Telle Mona De Lafitte, l'héroïne de A Vampyre Story, le jeu d'aventure traditionnel oscille entre la vie et la mort. Chasse gardée d'un cercle de fans nostalgiques, il se donne régulièrement à eux pour le meilleur et pour le pire. Ignorant de son sort, ou faisant mine de l'être, il poursuit ses rêves sans jamais renoncer. Courage, Mona : ton heure approche et ton public t'attend.
S'il y en a un en qui les adeptes de jeux d'aventure gardent une foi inébranlable, c'est bien Bill Tiller. Sans doute moins connu qu'un Ron Gilbert, qu'un Steve Purcell, qu'un Dave Grossman ou qu'un Tim Schafer, cet ex-LucasArts est surtout connu pour son travail sur The Curse of Monkey Island, le troisième épisode de la série. Diplômé en animation (il a reçu l'enseignement de sommités de chez Disney et Pixar), Bill Tiller avait participé au changement d'orientation artistique de la saga en conférant à Monkey 3 son inimitable design cartoon. Depuis, l'homme a oeuvré sur plusieurs projets pour le moins éclectiques (on le retrouve directeur artistique sur Guild Wars) avant de fonder sa propre boîte, Autumn Moon Entertainment. A Vampyre Story est le premier titre de ce jeune studio, qui a bien l'intention « de porter le flambeau que d'autres compagnies ont choisi d'éteindre », à savoir créer des jeux d'aventure de qualité.
L'histoire est celle de Mona De Lafitte, une chanteuse d'opéra prometteuse qui rêvait d'être cantatrice à l'Opéra de Paris... jusqu'à ce qu'elle se fasse enlever par le baron Shrowdy Von Kiefer, vampire de son état. Ce dernier a conduit Mona chez lui dans son château de Draxsylvanie, mais n'a pas eu le courage de lui révéler sa véritable nature. Ainsi, il lui apporte toutes les nuits une bouteille de "vin spécial" destinée à combler la soif étrange qu'elle a développée. Complètement obsédé par la jeune femme, il lui a même fait construire une scène d'opéra pour tromper son ennui. Mais la belle ne songe qu'à s'enfuir pour pouvoir regagner Paris et accomplir son rêve. C'est ce qu'elle confie souvent à son ami Froderick, une chauve-souris particulièrement espiègle. Un jour, le baron Shrowdy Von Kiefer, de sortie dans les vastes plaines enneigées de Draxsylvanie, se fait piéger et tuer (enfin, c'est une façon de parler) par des chasseurs de vampires. Ayant appris la nouvelle, Mona jubile à l'idée de pouvoir enfin quitter cet endroit sinistre où elle est retenue captive. Mais ce ne sera pas si simple : le château est une véritable prison. Nos deux compères vont donc devoir rivaliser d'ingéniosité pour parvenir à en sortir. Ceci fait, ils franchiront moult épreuves et rencontreront une galerie de personnages étranges et pittoresques avant de pouvoir quitter la Draxsylvanie.
Dès les premières minutes de jeu, la griffe LucasArts saute aux yeux : les décors, d'abord dessinés à la main, ont été réalisés dans une 2D au style cartoon proche de The Curse of Monkey Island ; les graphistes ont multiplié les effets de déformation afin de les rendre à la fois plus féeriques et plus inquiétants. Les personnages sont pour leur part modélisés en 3D, mais restent très expressifs grâce à l'emprunt d'un style "burtonien" : le character design évoque inexorablement les Noces Funèbres. Comme il se doit, l'animation au-delà de tout reproche donne au joueur l'impression d'évoluer dans un dessin animé. Pourtant, tout n'est pas rose, loin s'en faut. Tout d'abord, les environnements souffrent d'un vilain flou qui subsiste quelle que soit la taille de l'écran utilisé. Ce voile disgracieux ne manque pas d'entacher la qualité du rendu visuel dans la mesure où il nuit à la bonne intégration des modèles 3D. En outre, il faut reconnaître que les écrans de jeu sont d'une qualité inégale : la plupart sont à tomber par terre mais certains se révèlent curieusement beaucoup moins convaincants (d'aucuns diront : râtés). Cet écueil est pour le moins surprenant quand on connaît la durée de développement dont a bénéficié le titre. Malgré ces défauts d'ordre technique et artistique, A Vampyre Story se révèle suffisamment accrocheur sur le plan visuel pour enchanter le joueur.
