C'est en 1992, alors que la Super Nintendo est en train d'exploser commercialement et de voir ses titres phares devenir des succès phénoménaux (F-Zero, Super Mario World, Zelda 3), que Nintendo annonce la sortie de Super Mario Kart, première exploitation surprenante de la licence Mario dans la jeune histoire du plombier italien. Et pourtant, "Big N" a mis le paquet pour nous proposer un titre qui se doit d'allier la technique pure et stricte d'un F-Zero et le fun absolu proposé par l'univers coloré et déjanté de la saga Mario. Ce pari va non seulement être un véritable coup de maître mais va tout simplement accoucher d'une série à part entière qui reprendra les éléments principaux de ce hit incontournable en tous points.
Résumer le concept de Super Mario Kart est plutôt simple : c'est un jeu de courses de karts sur des circuits aux revêtements variés (bitume, terre, boue, plage, et même glace !) où l'on peut alternativement jouer en contre-la-montre, en mode Duel (dit "Match Race") ou dans un mini-championnat au rythme effréné face aux autres personnages gérés par l'IA (seul ou à deux). Le quatrième et dernier mode est un mode Battle où l'objectif n'est pas de franchir la ligne d'arrivée en tête mais de détruire le kart adverse protégé par des ballons, le tout dans des arènes fermées... On ne le sait pas encore, mais ces quatre modes de jeu vont devenir un rituel repris à l'identique dans chaque volet de la saga, même si SMK sera le seul à ne pas disposer d'un mode multi au-delà de deux joueurs. Les personnages sont au nombre de huit. On trouve bien sûr Mario, Luigi, la Princesse Toadstool (Peach), Toad, Yoshi et Bowser. Mais deux autres personnages manquent pour être huit au total ! Donc, on y ajoute ce bon vieux Donkey Kong Jr., dont le physique se rapproche plus de celui du paternel, d'ailleurs, et on impose Koopa Troopa pour proposer un clone de Toad. En effet, les persos sont classés par groupe de binômes et ont chacun leurs propres caractéristiques : les deux plombiers sont assez rapides et se manient bien, ce qui constitue un excellent compromis vitesse/maniabilité. La Princesse et Yoshi bénéficient d'une super-accélération mais sont très lents et se conduisent difficilement, au contraire des deux gros (Bowser et Donkey Kong Jr.) qui ont du mal à démarrer, mais qui une fois lancés sont des bolides. Enfin, Toad et Koopa sont conseillés aux débutants : leur pilotage facile, collant bien à la piste, et leurs performances générales correctes en font des persos pratiques et maniables. En revanche, leur petit gabarit est un handicap important pour se frayer un chemin dans le peloton en jouant des coudes.
Au départ, Nintendo semble vouloir nous proposer un titre pour se détendre et s'affranchir de la réflexion proposée par les jeux de plates-formes éreintants que furent Super Mario World et les épisodes de la trilogie Super Mario Bros. Pourtant, il n'en est rien, SMK se révèle être un véritable jeu à challenges en tous genres qui va complètement résister à l'épreuve du temps pour diverses raisons qu'il convient de commenter. Tout d'abord, grâce à son mode Time Trial, (le contre-la-montre), SMK propose de jouer seul, pour battre les records de piste sur cinq tours d'affilée. Bien sûr, il n'y a pas d'adversaires ni objets pour "tricher", certains raccourcis ne sont pas utilisables, le but étant de parcourir l'intégralité du circuit le plus vite possible. Ce mode est de loin le plus éprouvant pour les nerfs, car il apprend véritablement au joueur à maîtriser sa concentration durant plusieurs dizaines de secondes pour répéter inlassablement la meilleure trajectoire. Les tours les plus réguliers sont par ailleurs récompensés par un fantôme transparent auquel on peut ensuite se mesurer pour améliorer ses performances. S'il n'est pas particulièrement fun, ce mode a le mérite de mettre l'accent sur le caractère incroyablement technique d'une cartouche où le moindre pixel compte pour arracher de précieux centièmes de seconde. Ici, et contrairement aux Mario Kart qui suivront, les trajectoires sont incroyables de précision technique. La plupart des joueurs ayant suivi toute la saga s'accordent à dire que le Time Trial de SMK n'a jamais connu d'égal par la suite, les pistes devenant plus longues et plus bosselées, donc moins soumises à des tours "parfaits" réussis au pixel près. Par ailleurs, un site de classements mondiaux existe depuis plus de dix ans, proposant aux utilisateurs de se mesurer aux meilleurs joueurs de la planète en comparant leurs scores mis à jour de façon hebdomadaire, ce qui permet de rallonger considérablement la durée de vie de SMK.
