Il fut un temps où Rayman ne partageait pas l'affiche d'un jeu avec une flopée de lapins arriérés aux gueules de Picasso. Il fut un temps où Rayman était entièrement en 2D. Il fut un temps où Rayman était la référence des jeux de plates-formes. Certes, cette époque n'est plus, mais replongeons dans ce titre capital et fondateur de ce que sont beaucoup de jeux aujourd'hui.
En effet, quand on pense aux origines du jeu de plates-formes, ce sont évidemment Mario ou encore Sonic qui viennent le plus facilement à l'esprit. Mais on oublie trop souvent Rayman, qui a provoqué un véritable renouveau dans ce genre qui avait tendance à se reposer sur ses acquis. Paru en 1995 sur la toute jeune Playstation, Rayman est un des premiers softs de la console de Sony. C'est à Michel Ancel, figure désormais incontournable d'Ubisoft à la base de Beyond Good & Evil notamment, que l'on doit sa création. Rayman est un personnage atypique, se démarquant des autres héros de manière assez nette : dessiné à la main à la façon d'un cartoon, il ne possède ni bras ni jambes pour relier ses mains et ses pieds à son corps. Une recette originale qui a le mérite de sortir des sentiers battus nippons. Pour le meilleur... et pour le meilleur.
Dans le monde de Rayman, tous les êtres vivent en paix les uns aux côtés des autres. Le Grand Protoon, une étrange boule d'énergie, maintient l'équilibre entre ces différents éléments, notamment grâce aux petits Electoons qui gravitent autour de lui. Mais un jour, l'infâme Mister Dark s'empare du Grand Protoon, malgré les efforts de Betila la Fée pour le protéger. Le monde déséquilibré laisse alors apparaître de viles créatures qui emprisonnent les Electoons dispersés dans des cages. Il ne reste qu'une seule solution : s'en remettre à Rayman. Le scénario assez simple, suffisant pour introduire ce type de jeu, met tout de suite dans l'ambiance ; une ambiance merveilleuse et enchanteresse. On déplace tout d'abord Rayman sur une grande carte du monde. Celle-ci est divisée en cinq secteurs, comportant plusieurs stages, eux-mêmes constitués d'une série de niveaux (ouf!). La progression reste celle d'un jeu de plates-formes : réussissez un stage pour avoir accès au suivant. Rien de bien nouveau donc sur le principe. Toutefois, on change vite d'avis dès qu'on entre dans le premier niveau.
La première réaction est un "Ooooooooooh..." d'admiration mêlée à de l'émerveillement, et à un peu de bave aussi. Oui, Rayman est juste magnifique. Le premier secteur, une jungle luxuriante, nous expose ce que le jeu a à nous offrir : une 2D somptueuse, avec des effets d'ombres, de lumière et de brillance. La puissance de la Playstation permet de toucher du doigt des graphismes 2D encore plus aboutis que pour les consoles 16 bits. Mais si la réalisation est plus qu'impeccable, ce sont aussi et surtout les environnements dessinés à la main qui tiennent le haut du pavé. Tout au long du jeu, on regarde comme un enfant les magnifiques décors et les artworks créés par les dessinateurs d'Ubisoft. Le second plan vaut autant le coup d'oeil que le premier, et les univers sont variés et extrêmement colorés. On passe d'un monde nuageux velouté, constitué d'instruments de musique et de notes, à des montagnes grises et menaçantes, aux crêtes acérées, pour voguer vers des niveaux basés sur des crayons géants, des gommes et des punaises. Tous donnent réellement le sentiment d'être vivants et fourmillent de petites animations. Les petits champignons rouges de la Forêt des Songes sautillent sans cesse, les grandes flûtes du Ciel Chromatique vous suivent du regard tandis que les stylos plumes de la Crique aux Crayons lèvent les yeux vers vous quand vous leur sautez sur la tête. Les développeurs ont vraiment voulu enlever l'aspect "décor" des différents environnements du jeu, pour un rendu vraiment réussi.
