre un sympathique histoire d'espionnage, baignée de découvertes, de complots et de rivalités avec des généraux ambitieux mais incompétents. Sans atteindre des sommets, le scénario de R.U.S.E. s'avère assez plaisant à suivre.
Superbe jeu de guerre mixant avec bonheur tous les éléments du genre, le soft d'Eugen Systems constitue une véritable bouffée d'air frais dans l'univers un peu vicié des STR. Le titre parvient en effet à associer avec intelligence une gestion fine des troupes placées sur le terrain, une stratégie d'ensemble incluant la collecte d'or, la production d'unités et l'utilisation de subterfuges vicelards tout en restant largement compréhensible, lisible et diablement nerveux. Il s'agit là d'une remarquable performance ! Gageons d'ailleurs que les joueurs qui se laisseront conquérir passeront de nombreuses nuits en ligne, afin de prouver au monde leur talent de commandant.