Le mode Grand Prix, ensuite, où l'on peut jouer en solo ou à deux, permet à tous les concurrents de s'affronter (six ou sept concurrents étant dirigés par la console, et usant de leurs armes personnelles pour perturber votre conduite). Ici on roule sur des cases bonus pour obtenir des items plus ou moins précieux qui influent énormément sur le déroulement de la course : les carapaces lancées en direction des adversaires peuvent les renverser, les champignons procurent un boost durant un court laps de temps, l'étoile rend le kart invincible et surpuissant, la plume permet de sauter par-dessus un mur ou un grand précipice... SMK offre trois types de cylindrées pour ce mode (50cc, 100cc et 150cc, cette dernière n'étant accessible que lorsque vous avez remporté toutes les compétitions en 100cc), les trois autres modes de jeu se jouant en 100cc. Bien entendu, si le mode 50cc est en quelque sorte le mode "facile" de par sa vitesse réduite, le 150cc est réservé aux joueurs plus talentueux, car les vitesses maximales du jeu sont atteintes ici et ce mode exige un certain niveau de pilotage pour parvenir à remporter des courses. Notons qu'en 150cc, SMK se transforme en jeu de courses hardcore qui nécessite des dizaines d'heures de jeu et de tentatives pour remporter toutes les séries. Si on le compare à ses petits frères, il est de loin le Mario Kart le plus ardu et ne pardonne quasiment aucune erreur.
Dans un registre plus différent, on trouve le mode Match Race, qui consiste en un affrontement entre deux joueurs humains, sans aucun autre adversaire sur la piste, où l'on peut choisir le circuit de son choix et ce à l'infini (la barre de scores pouvant aller jusqu'à 99 victoires de chaque côté). De plus, c'est dans ce mode que l'intégralité des objets peut être utilisée, avec notamment le fantôme permettant de voler l'option détenue par le concurrent, les pièces qui apportent plus de puissance au moteur, ou l'éclair, arme ultime du jeu, qui rapetisse l'adversaire, le rendant plus lent et très vulnérable pendant une dizaine de secondes. Ces subtilités se maîtrisent en quelques tours de pistes grâce à un gameplay simple et bien pensé. La palme va tout de même à la gestion physique hallucinante des karts, et notamment au saut qui sert de contre-braquage de sorte à replacer le kart parfaitement dans l'axe en sortie d'un virage pris en dérapage. C'est techniquement sans faute, et le mode 7 amorcé par F-Zero atteint ici sa plénitude, donnant réellement l'impression que les véhicules évoluent en profondeur et que les circuits sont en trois dimensions, alors que cette réalité n'interviendra qu'en 1993 avec le Super FX introduit dans le premier Starwing... Enfin, il y a ce fameux mode Battle, le plus secouant de tous. Les joueurs s'affrontent sur un circuit-labyrinthe sans issue en forme de carré, comprenant de nombreux couloirs. Chaque pilote dispose de trois ballons autour de son kart. Le but étant d'éclater les ballons de l'adversaire... Cela peut se faire avec des carapaces à tête chercheuse (mais dont l'usage nécessite plus de technique qu'il n'y paraît) ou avec des peaux de bananes vicieusement posées ou lancées sur la route, et ce sous le nez de l'adversaire... Bref, vous l'aurez compris, contrairement aux autres jeux de courses de la console, SMK est vraiment porté sur le divertissement, le fun même, mais avec une technique irréprochable qui scotche encore aujourd'hui tous ses utilisateurs.
