Rares sont les jeux à avoir déchaîné autant les passions avant même leur sortie. Dès son annonce, Fallout 3 a cristallisé les attentes les plus folles des uns et suscité la méfiance des autres, qui craignaient que la licence ne perde de sa substance entre les mains de Bethesda. Il est vrai qu'avec son gameplay hybride empruntant autant à la saga des Elder Scrolls qu'à celle des Fallout, ce troisième épisode risque d'alimenter encore longtemps la polémique. Mais pour peu qu'on sache faire le deuil de ses attentes de fan endurci, Fallout 3 est un jeu de rôle aux multiples qualités, susceptible d'offrir une expérience de premier choix.
L'univers post-apocalyptique mis en scène par les Fallout (et leur précurseur Wasteland), doit entre autres beaucoup à la saga des Mad Max. Il est intéressant de constater, à ce titre, le parallèle entre les deux séries. L'une comme l'autre trouvent leurs marques dans un premier épisode vite devenu culte, puis culminent dans une suite magistrale et sans concession, pour enfin s'ouvrir à un public plus large à l'occasion d'un troisième volet quelque peu édulcoré. La différence, c'est que les cinéphiles n'auront attendu Mad Max 3 que quatre ans. Les fans de Fallout, eux, poireautent depuis dix ans ! Qui plus est, après la fermeture de Black Isle, ils auraient bien vu le studio Troika Games récupérer leur licence fétiche ; ils ont donc grincé des dents lorsqu'elle a échu à Bethesda, promesse d'un troisième volet en 3D temps réel avec vue à la première personne. Plus encore que l'abandon des combats tactiques au tour par tour et que les concessions propres au développement multi-supports, les inquiétudes des fans étaient relatives à l'ambiance qui prévaudrait dans le jeu. La saga des Elder Scrolls a beau être un modèle en matière de liberté d'action et de mouvement, elle souffre d'un univers générique et quelque peu impersonnel, et surtout d'un ton très politiquement correct qui faisait craindre le pire pour Fallout 3.
Pourtant, dès les premières minutes de jeu, l'habitué de la série se retrouve en terrain connu. La phase de création de personnage permet de constater que le système de jeu très complet qui faisait la force des opus précédents a été conservé dans ses grandes lignes. La détermination des sept caractéristiques de base de votre avatar (les S.P. E.C.I.A.L.) permet d'établir son profil de base. Vous devez ensuite répartir des points de compétence afin de préciser son degré d'aptitude dans tel ou tel domaine (armes à feu, baratin, explosifs, furtivité, médecine ...). Un score élevé augmente les chances de réussite d'une action donnée, ou permet de prendre part à un mini-jeu (crochetage de serrures ou piratage de terminal) qui en déterminera la réussite. Au fur et à mesure de votre progression, vous bénéficierez de nouveaux points de compétence à distribuer. Enfin, pour rendre votre personnage encore plus unique, vous devez lui choisir un perk (talent) à chaque nouveau niveau d'expérience acquis ; ces aptitudes particulières lui confèrent des bonus dans des domaines divers et variés (exemples : avoir le don du commerce, pouvoir porter un équipement plus lourd, être à l'aise avec les enfants...). Seul regret : la disparition des traits, sortes de dons procurant à la fois des avantages et des inconvénients, qui étaient présents dans les premiers Fallout. Bien entendu, vous pouvez également choisir le sexe et l'apparence de votre avatar.
Tout ceci se fait à l'occasion d'un tutorial scénarisé qui fait montre d'une grande inventivité et favorise l'immersion. J'aurai le bon goût de ne pas vous en dévoiler les ressorts, mais sachez qu'il se déroule une fois de plus dans un abri antiatomique, et qu'il met au premier plan une des caractéristiques majeures de la série : la possibilité de résoudre les situations de plusieurs façons différentes. Fallout est le style de RPG qui pousse à raconter sa propre expérience de jeu sur les forums et à la comparer avec celle vécue par les autres, et ce troisième volet ne fait pas exception à la règle. Outre votre liberté d'action et de mouvement, vous bénéficiez d'un vaste panel de répliques possibles lors des dialogues. Certaines requièrent un jet sous une de vos compétences (force, persuasion...), et la réaction de votre interlocuteur sera fonction de votre succès ou de votre échec. Plus généralement, vos choix de comportement ont des répercussions, à plus ou moins long terme, sur le déroulement de votre aventure et la façon dont auront évolué l'univers et les PNJ qui le peuplent. Il vous faudra donc assumer ces conséquences : tuer un innocent vous procurera un mauvais karma, ce qui vous attirera les foudres de la majorité de la population mais vous ouvrira parallèlement certaines portes peu recommandables. De même, si vous volez une des possessions privées d'un PNJ, vous risquez de vous mettre à dos le clan ou la famille auquel il appartient. Notez qu'on retrouve dans Fallout 3 toutes les factions connues (la Confrérie de l'Acier, l'Enclave, les esclavagistes...) et qu'il est possible de travailler pour elles.
Pour l'heure, vous venez de sortir de l'abri et vous êtes seul, désespérément seul dans ce monde hostile dévasté par un conflit nucléaire. Vous avez toutefois un objectif : retrouver votre père, en partant sur ses traces et en interrogeant les personnes qu'il est susceptible d'avoir croisées. Plus personnelle que la recherche d'une puce d'eau, la quête principale de Fallout 3 n'est pas forcément plus intéressante. Heureusement, elle ne sert, une fois de plus, que de fil conducteur : libre à vous d'en ignorer les tenants et les aboutissants au profit des nombreuses quêtes secondaires qui vous attendent. Ces missions annexes s'avèrent particulièrement travaillées pour un jeu "bac à sable" ; Oblivion avait déjà fait un progrès dans ce sens et Fallout 3 va encore plus loin. Certaines, que vous jugerez au départ anecdotiques, vous surprendront par leurs nombreux développements, qui impliquent des choix constants de votre part. Toutefois, il faut bien avouer qu'elles manquent un peu de piquant et de ce côté adulte et transgressif qui a fait le succès des épisodes précédent. Disons que le cocktail sexe/drogue/violence/humour noir a été passablement édulcoré. Dans Fallout 3, les dealers sont des goules, les prostituées se limitent à dormir à côté de vous et il est "bien entendu" impossible de tuer des enfants.
