Si vous en avez assez d'aider mamie à traverser, peut-être pourriez-vous lui piquer son sac à main ? Voilà en gros le credo de Going Rogue, la seconde extension pour City of Heroes, qui permettra à votre personnage de passer de l'autre côté du miroir. La démarcation entre le Bien et le Mal est-elle aussi nette qu'on voulait vous le faire croire ?
En rachetant les droits de City of Heroes auprès de Cryptic, parti développer Marvel Universe Online (finalement devenu Champions Online), et en créant une nouvelle structure dédiée au développement du jeu, NCsoft avait pris un gros risque. Il s'est toutefois avéré payant puisque les différentes mises à jour (les fameux Episodes) conçues par Paragon Studios ont bénéficié d'une qualité au moins équivalente. Pourtant, au bout de cinq ans, victimes de leur âge avancé et d'une concurrence de plus en plus féroce, il faut bien avouer que City of Heroes et City of Villains se sont vidés d'une grande partie de leur population. L'objectif de Going Rogue, qui propose une nouvelle zone de départ pour personnages de niveau 1 à 20, est donc avant tout d'attirer du sang neuf, ou tout au moins d'inviter les anciens à revenir tenter un dernier reroll. Mais cette extension tente aussi de contenter les joueurs actifs et de lutter contre la désertification en permettant aux super-héros de visiter Les Insoumises et aux super-vilains d'investir Paragon City. C'est bien plus motivant et roleplay qu'une fusion de serveurs, alors pourquoi pas ?
Les principales nouveautés apportées par Going Rogue sont au nombre de quatre : la zone de départ de Prétoria, un système d'alignement moral, quatre lignes de pouvoir supplémentaires et un lifting graphique. Cela peut paraître un peu léger de prime abord étant donné que cette extension téléchargeable est tout de même proposée au tarif de 19,99 euros (ou bien de 29,99 euros en version stand alone incluant City of Heroes et City of Villains et un mois de jeu gratuit). D'un autre côté, eu égard aux nombreuses mises à jour gratuites dont bénéficient régulièrement les abonnés, on aurait du mal à jeter la pierre à NCsoft. La vraie question, c'est de savoir si les ajouts de Going Rogue se révèlent suffisamment convaincants pour renouveler l'expérience de jeu et redonner un second souffle à un titre qui en a besoin, afin de remplir à nouveau des serveurs qui se vident dangereusement.
La nouvelle zone de jeu, Prétoria, s'inscrit parfaitement dans le thème de l'extension, destinée à brouiller la frontière entre le Bien et le Mal. Il s'agit d'une ville utopique érigée par l'empereur Cole pour garantir à son peuple une protection optimale. Mais les dérives sécuritaires du pouvoir, qui va jusqu'à lire dans les pensées des citoyens pour mieux les surveiller, ont conduit une partie de la population à se rebeller. Tandis que les Ferrailleurs prétoriens (des robots multiusages) se chargent de monter la garde dans les quartiers immaculés et géométriquement parfaits de Prétoria, les agents de la PPD (la police locale) traquent donc sans relâche les Résistants qui organisent leurs actions mutines depuis une base située dans les bas-fonds. Cette lutte perpétuelle a le mérite d'animer les trois zones dont est constituée la ville (La Cité Impériale, Nova Prétoria et Neutropolis), ainsi que les couloirs du métro que se partagent les Goules et les membres de la Résistance.
A la création de votre personnage, vous pouvez désormais opter pour un prétorien, un super-héros à l'alignement non déterminé. Au fil de vos missions dans Prétoria, vous êtes amené à prendre des décisions qui auront des répercussions sur votre cheminement personnel. Vous commencez par choisir pour qui vous voulez travailler (Loyalistes ou Résistants), sachant que vous pouvez très bien vous servir de cette couverture pour aider l'autre faction. Vous avez ensuite la possibilité de privilégier tel ou tel contact : si vous avez rejoint la Résistance, préférez-vous œuvrer pour une branche dure aux méthodes terroristes, ou souhaitez-vous opter pour une action contestataire plus souple, basée sur la manipulation de l'information ? Enfin, certaines missions vous confronteront à des choix moraux cornéliens. Vous aurez par exemple à décider du sort d'un homme innocent : sacrifiez-le pour la bonne cause, ou bien épargnez-le au détriment de l'efficacité de votre action.
Le système d'alignement est donc particulièrement bien conçu (à tel point qu'on aimerait bien retrouver à l'avenir cette fonctionnalité dans d'autres MMO), mais il aurait mérité d'être soutenu par un véritable système de réputation : en l'occurrence, quelle que soit la faction pour laquelle vous travaillez, vous vous retrouvez trop souvent à vous faire tirer dessus aussi bien par les uns que par les autres, sans compter qu'abattre une centaine de membres de votre bord au détour d'une mission (agents de la PPD ou Résistants) ne semble avoir aucune répercussion sur les relations avec votre faction. Qui plus est, quelle que soit votre inclination au terme de ce prologue de 20 niveaux, on vous propose de toute façon de choisir librement la voie (héros ou vilain) que vous souhaitez emprunter, sachant que vos actes passés n'auront guère de conséquences dans Paragon City et dans les Insoumises.