Mais l'Homme-Ray n'est pas en reste. Loin de là. La fluidité de son corps, en partie due à son design particulier, est renforcée par des sprites hyper détaillés. Résultat : les mouvements de Rayman sont toujours très naturels. Par ailleurs, on découvre avec plaisir, et souvent avec le sourire, les différentes animations du personnage au fur et à mesure de l'aventure. Notre héros ne présente jamais la même mimique, que ce soit quand il saute, quand il court, ou quand il perd une vie. On peut même le voir claquer des dents face aux boss, ou vous demander de remonter quand il est agrippé à un rebord. Bref le voir évoluer dans les niveaux est un vrai plaisir. Mais le très haut niveau atteint par le character design et par l'animation concerne tous les personnages du jeu. Les ennemis sont hauts en couleur, très originaux et ils conservent la dose d'humour et le style graphique de Rayman. Le premier prix revient probablement au Ciel Chromatique, le monde musical issu d'esprits géniaux dans lequel les notes de musique, les tambours et les flûtes sont des êtres vivants.
Mais si l'ambiance merveilleuse du monde de Rayman se transmet si aisément au joueur, c'est également grâce à la bande-son du titre, qu'on peut largement qualifier d'exceptionnelle. Celle-ci se divise en deux au cours d'un niveau de jeu, une partie musicale, et une partie bruitage et fond sonore. La première contient des thèmes enchanteurs, qui suivent l'ambiance générale de l'environnement. Entraînants, obscurs, parfois inquiétants, les morceaux dans Rayman ne vous laissent jamais indifférent et sont un véritable outil d'intégration au jeu. Un outil amélioré et même complété par le fond sonore et les bruitages, laissés seuls à certains endroits. Ambiance forêt amazonienne, vent qui tournoie dans les cols ou même son des tam-tams sur lesquels vous marchez, chaque élément a une sonorité correspondante. Même les Tings, ce petites boules bleues qui vous servent à gagner une vie supplémentaire, produisent un petit son aigu quand vous les ramassez, et une mélodie lorsque vous en saisissez plusieurs. Vous l'aurez compris, Rayman est un petit bijou d'ambiance féerique que l'on redécouvre toujours les yeux brillants. Cependant, attention, ce n'est pas le seul atout du titre d'Ubisoft.
En effet, si Rayman a marqué le monde du jeu vidéo, ce n'est majoritairement pas par son univers, même si celui-ci mérite largement la moitié des louanges. C'est la fraîcheur de son gameplay qui a surtout marqué les esprits. Si on peut le voir comme un jeu de plates-formes basique, voire banal, lors des deux ou trois premiers niveaux, c'est dans la longueur que Rayman s'étoffe. Et on n'appréhende la profondeur de sa jouabilité qu'en progressant dans l'aventure. Alors qu'au commencement du jeu, vous ne pouvez que sauter et ramper, vous acquérez au fur et à mesure de nouvelles capacités. Celles-ci vous sont octroyées à la fin de certains niveaux par le fée Betila, celle-là même qui n'a pas été foutue de défendre une pauvre sphère d'énergie. Enfin, passons. Rayman apprendra donc à s'agripper aux bordures, à courir, à faire l'hélicoptère avec ses cheveux, et évidemment à lancer son poing, véritable marque de fabrique du personnage. Ce poing peut également lui servir à se pendre à des zéros ailés, et à se balancer comme avec un fouet. Et ces différents pouvoirs ne seront pas de trop pour réussir à libérer les Electoons répartis dans les niveaux. Car c'est là votre objectif : localiser et détruire toutes les cages qui contiennent les petits êtres roses. Elles sont au nombre de six par stage et, si on arrive facilement à les dénicher au début, on a beaucoup plus de mal dans les niveaux suivants. Il faut souvent revenir en arrière avec des pouvoirs récemment débloqués, pour atteindre certaines cages hors de portée auparavant. De plus, parallèlement à l'utilisation de ces capacités, les développeurs ont prévu des phases de jeu originales, qui surprennent vraiment le joueur. Certains niveaux sont recouverts de neige ou d'encre, ce qui rend le sol glissant. Un autre vous propose de grimper toujours plus haut en plantant de grandes fleurs, avant que le niveau de l'eau ne vous atteigne. Et vous devez parfois traverser le niveau sur un élément mouvant, et éviter d'être touché par les obstacles ou les ennemis que vous rencontrez, mobiles ou immobiles.
