Tropico a toujours tenu une place particulière dans le cœur des amateurs de gestion. En effet, ce titre unique en son genre permet de prendre les rênes d'une île des Caraïbes en pleine Guerre Froide. Dès lors, le jeu développe une vision assez particulière de la politique, dans laquelle fraudes électorales, corruption, coups d'État et assassinats sont monnaie courante. Une recette toujours à l'honneur dans le troisième épisode, plus incorrect que jamais. Et pour la première fois, la joie d'incarner un dictateur se trouve aussi sur Xbox 360.
Kalypso Media semble se faire une spécialité du rachat de vieilles licences oubliées pour les faire revivre, notamment dans le secteur de la gestion. Ainsi, l'éditeur a récemment annoncé la rachat de la franchise Airline Tycoon pour en développer une suite, prévue pour 2011. Quelques mois plus tôt, la société avait profité des difficultés d'Ascaron pour faire main basse sur plusieurs propriétés intellectuelles du studio allemand, notamment Port Royale. Et en 2008, Kalypso avait acquis la licence Tropico auprès de Take Two dans le but de mitonner un troisième volet. Un an plus tard, Tropico 3 est là, fraîchement sorti des forges de Haemimont Games. Un studio connu pour plusieurs jeux de gestion sympathiques mais un peu simplistes (Imperium Romanum, Grand Ages : Rome). On pouvait donc craindre que le gameplay de Tropico soit sacrifié sur l'autel de l'accessibilité, d'autant que cette fois une version console est au programme, souvent synonyme de nivellement par le bas. Rassurez-vous, le titre conserve toute la richesse qui a fait la réputation de ses aînés.
Tropico 3 se présente grosso modo comme un city-builder, sauf que le territoire se limite à une île et que vous n'incarnez pas un maire, mais "el Presidente" en personne. La partie commence d'ailleurs par la création de ce dernier. Vous pouvez définir son apparence, mais également sélectionner divers paramètres comme son origine sociale, son mode d'accession au pouvoir, ainsi que plusieurs qualités et défauts. Ces choix lui confèrent des bonus et malus, qui viendront l'aider (ou le desserviront, le cas échéant) en cours de partie. Les possibilités sont assez nombreuses et souvent rigolotes : vous pouvez par exemple créer un président alcoolique, crétin ou même atteint de flatulences, ce qui l'obligera à mieux payer les gardes du palais... Chaque paramètre a ses conséquences, comme l'amélioration d'un type de production ou la dégradation des relations avec une des factions (nous y reviendrons). Notez que l'influence d'el Presidente ne s'arrête pas à cette phase préliminaire : une fois en jeu, vous pouvez l'envoyer en visite officielle aux quatre coins du pays, où il aura un impact direct sur la vitesse de construction ou la qualité des services prodigués.
Car le but est bien de développer sa petite nation, en construisant des logements et des services pour la population. Enfin ça, c'est le but officiel. En vérité, la finalité est de détourner un maximum d'argent sur le compte suisse du guide suprême... Mais pour cela, il faut bien que l'argent rentre, donc que les habitants travaillent et payent des loyers. Tropico 3 propose environ 70 bâtiments, qui vont des attractions pour touristes aux structures industrielles en passant par les édifices gouvernementaux. C'est bien moins que certains titres du genre, mais chaque bâtiment peut être paramétré finement selon les besoins. En effet, il est possible de régler le taux d'entretien d'un immeuble d'habitation, le rythme de travail d'une usine, l'orientation éducative d'un lycée, etc. Le système de production ressemble un peu à celui d'Anno : il s'agit d'abord de récolter des matières premières (tabac, bois...) puis de les transformer en biens d'exportation (cigares, meubles). Un bateau passe régulièrement récupérer vos marchandises, déversant au passage un flot de migrants venant grossir votre population. Et ainsi votre pays prospère.
Néanmoins, cette belle mécanique peut rapidement se gripper. Certaines de vos décisions finiront forcément par fâcher l'une ou l'autre des 7 factions du jeu. Une centrale électrique à charbon ou un essai nucléaire aura vite fait de crisper les écologistes, des frontières trop ouvertes mettront en rogne les nationalistes, tandis qu'un manque de lieux de culte vous attirera les foudres divines. Difficile de contenter tout le monde... Pour tenter de préserver l'équilibre, vous aurez tout de même une quarantaine de décrets à disposition, à débloquer en érigeant les bâtiments requis. Baisse d'impôts, prohibition, contraception, sécurité sociale... Tous les grands classiques de la politique y passent. Malgré tout, la population risque de finir par exiger des élections. Les ingrats ! Auquel cas vous devrez faire un discours, en flattant les uns et en promettant aux autres, pour vous maintenir au pouvoir. Et si les sondages ne sont pas en votre faveur, un bourrage des urnes devrait y remédier...
