Douze ans à attendre la suite de Starcraft, c’est certes long, mais qui les a vus passer ? Pour beaucoup, la sortie de Brood War, c’était hier. Starcraft n’est pas un de ces jeux plébiscités l’espace d’un moment puis mis de côté en attendant le second opus. Pratiqué assidument sur Battle.net ou en réseau depuis son lancement, son succès ne s’est jamais démenti, notamment en Corée où il est devenu sport national. Bref, une chose est sûre : le pire ennemi de Starcraft II, ce ne peut être que Starcraft. Pour éviter la comparaison, Blizzard a donc choisi d’inscrire cette suite dans la prudente continuité de l’épisode précédent. Du coup, Starcraft II, c’est drôlement bien, mais c’est aussi vachement classique. Mais n’ayez crainte, ça marche aussi dans l’autre sens : Starcraft II, c’est classique, mais c’est drôlement bien !
Si Starcraft a autant marqué le genre, c'est essentiellement grâce à ses trois races dissymétriques. Dans un Alerte Rouge, un Warcraft II ou un Age of Empires, on notait bien quelques différences réelles entre les factions. Mais dans Starcraft, les particularités de chaque race induisent un gameplay spécifique et une approche tactique triangulaire. Terran, Protoss et Zerg sont donc devenus en 1998 le symbole du STR moderne, damant le pion à un certain Total Annihilation. Douze ans plus tard, Starcraft II perpétue peu ou prou la même formule que son prédécesseur. Peut-il encore prétendre incarner une quelconque modernité ? La question ne se pose plus dans les mêmes termes : Starcraft étant encore très pratiqué, Blizzard a préféré ne pas s'éloigner de ses bases et de son gameplay éprouvé. On retrouve donc les trois mêmes races, pas une de plus ni de moins : pourquoi tenter d'en introduire une quatrième au risque de tout déséquilibrer ? Il est par contre terriblement dommage que les trois campagnes ne soient pas toutes disponibles dans Starcraft II : Wings of Liberty, qui propose seulement un scénario dédié aux Terran ; il faudra attendre les deux volets suivants pour vivre celle des Zerg et des Protoss. A 60 euros la boîte (ce qui est au-dessus de la moyenne d'un titre PC), on a un peu de mal à l'avaler, même si le multijoueur est à l'évidence le centre névralgique du jeu.
Si Starcraft II se montre classique sur le fond – nous aurons l'occasion d'y revenir tout au long de cet article – il incarne par contre un certain avant-gardisme de forme inhérent à l'intégration du nouveau Battle.net, qui a subi pour l'occasion un relooking majeur. Limpide et élégante, l'interface permet, d'un simple clic, de lancer une partie solo ou multi, de visionner des replays ou des tutoriels vidéo, de consulter les arbres technologiques de chaque race, les hauts faits débloqués, les stats de votre profil de joueur et votre classement dans les leagues, mais aussi de profiter de toutes les fonctionnalités sociales intégrées (chat, messagerie, liste d'amis). Tout ce dont vous avez besoin est là et bien là, y compris si vous ne jouez pas à partir de votre machine habituelle puisque l'ensemble de vos données (configuration, parties enregistrées, progression dans la campagne) est hébergé sur les serveurs de jeu et lié directement à votre compte Battle.net. Starcraft II fait donc preuve, malgré tout, d'une certaine modernité. On ne s'en plaindra pas, sauf peut-être pour ce qui concerne quelques fonctionnalités inhérentes à la campagne solo, comme les autosaves et les briefings ultra détaillés qui vous mâchent le travail et rendent parfois le déroulement des missions trop prévisible. Puisqu'on en est à aborder ce sujet, sachez que le jeu n'est pas dénué de challenge – loin s'en faut – mais qu'il vous faudra le pratiquer a minima en mode difficile pour en bénéficier.