La poésie et le lyrisme que dégage le titre s'expriment aussi par l'intermédiaire de la somptueuse musique de Pedro Camacho. Le constat est par contre plus mitigé en ce qui concerne les voix - non doublées en français - des personnages. En digne cantatrice, Mona fait valoir son timbre chantant et suraigu en toute situation, ce qui peut finir par agacer. A côté de ça, le sous-titrage est fort mal conçu : la traduction textuelle apparaît dans une boîte trop petite qui morcelle à l'excès les longues tirades des protagonistes. Partant, les textes défilent beaucoup trop vite, contraignant parfois le joueur à rejouer les mêmes dialogues pour en saisir tout le sens. Et ce n'est pas toujours une partie de plaisir, le jeu se révélant particulièrement bavard (trop diront certains), à l'image des productions LucasArts des années 90. Heureusement, l'indéniable qualité des dialogues rattrape amplement le coup. Le jeu aligne les répliques drôles et savoureuses dans lesquelles la candeur de Mona et le cynisme de Froderick font inévitablement mouche. Lorsque, à l'occasion d'une discussion dans la Chambre des Tortures, Froderick raconte à Mona que le baron Shrowdy avait l'habitude de déjeuner avec le livreur de journaux, la jeune femme paraît surprise qu'il s'abaissât à cela. La chauve-souris précise alors que c'est le livreur lui-même que son maître sirotait.
Sur le plan du gameplay, A Vampyre Story fait preuve d'un classicisme d'école, sans pour autant s'interdire quelques innovations. Le curseur de la souris change de forme lorsqu'il passe sur un élément interactif du décor ; un clic gauche laisse alors apparaître un menu radial pour le moins disgracieux qui mange allègrement un bon 1/10ème de l'écran. On ne sait trop que penser de ce choix, particulièrement préjudiciable sur le plan du rendu visuel et de l'immersion. Quoiqu'il en soit, ce menu offre au joueur quatre possibilités : examiner, utiliser/ramasser, parler ou bien encore utiliser un des pouvoirs de vampire de Mona. Celle-ci dispose en effet de compétences liées à sa nature (elle peut par exemple se transformer en chauve-souris), qui s'étofferont au fur et à mesure de sa progression dans l'aventure. Elles lui permettront notamment de résoudre certaines énigmes du jeu ; énigmes parfois un peu loufoques mais plutôt accessibles dans l'ensemble. Mentionnons également la présence d'une trouvaille particulièrement judicieuse : Mona se limite à "noter" la présence de certains objets (seule leur silhouette figure dans le cercueil qui lui sert d'inventaire) en attendant d'avoir une bonne raison de les utiliser. Précisons enfin que le jeu souffre hélas d'une durée de vie assez courte, qui peine à dépasser les 7/8 heures. Un peu léger vu son prix de vente.
- Graphismes14/20
Bien qu'ils ne présentent pas toujours le même degré de qualité, on reste ébahi devant la beauté et la poésie des environnements. Dommage qu'un vilain effet de flou vienne ternir le tableau, tout comme ce menu radial aussi laid qu'envahissant dont on se serait bien passé. La modélisation et l'animation des personnages sont quant à elles d'excellente facture (même si la lenteur des déplacements est un poil irritante).
- Jouabilité14/20
Même si on a vu plus pratique, l'interface permet une prise en main rapide. Le gameplay plutôt old school prive le joueur de certaines fonctions d'aide présentes dans d'autres productions récentes du même genre, mais est-ce vraiment un mal ? A côté de ça, l'évolution des pouvoirs de Mona et la présence d'objets "éventuellement utilisables" sont des innovations vraiment plaisantes.
- Durée de vie8/20
Tout dépend de votre propension à épuiser ou non la somme des répliques qui vous sont proposées lors des dialogues. Mais l'aventure étant assez courte et les énigmes logiques, ne comptez pas sur plus de 8 heures de jeu, ce qui est quand même un peu léger vu le prix de vente du titre.
- Bande son15/20
C'est un véritable déchirement que de ne pas pouvoir mettre une meilleure note à une bande-son qui propose des thèmes musicaux d'une telle qualité : leurs accents lyriques, étranges ou romantiques illustrent à merveille l'univers du jeu. Mais la voix de Mona, particulièrement irritante à la longue, et l'absence d'un doublage en français nous y contraignent.
- Scénario14/20
L'univers gothico-romantique de A Vampyre Story est diablement séduisant. Mais on s'attendait peut-être à mieux en matière de scénario : quoiqu'intéressants, les personnages rencontrés restent rares et les lieux visités manquent un peu de variété. Heureusement, le jeu est truffé de références et bourré d'un humour noir qui évoque celui de L'Etrange Noël de Mr Jack.
A Vampyre Story est un jeu d'aventure typiquement old school dans la veine des productions LucasArts. Il mise sur ses décors somptueux, son humour omniprésent et ses quelques trouvailles de gameplay bien senties pour convaincre les adeptes du genre. Hélas, il souffre également d'une série de défauts, dont certains résultent de curieux partis pris : son vilain voile de flou, son menu radial envahissant et sa traduction française mal intégrée nuisent fortement à l'immersion, l'empêchant de devenir une référence du genre. Sa durée de vie insuffisante nous pousse même à le conseiller en priorité à un public d'inconditionnels prêts à y mettre le prix.