Mais décidément, le voie du leader éclairé est semée d'embûches. En dépit de toutes vos (forcément) bonnes intentions, une partie de la population risque de rejoindre le camp des rebelles. Tant que ceux-ci se limitent à manifester pacifiquement, ça va... Mais quand ils prennent les armes pour s'attaquer à l'outil de production du pays, il est temps de faire intervenir l'armée. A moins que les militaires eux-mêmes ne décident de vous renverser, estimant que vous ne vous occupez pas assez de leur bien-être ! C'est dans ce compartiment du jeu que Tropico 3 dévoile tout son sel, offrant aux apprentis dictateurs une tripotée de solutions plus ou moins immorales pour faire disparaître les problèmes... Chaque habitant est modélisé et peut être sélectionné pour voir, entre autres choses, ses affinités politiques. Partant de là, un opposant peut rapidement être identifié et neutralisé. Les partisans de la méthode douce se contenteront de le soudoyer, d'autres préféreront l'envoyer derrière les barreaux... Enfin, la solution la plus radicale consiste tout simplement à l'exécuter. Mais cela risque de déplaire à sa famille et aux témoins, à moins que vous ne fassiez appel aux services secrets... Les options sont variées et pour la plupart assez jouissives à utiliser.
Comme si ces problèmes de politique intérieure ne suffisaient pas, il faut également composer avec les grandes puissances de l'époque : les USA et l'URSS. Votre île n'est pas complètement isolée du reste du monde, elle subit des influences extérieures. Notamment des aides économiques, assez précieuses en début de partie. Conserver de bonnes relations avec les deux géants est donc vital, d'autant que votre peuple compte un certain nombre de sympathisants capitalistes et communistes. Si vous déplaisez trop à l'oncle Sam, il pourrait décider de vous faire assassiner par la CIA, ou envoyer la marine prendre votre île d'assaut. Tropico 3 propose donc un certain nombre d'actions pour améliorer les relations internationales, grâce à des décrets ou au ministère des affaires étrangères par exemple. Le jeu profite aussi du contexte de la Guerre Froide pour distiller des événements historiques (exemple : assassinat de Kennedy en 1963), qui auront parfois une influence sur la partie. D'autres événements, fictifs ceux-là, viendront ponctuellement vous mettre face à des choix : proposition commerciale d'un grand industriel, épidémie, etc.
Avec tous ces paramètres à gérer, le gameplay de Tropico 3 est tout à fait convaincant. L'interface est plutôt bonne et offre tous les outils nécessaires : filtres permettant de visualiser les ressources ; données démographiques, économiques et politiques ; graphiques... La réalisation est correcte, avec un moteur 3D au zoom impressionnant et des musiques salsa pimentées. Enfin, le soft propose tout le contenu nécessaire, avec une campagne solo aux objectifs variés et le traditionnel mode Bac à sable. Quant aux peurs que nous pouvions avoir sur cette version 360, elles ne sont pas fondées. La jouabilité au pad n'est peut-être pas aussi rapide qu'à la souris, mais dans un jeu de gestion, où il est possible de faire pause à tout moment, ce rythme plus lent n'est pas vraiment un problème. Les développeurs ont conçu un bon système de contrôle : la caméra se manie aisément, les différents menus (constructions, décrets, avatar, almanach...) sont accessibles grâce à des raccourcis qui, une fois maîtrisés, rendent le jeu agréable à manier, même pour un PCiste. Bref, Haemimont Games a parfaitement rempli son contrat et nous offre une bonne résurrection de la licence.
- Graphismes14/20
Le jeu perd un peu de sa superbe en passant sur Xbox 360. Il y a de l'aliasing, des ombres pixellisées, des textures moins détaillées... Globalement, c'est donc moins fin que sur PC. Néanmoins, le moteur 3D est capable d'afficher de jolies choses (les effets de lumière et de météo notamment) et le niveau de zoom est impressionnant.
- Jouabilité15/20
Pris en tenaille entre les desiderata des grandes puissances et les exigences multiples de sa population, votre despote aura fort à faire pour se maintenir au pouvoir pendant plusieurs décennies. Construire bien sûr, mais aussi gérer l'économie, promulguer des décrets, et "traiter" le problème constitué par les dissidents... Une formule suffisamment riche, servie par une interface satisfaisante. La maniabilité au pad demande un petit temps d'adaptation mais se révèle convaincante une fois domptée.
- Durée de vie16/20
Une quinzaine de missions, un mode Libre, des défis téléchargeables virtuellement infinis : Tropico 3 contient tout le contenu qu'on est en droit d'attendre d'un bon jeu de gestion.
- Bande son15/20
La bande-son fait évidemment la part belle aux sonorités caribéennes, notamment aux rythmes salsa. C'est entraînant et ça colle parfaitement à l'ambiance tropicale. Un peu plus de morceaux n'aurait toutefois pas été du luxe pour éviter la lassitude. Du côté des voix, on a droit à un accent hispanique caricatural à souhait.
- Scénario/
Tropico 3 ne prend pas beaucoup de risques en s'appuyant sur les concepts érigés par les deux premiers épisodes de la série. Toujours aussi immoral, le titre nous offre le plaisir coupable de régner en tyran sur une petite île paradisiaque, où soleil et palmiers cohabitent avec les geôles et les exécutions sommaires. Et ça marche ! Avec son ambiance exotique décalée et son gameplay bien ficelé, Tropico 3 s'impose comme un des meilleurs jeux de gestion sur 360.