Des entames laborieuses et capillotractées, on en a connues, et pas que dans le jeu vidéo. Mais celle de Art of Murder : Les Cartes du Destin est tellement édifiante que nous avons choisi la forme du récit pour tenter de vous convaincre de passer votre chemin. Tout commence à New York, dans l'appartement où Nicole Bonnet passe des vacances bien méritées après avoir fini par coincer un dangereux tueur en série (voir La Traque du Marionnettiste). Notre jeune agent du FBI reçoit un mystérieux colis, qui ne contient en tout et pour tout qu'une grosse vis et une ampoule oblongue. Qu'à cela ne tienne : leur numéro de série suffira à l'expert du labo pour déterminer leur provenance possible ! C'est l'occasion de constater la faiblesse de la version originale sous-titrée en français, qui abonde de largesses et d'approximations. Il s'avère en tout cas que la vis provient d'une voie ferrée, et l'ampoule, du projecteur d'une salle de cinéma. Après avoir effectué un recoupement fumeux sur la carte de la ville, Nicole se rend là où un cinéma désaffecté côtoie une gare peu fréquentée.

Il n'y a rien ni personne à la gare, mais de la lumière filtre à travers le cinéma condamné. Le seul endroit peuplé est un bar où se désaltèrent quelques motards, ainsi qu'un dragueur bedonnant accompagné de sa proie, une trentenaire apprêtée. Leur animation est un peu rigide, mais leur modélisation est correcte. Seule la jeune femme semble pouvoir être utile à Nicole, mais pour l'amadouer, il faut d'abord lui trouver les piles dont elle a besoin pour alimenter son baladeur en attendant son train. Une coïncidence extraordinaire permet heureusement à notre enquêtrice de tomber sur un pack de piles neuves en sortant du bar (c'est bien connu, les piles neuves aiment fréquenter les bars new-yorkais à la tombée de la nuit). Voilà de quoi délier la langue de la belle du comptoir, qui apprend à Nicole que le vieil homme chez qui elle travaille était un habitué du cinéma d'à côté, qu'il avait l'habitude d'y pénétrer en douce par l'arrière-cour et qu'il lui a confié où il cachait la clé de la grille. Quelle chance incroyable ! Non mais vraiment !

Dès l'entrée dans le cinéma désaffecté, l'ambiance devient plus pesante ; les thèmes musicaux très immersifs n'y sont pas étrangers. Dommage qu'on ne puisse pas en dire autant des environnements : fins et bien éclairés, ils manquent cruellement de personnalité. Les pérégrinations de notre héroïne dans ce lieu oppressant se résument à accomplir toutes les actions nécessaires pour projeter, sur le grand écran, une mystérieuse bobine retraçant sa carrière. L'interface, qui n'a pas bougé depuis le premier volet, est classique mais pas des plus intuitives ni des plus pratiques à l'usage. Les associations d'objets nécessitent souvent de respecter un ordre précis (cliquer sur A puis B et non B puis A). En outre, donner directement à un personnage l'objet adéquat fonctionne rarement (il faut généralement entamer le dialogue et aborder le sujet). Enfin, on ne sait jamais quand il faut cliquer sur l'icône de l'objet et quand il faut interagir avec sa représentation en 3D (qui permet de le visualiser sous tous les angles) : cela semble complètement arbitraire !

A côté de ça, une fonction permet toujours d'afficher à l'écran les éléments interactifs du décor, ce qui n'est pas franchement indispensable étant donné que les lieux visités ne se composent souvent que de trois ou quatre écrans de jeu. Mais reprenons notre récit. Au moment précis où elle sort du cinéma, Nicole assiste impuissante à un terrible accident : un train pulvérise une voiture en panne sur le passage à niveau. Son conducteur meurt sur le coup. Un accident ? Pas si sûr. Notre héroïne apprend vite que le véhicule a été piégé et que le meurtrier a signé son crime d'une carte à jouer (original, n'est-ce pas ?). Elle se rend donc à son bureau new-yorkais et décide de soumettre cet indice essentiel à l'analyse de la base de données du FBI. Le logiciel détermine huit points d'intérêt sur la pièce à conviction, mais Nicole doit en sélectionner trois pour interroger le serveur. Sur le nombre faramineux de combinaisons possibles, une seule fonctionne mais il n'y a pas de solution miracle : il faut procéder par essais et par erreurs (une marque de fabrique de la série) !

Tout ça pour finir par apprendre – attention, c'est un grand moment – qu'une même carte à jouer avait été trouvée sur quatre autres scènes de crime récentes et que personne n'avait encore fait le rapprochement. Y'a pas à dire, ils sont forts au FBI ! Un peu plus tard, Nicole doit plier une feuille de papier pour reconstituer le code qui y a été griffonné. C'est l'occasion d'un nouveau puzzle pénible, à l'ergonomie épouvantable, qui ne permet même pas d'annuler la dernière action effectuée. Énigmes confuses et jouabilité poussive sont donc caractéristiques de Art of Murder : Les Cartes du Destin. Sous le couvert de son réalisme, ce titre impose au joueur une rigueur et un pointillisme souvent frustrants, paradoxalement sabordés par la possibilité d'accomplir certaines actions sans même savoir à quoi elles pourront servir. C'est d'autant plus dommage que l'histoire, dotée d'une fin aussi prévisible que décevante intervenant au terme d'une quinzaine d'heures de jeu, était servie par une mise en scène plus moderne que ses prédécesseurs (zooms, écran partagé, cinématiques...).