Outre des modes escarmouche et défi qu'on se bornera à citer, Starcraft II propose une campagne de 26 niveaux dédiée aux Terran. On y retrouve Jim Raynor, que les joueurs du premier opus connaissent bien. Avec l'aide de ses rebelles, cet ex-marshal est déterminé à renverser le Dominion, dirigé d'une main de fer par son ancien allié Arcturus Mengsk. Mais durant sa juste croisade, Raynor se trouve confronté à un problème d'une plus grande envergure : la Reine des Lames Sarah Kerrigan, qu'il a jadis aimée avant qu'elle ne soit contaminée par les Zerg, est de retour pour poursuivre l'expansion de l'Essaim... Bien qu'elle fasse surtout office de gigantesque tutoriel pour le mode multi (les différentes possibilités n'y sont disponibles que progressivement), la campagne solo est synonyme, comme de coutume chez Blizzard, d'ambiance épique et de finition exemplaire. Les missions sont entrecoupées de cinématiques bien réalisées, même quand elles le sont avec le moteur du jeu, qui s'offrent le luxe d'une synchronisation labiale en français. Une fois en jeu, les améliorations graphiques sont évidentes sans se montrer exceptionnelles : les effets visuels sont plaisants, mais la sobriété des décors (parfois égayés de quelques animations) et le manque de détails des unités et des bâtiments témoigne de l'orientation multijoueur du titre. Légèrement plus proche de l'action que dans le premier Starcraft, la caméra est susceptible de gêner certains joueurs.
Alors que le genre a tendance à s'affranchir de la traditionnelle gestion de ressources (on pense à Dawn of War II), le gameplay de Starcraft II lui conserve une place de choix. L'ordre de construction des bâtiments (une phase qui, rappelons-le, prend une forme différente selon la race contrôlée), le taux de récolte du minerai et du gaz Vespène : voilà qui revêt toujours une importance considérable, car plus vite vous vous développez, plus vous avez l'occasion de prendre l'ascendant sur votre adversaire, en solo comme en multi. D'autant que Starcraft II fait l'impasse sur la micro-gestion de héros typique de Warcraft III (que certains craignaient de retrouver) pour favoriser les batailles à grande échelle plus que les escarmouches tactiques. Si le versant économique reste prépondérant, Blizzard a intégré une nouveauté permettant de renforcer l'aspect stratégique de la construction de votre base : certains bâtiments Terran ont désormais la possibilité d'accueillir deux extensions différentes, leur offrant une orientation spécifique. Ainsi, une caserne de base pourra bénéficier de deux files de production ou recruter des troupes plus évoluées, choix drastique et déterminant pour la suite des événements. De manière générale, la dimension tactique de Starcraft II tient beaucoup au choix des unités produites. Et sur ce terrain, il va falloir désapprendre et réapprendre puisqu'environ la moitié des unités diffèrent par rapport au premier opus.
Les Terran, réputés pour leur défense de fer avec leurs bons vieux bunkers et leurs chars en mode siège, alignent maintenant des unités offensives redoutables à l'image des Faucheurs, ces Marines dotés de jet-pack capables de faire des raids dévastateurs dans les bases ennemies en début de partie. Posséderaient-ils enfin une arme de rush digne de ce nom ? Mais attention, car en face, les Zerg disposent désormais d'atouts défensifs qui font honneur à leur nature insectoïde. Plus rapides et plus puissants lorsqu'ils se battent sur leur creep (la membrane gluante et nourricière sur laquelle ils édifient leurs « bâtiments »), ils peuvent à présent déplacer leurs tourelles en fonction des besoins. De leur côté, les Protoss ont conservé ce qui faisait leur renommée, en alignant des unités coûteuses et puissantes, mais qui disposent aujourd'hui d'une tripotée de capacités terrifiantes. Les Traqueurs améliorés profitent notamment de la possibilité de se téléporter à une distance raisonnable de leur position initiale : idéal pour continuer à bombarder l'ennemi en évitant le corps-à-corps ! Ce ne sont là que quelques exemples des modifications qui permettent à chaque race de gagner à la fois en personnalité et en polyvalence. Et comme vous pouvez vous en douter, ces nouveautés impactent le mode multijoueur, où la courbe de progression est proprement diabolique. Vous pensiez maîtriser Starcraft ? Vous risquez de chuter lourdement de votre piédestal !