Le joueur n'est donc quasiment jamais en proie à la lassitude... si ce n'est face à la difficulté du jeu, qui n'est pas modulable ! En effet, malgré son design cartoon, son univers enchanteur et sa prise en main aisée, Rayman s'avère être très compliqué. Passé un quart du jeu, un timing extrêmement précis est requis pour sauter ou se baisser. Le rythme nécessaire pour réussir n'est jamais le même suivant le niveau ; on doit tantôt essayer d'aller le plus vite possible pour éviter les coups, tantôt attendre et observer pour passer après la tempête. De plus, le level design complexe et torturé présente des passages parfois ardus en termes d'enchaînement et de timing, même pour les joueurs confirmés. Enfin, les boss réclament une forte dose d'observation durant laquelle vous sacrifierez de nombreuses vies pour pouvoir comprendre les différentes phases d'attaque. Vous devez donc faire bravement attention à vos trois points de vie, et chercher partout l'item qui vous permettra d'en avoir temporairement cinq. Jusqu'à ce que vous perdiez. La difficulté de Rayman en fait donc un titre destiné malgré tout à des joueurs avertis, et lui donne une durée de vie exemplaire. Comptez une quinzaine d'heures pour finir le jeu en traversant les niveaux, et dix de plus si vous avez l'intention de libérer tous les Electoons. Un must pour un jeu de plates-formes. On peut donc se sentir déçu, voire même trahi quant à l'orientation de la série après son passage en 3D. Quand on voit, ce qu'était le jeu à l'origine, force est de constater que oui, Rayman ne mérite maintenant plus que de figurer aux côtés de lapins débiles...
- Graphismes19/20
Extrêmement bien réalisé, que ce soit au niveau de la qualité de la 2D ou des animations, le titre possède surtout une âme, un style bien défini. Enchanteurs et merveilleux, les environnements et les personnages dessinés à la main donnent l'impression de sortir du papier pour s'animer devant les yeux du joueur. Saisissant.
- Jouabilité17/20
Rayman reprend les grandes lignes des jeux de plates-formes, pour y souffler un vent de nouveauté. Notre héros peut effectuer toute une série d'actions, au lieu de seulement une ou deux. On découvre la profondeur du gameplay dans la continuité, la prise en main est immédiate et les phases de jeu sont aussi variées qu'agréables. Un petit malus pour l'utilisation du poing qui peut s'avérer (parfois) imprécise.
- Durée de vie17/20
Prévoyez entre 15 et 25 heures pour terminer le jeu. On a rarement vu un jeu de plates-formes aussi difficile, et parallèlement aussi long, si ce n'est chez les cadors du genre. Car ici, le challenge ne lasse pas. Certes, c'est dur, mais on a tellement envie de voir la suite.
- Bande son18/20
Le jeu est aussi agréable pour les yeux que pour les oreilles. Les mélodies sont envoûtantes, travaillées et accompagnent à merveille les niveaux traversés. On se surprend même à être soulagé et heureux de voir revenir un thème qu'on apprécie. Quant aux bruitages, ils sont variés et habitent vraiment tous les éléments du titre. Un vrai chef-d'oeuvre.
- Scénario14/20
Une histoire et un univers mignons tout plein, le message écolo passe bien, tout comme dans Beyond Good & Evil. Tout ça est tellement attachant qu'on en oublie que le scénario n'est pas plus profond que la narine d'un Lapin Crétin. Cela suffit amplement et on s'en accommode sans souci.
Rayman est entré, grâce à ce premier opus, au panthéon des héros des jeux vidéo, aux côtés des éternels géants nippons que sont Mario, Sonic ou Donkey Kong. Le titre est une véritable oeuvre d'art comme on en voit très peu, et même si la série a quelque peu dévié de son axe originel, on peut espérer un éventuel retour aux sources de la part d'Ubisoft. En 2D?