Le système d'alignement s'étend toutefois au-delà de la zone de Prétoria, puisqu'il permet à tous les super-héros et les super-vilains existants de changer de bord. Des missions spécifiques, débouchant sur des dilemmes un peu plus manichéens que dans Prétoria, vous permettent de tendre vers l'inclination opposée. Un super-héros aux tendances mauvaises devient un Vigilante et peut avoir accès aux Insoumises, auxquelles il sera limité s'il devient carrément un super-vilain. Réciproquement, un super-vilain aux tendances justicières devient un Rogue et peut accéder à Paragon City, auquel il sera limité s'il devient finalement un super-héros. Le système est efficace, fonctionnel et relativement roleplay puisque chaque conversion, qui nécessite plusieurs jours de jeu, implique sont lot de choix moraux qui donnent de l'épaisseur à votre personnage et enrichissent l'expérience de jeu.
Going Rogue introduit également de nouvelles lignes de pouvoirs permettant à votre personnage de se spécialiser dans le contrôle électrique (dédié aux Contrôleurs et aux Dominateurs), l'invocation de démons (réservée aux Masterminds), la mêlée cinétique (ouverte aux Ravageurs, aux Tanks, aux Rôdeurs et aux Brutes) et les pistolets doubles (accessibles aux Blasters et aux Corrupteurs en tant que spécialisation principale et aux Défenseurs en tant que spécialisation secondaire). L'invocation de démons, particulièrement utile, et les doubles pistolets, qui permettent de sélectionner le type de munitions utilisé, semblent promis à un beau succès. Il reste que ces nouvelles lignes de pouvoirs ne rendent pas les combats plus dynamiques : à l'heure où le genre mise sur des affrontements de plus en plus nerveux, City of Heroes vous invite toujours à attendre l'interminable cooldown de vos compétences avant de cliquer à nouveau. Voilà qui ne risque pas d'attirer du sang neuf.
Et que dire du manque d'intérêt des missions, un fâcheux travers qui n'a pas été réglé depuis 5 ans ? La répétition jusqu'à l'écœurement des mêmes environnements (labos, bureaux, égouts) et des mêmes sections de décors, couplée au peu de variété dans le gameplay (qui consiste 90 % du temps à dézinguer tout ce qui bouge avant de pouvoir accomplir l'objectif de mission) auront raison de la patience des nouveaux arrivants. Sans compter que l'aspect graphique agira chez eux comme un répulsif, tant le lifting promis se montre peu convaincant : le mode Ultra procure des effets d'ombre améliorés, des reflets dans les vitres et une texture d'eau plus réalitste, mais ce sont autant de fioritures franchement pas indispensables dans un univers où les modèles de personnages sont obsolètes et les décors aussi vides que sommaires. Bref, si Going Rogue représente un achat judicieux pour un joueur régulier, on ne saurait décemment le conseiller à un nouveau venu.
- Graphismes8/20
Les décors génériques et les modèles de 5 ans d'âge de City of Heroes ont terriblement vieilli. Et ce n'est pas le mode Ultra – qui se permet de mettre à plat, toutes options activées, les machines les plus puissantes – qui pourra lutter contre les affres du temps.
- Jouabilité14/20
Toujours aussi simple à prendre en main, toujours doté de ce système de création et d'évolution de personnages qui a fait son succès, City of Heroes souffre hélas plus que jamais du manque d'intérêt de ses missions. Le système d'alignement moral est globalement convaincant.
- Durée de vie11/20
Une nouvelle zone de départ, un système de moralité, quatre nouvelles spécialisations... Oui, mais où est le contenu de haut niveau ? Même si Going Rogue permet à chaque personnage d'explorer un versant du jeu dont il ne pouvait profiter jusque-là, son contenu reste un peu maigre.
- Bande son11/20
Les nouveaux thèmes musicaux ont beau être réussis, on ne les entend qu'à l'entrée dans une nouvelle zone. Et si l'on excepte les excellents bruitages de combat, l'ambiance sonore se fait beaucoup trop discrète : même en plein coeur d'un quartier chaud, le silence se fait vite pesant.
- Scénario15/20
Le background particulièrement riche de Prétoria et les missions « à dilemme » sur lesquelles s'appuie le système d'alignement moral rendent la progression intéressante. Dommage que les traductions trop souvent approximatives aient du mal à retranscrire l'humour omniprésent.
Dotée d'un système d'alignement moral globalement convaincant qu'on aimerait bien retrouver dans d'autres jeux du genre, Going Rogue est une extension intéressante pour tous les joueurs qui restent attachés à City of Heroes. On ne saurait toutefois la recommander aux nouveaux venus, tant l'aspect graphique repoussant, la répétitivité des missions et le manque de dynamisme des combats agiront sur eux comme autant de répulsifs. On leur conseillera donc de se tourner vers un Champions Online autrement plus attirant, ou d'attendre un DC Universe Online qui ne devrait plus tarder.