S'il faut reconnaître que le gameplay de Starcraft II n'a que peu évolué dans ses fondements, les nouveautés ne se limitent heureusement pas à une modification des unités et à une redéfinition des stratégies : la campagne solo en abonde. Si les premiers niveaux se montrent très classiques et distillent une fâcheuse impression de déjà-joué, les suivants sont bien plus recherchés. Conscient de miser sur des mécaniques de jeu éprouvées, Blizzard a choisi de dynamiser les missions en maintenant une pression constante sur le joueur. A titre d'exemple, un niveau vous amènera à concilier protection de convoi et développement de votre base, un autre à exploiter des sites que les Protoss tentent de fermer au fur et à mesure, une autre encore à évoluer dans des environnements volcaniques où la lave monte régulièrement (évacuation obligatoire !). Une des maps exploite même avec brio une des nouveautés : le cycle jour/nuit. Les Zerg infestés ne s'y manifestent que de nuit : il faut protéger la base de leurs assauts puis reconstruire dès l'aube tout en envoyant les unités rescapées décimer les structures ennemies. Intenses et variées, les missions ne sont pas de tout repos, et c'est tant mieux ! Sachez que Wings of Liberty vous donne l'occasion, à l'instar d'un Dawn of War II, de choisir l'ordre dans lequel vous effectuez vos missions. Cela vous permet de privilégier les aspects de l'intrigue que vous souhaitez développer en priorité.
Cette sélection s'effectue sur le Cuirassé des Terran où Jim Raynor revient à l'issue de chaque mission. Blizzard oblige, ce lieu qui aurait pu n'être qu'une simple interface a été modélisé sous la forme de quatre écrans interactifs représentant autant de salles du vaisseau. Sur la passerelle, vous pouvez discuter avec les différents protagonistes et choisir vos missions. Le bar vous permet de regarder la chaîne d'infos qui relaie les « exploits » de Jim, de jouer sur une borne d'arcade (sic) et surtout de passer contrat avec des mercenaires, que vous pourrez engager moyennant ressources dès la mission suivante. L'armurerie vous donne l'occasion d'upgrader les unités et les bâtiments dont vous disposez ; si vous souhaitez accroître le cône d'attaque de vos Flammeurs, c'est par ici que ça se passe ! Enfin, le laboratoire vous permet d'accéder à la nouveauté la plus intéressante : la recherche. Durant les missions, l'accomplissement de certains objectifs optionnels vous octroie des points de recherche en technologie Protoss ou Zerg, que vous pouvez investir pour avoir accès à des unités, des bâtiments et des améliorations avancées. Certains sont déjà disponibles de base en multi, mais d'autres sont inédits, comme le Prédateur, une puissante unité anti-zergling, ou encore le soutien orbital qui permet d'acheminer vos unités dans le feu de l'action par le biais de capsules de débarquement. Là encore, des choix cornéliens devront être effectués, qui enrichissent le solo.
Mais c'est bien sûr en multi que Stacraft II prend tout son sel, même si on déplore un gros défaut, dont vous avez déjà connaissance si vous avez suivi l'actualité bouillonnante du jeu : l'impossibilité de jouer en réseau local. Tous ceux qui ont découvert le premier opus dans un cybercafé, qui ont vécu des nuits de folie en LAN, oui qui avaient l'habitude d'organiser des parties entre amis via un logiciel de type Hamachi, n'ont plus que leurs yeux pour pleurer. Car le nouveau Battlet.net officie comme une pieuvre despotique par laquelle tout doit passer. En contrepartie, cela permet à Blizzard de tailler son jeu pour l'e-sport et à ce niveau-là, les petits plats ont été mis dans les grands. Que vous souhaitiez jouer en 1v1, en 4v4, en coopération contre l'IA ou en mode chacun pour soi, Battle.net vous permet de sélectionner votre serveur ou de lancer un matchmaking plutôt efficace. Des parties d'évaluation vous sont proposées pour déterminer la division adaptée à votre niveau et vous propulser enfin dans le grand bain des matchs de league. Si la courbe d'apprentissage est impitoyable, si on peut regretter que douze ans plus tard, les différentes tactiques de rush (Zergling, canon ou portail Protoss) soient toujours aussi efficaces et si le niveau d'un joueur se résume un peu trop souvent à son taux d'APM, tout le reste est huilé comme une horloge et fait de Starcraft II un des meilleurs jeux multijoueurs existants. Devant ou derrière Starcraft ? A vous de trancher !