Pour finir, l'environnement global du jeu le sert également à merveille : les graphismes et l'univers des circuits sont très empruntés à Super Mario World malgré certaines déformations (Vanilla Lake par exemple). Quant à la bande-son, elle présente un énorme avantage, celui de ne reprendre aucun thème déjà entendu dans les titres précédents, à l'exception de celui du château de Bowser. Ces thèmes sont généralement peu travaillés mais rythment très bien chaque course et collent parfaitement aux circuits : la musique des Koopa Beach a un petit côté vacances, celle de Ghost Valley est plutôt sombre et inquiétante, enfin le thème de Rainbow Road, la course mythique souvent copiée mais jamais égalée, se place dans un registre plus techno-psychédélique qui sied à merveille à ce tracé haut en couleur déconseillé aux épileptiques potentiels. En bref, Super Mario Kart est un titre original, très accrocheur, à la durée de vie pour ainsi dire infinie, et techniquement très surprenant pour son époque, si bien qu'il demeure toujours aussi difficile de l'égaler à ce niveau. Si vous avez aimé les Mario Kart dans leur globalité et avez une âme nostalgique, jetez-vous impérativement sur ce titre pour comprendre pourquoi cette série a pu connaître un tel succès et s'imposer comme une des sagas à part entière de Nintendo.
- Graphismes18/20
Il s'agit du premier Mario à proposer des menus aussi variés. En course, le jeu se montre particulièrement convaincant, de par une présentation globale irréprochable et des graphismes chatoyants, complètement dans l'esprit de la série. De plus, le mode 7 reproduit à la perfection l'impression de 3D, le pari est donc parfaitement gagné. Quant aux décors et aux personnages, ils sont tous en harmonie les uns avec les autres si bien qu'on apprécie chaque course aussi bien pour son déroulement et sa technique que pour son cadre général.
- Jouabilité18/20
Dire que SMK est le jeu parfait à ce niveau serait subjectif : il n'y a que lorsque l'on a passé des dizaines d'heures dessus et que l'on en maîtrise toutes les subtilités que l'on peut affirmer qu'aucun jeu de courses ne l'égale. Hormis une adaptation pas toujours facile à un pilotage technique qui ne pardonne pas beaucoup de fautes, il faut quand même souligner l'excellent travail à ce niveau, car pour l'époque, la palette de possibilités de conduite est vraiment grandiose, et l'utilisation de chaque bouton est bien pensée. Maîtriser la conduite des pros du circuit semble mission impossible (l'utilisation du bouton R (ou L) requiert une certaine dextérité qui ne s'acquiert pas en un claquement de doigts), mais le jeu se prend remarquablement vite en main.
- Durée de vie16/20
Jeu à défis permanents, ultra accrocheur et addictif, SMK propose une rejouabilité de folie aussi bien en multijoueur, via le mode Battle entre autres, qu'en solo, où la course aux records est un challenge sans fin. Il n'est dès lors pas surprenant de voir que ce titre a vu naître une communauté entière de joueurs, un classement mondial toujours vivant au quotidien depuis si longtemps, et un championnat annuel pris au sérieux par Nintendo. Si les championnats se terminent relativement vite, il ne faut pas oublier que l'on peut (et doit) jouer à plusieurs, surtout en Battle Mode, et que le mode Time Trial peut vous réserver plusieurs mois de pratique intensive avant d'atteindre le plus haut niveau.
- Bande son16/20
Les thèmes de SMK collent parfaitement à l'ambiance des circuits. C'est rythmé et en plus, le génial Koji Kondo a eu l'intelligence de ne reprendre qu'un seul thème tiré d'un jeu précédent (le château de Bowser, reprise du boss final de SMW). Matérialiser les bruits des moteurs des karts en fonction de leur puissance n'était pas chose facile. Le jeu s'en tire à la perfection et l'utilisation des objets en piste donne lieu à toute une gamme de sons très fun. On a donc affaire à une bande-son de grande qualité dont on ne se lasse pas et qui s'accorde idéalement au jeu.
- Scénario/
Premier jeu du genre de la saga Mario, SMK est aussi le premier jeu de courses de l'histoire du jeu vidéo qui défie toutes les conventions de la course automobile. En fait, il ne respecte rien, le sérieux des simulations disparaissant au profit d'un fun absolu qui est le point fort essentiel d'un jeu terriblement prenant et technique. Nintendo réalise vraiment un grand coup avec ce soft alliant les aspects délirants de la série des Mario et les éléments d'une course de karting. Bon nombre de jeux tenteront de s'en inspirer (notamment les Mario Kart qui suivront) mais aucun n'atteindra l'incroyable niveau de folie que SMK a fixé en cette remarquable année 1992…