- Graphismes16/20
Bien que la refonte graphique soit évidente et appréciable (notamment en ce qui concerne les effets de lumière et de particules), les qualités visuelles de cette suite ne sont pas non plus exceptionnelles. Les maps un peu tristounettes et le manque de détails des bâtiments sont autant de concessions faites au multijoueur (fluidité, lisibilité de l’action). En revanche, mention très bien pour les menus, qu’il s’agisse de Battle.net ou de l’interface spécifique du mode campagne.
- Jouabilité19/20
Les mécaniques de jeu de Starcraft II ont beau être datées, elles s’approchent de la perfection tant elles ont été rendues plus intuitives et polies à l’extrême. La jouabilité a elle aussi été améliorée avec la possibilité de sélectionner un très grand nombre d’unités (qui corrige un défaut du premier opus) et de créer des groupes d’un simple clic de souris. Quant à l’équilibrage des trois races, il semble avoir été un souci constant de la part de Blizzard durant la bêta multijoueur.
- Durée de vie17/20
Avec plusieurs modes solos (dont une campagne de longue haleine), un mode multijoueur qui sera sans doute pratiqué assidument les 10 prochaines années et un éditeur de cartes disponible, vous en aurez pour votre argent. Alors pourquoi sanctionner un peu ce critère ? Tout simplement parce que l’absence de campagnes Zerg et Protoss reste dommageable et que l’impossibilité de jouer en réseau local, pénalisante et impardonnable, est une dérive que nous ne pouvons cautionner.
- Bande son17/20
Les thèmes musicaux et les bruitages sont très réussis. Même s’ils se montrent sans doute un peu moins marquants que ceux de Starcraft premier du nom, ils contribuent toujours autant à l’immersion du joueur. Quant au doublage en français, il est globalement bon sans être exceptionnel : certains acteurs s’en tirent avec les honneurs, d’autres manquent de conviction. On apprécie par contre la synchronisation labiale en français, qui témoigne du degré de finition du jeu.
- Scénario15/20
Bien qu’il réserve son lot de rebondissements et de moments épiques, le scénario de la campagne Terran n’est pas aussi mémorable que celui du premier Starcraft. Les personnages ont beau être plus travaillés, ils n’échappent pas à la caricature. Heureusement, les cinématiques font une nouvelle fois honneur à la réputation de Blizzard en la matière. Enfin, même si le déroulement des missions est souvent trop linéaire, on apprécie que le joueur soit constamment mis sous pression.
Si Starcraft II : Wings of Liberty était une unité, alors ce serait justement un Terran. Retranchée derrière ses certitudes comme un Marine à l’abri dans son bunker, cette suite perpétue des mécaniques de jeu éprouvées en dosant prudemment chaque nouveauté afin de ne pas déséquilibrer une formule qui a fait ses preuves. Pourtant, il faut avouer qu’une fois de plus, Blizzard remporte haut la main son pari : si Starcraft II n’invente rien, il risque pourtant de marquer le genre de son empreinte tant il se révèle jouissif à pratiquer. La campagne solo, monstrueuse d’efficacité, se paie même le luxe de n’être que la mise en bouche d’un titre résolument tourné vers le multi et parfaitement taillé pour ça – ce qui fait d’autant plus regretter l’absence de jeu en réseau local. On profitera donc comme il se doit de cette nouvelle référence de la stratégie en temps réel, en espérant tout de même que l’épisode suivant, Heart of the Swarm, témoignera davantage de la prise de risque et de la soif d’évolution d’un Zerg.