A côté de ça, le véritable plus de Fallout 3 par rapport à ses prédécesseurs tient dans l'exploration réaliste de l'univers. Exit les voyages de zone en zone à partir d'une carte : ici, il vous faut marcher pour vous rendre d'un endroit à l'autre. La retranscription de l'univers post-apocalyptique est crédible et réussie. En dépit d'un inévitable manque de variété, les environnements sont truffés de tout un tas de choses qui les rendent agréables à parcourir. Les différentes villes parviennent même à éviter la redite : construites dans un cratère, au sommet d'un pont détruit ou sur un navire échoué, elles se révèlent vraiment convaincantes. Seul bémol : l'immense capitale située au sud-est de la carte est un peu contraignante à parcourir : la faute à des environnements faussement ouverts, qui obligent à arpenter d'innombrables sections de métro pour passer de l'une à l'autre. Heureusement, chaque zone déjà visitée peut être rejointe en utilisant l'option de fast travel disponible. La surface de jeu étant bien plus immense qu'il n'y paraît au premier abord, cette fonction se révèle quasi-indispensable, même pour les puristes du voyage à pied. On regrette à ce titre l'absence de véhicules, qui auraient pu jouer le rôle des montures d'Oblivion. L'option de fast travel permet aussi de s'épargner de fastidieux combats : les monstres qui peuplent l'univers de Fallout 3 (goules, super mutants, radscorpions, griffemorts... on retrouve avec plaisir le bestiaire traditionnel) réapparaissent en effet, une fois tués, au bout d'un certain temps.
Les affrontements ne représentent pas moins une énorme part du plaisir procuré par Fallout 3. Malgré leur déroulement en temps réel, ils n'ont pas grand-chose à voir avec les FPS traditionnels. En fait, la vue à la première personne sert à viser votre adversaire, mais ce sont vos compétences qui font le reste. Essayez de tirer avec une arme donnée en n'ayant que peu de points dans la compétence associée et vous comprendrez ce que je veux dire. A côté de ça, le VATS qui a fait couler tant d'encre se révèle à l'usage aussi pratique que grisant. Ce système permet de mettre l'action en pause pour viser une partie précise de l'anatomie d'un ennemi : de cette façon, au prix de quelques points d'action (résidus du système de combat au tour par tour des précédents Fallout), vous pouvez le ralentir, le désarmer ou tenter le headshot. C'est donc un parfait compromis pour insérer une certaine dimension tactique dans les combats, et les grincheux devront se rappeler que Baldur's Gate, édité par Black Isle dans la foulée de Fallout 2, proposait un système de pause similaire. Qui plus est, l'utilisation du VATS donne systématiquement lieu à un ralenti particulièrement bien mis en scène. C'est l'occasion d'admirer les effets gore du jeu : giclées de sang, démembrements, explosions... La violence graphique est bien présente et sans concession, et son côté excessif l'inscrit en digne héritière des épisodes précédents.
De manière générale, Fallout 3 est visuellement satisfaisant, sans jamais se montrer transcendant. Les intérieurs ne sont pas très jolis et les extérieurs, qui s'en sortent beaucoup mieux, comptent beaucoup sur le HDR pour mettre au second plan leurs textures disgracieuses. Ces concessions étaient toutefois inévitables pour proposer ces environnements ouverts qui s'étendent à perte de vue. Le jeu propose en outre quelques panoramas saisissants de beauté (ah, cette arrivée à Rivet City !). Les fans regretteront par contre que le style art-déco soit beaucoup moins prononcé que dans les précédents opus, et que le rendu visuel se rapproche davantage du réalisme clinique d'un S.T.A.L.K.E.R.. Mais ce qui fâche sans doute le plus dans Fallout 3, c'est l'animation très perfectible des personnages, dont le vôtre (la vue à la 3ème personne est de toute façon assez injouable), et l'aspect robotique des PNJ rencontrés, défauts hérités d'Oblivion. On a parfois l'impression que les sprites disgracieux de Fallout 1 et 2 étaient plus expressifs. De même, il faut bien avouer que le jeu souffre d'un déficit d'atmosphère. Bien que très belle (et sûrement trop), la musique ne parvient pas à retranscrire ce sentiment d'oppression et d'insécurité qui émanait des précédents opus. Notons enfin que l'interface, très proche de celle d'Oblivion avec notamment la présence d'une boussole pour le suivi des quêtes, a ses petits défauts : le PipBoy propose toujours un contenu aussi riche, si riche que vous vous retrouvez à l'ouvrir pour un oui ou pour un non (pour consulter la carte du monde par exemple).
L'indulgence reste de mise pour ceux qui se rappellent de l'interface extrêmement lourde des premiers Fallout. L'inventaire a notamment le mérite de proposer des filtres pour vous aider à classer la somme colossale des objets ramassables. Outre un panel d'armes toujours aussi étoffé (shotgun à canon scié, minigun, laser, lance-missiles, tronçonneuse...), outre un vaste choix d'armures (toutes visibles sur votre avatar), outre les stimpacks, anti-rads et autres drogues qui vous maintiennent en bonne santé, vous mettrez aussi la main sur du matériel de récupération nécessaire pour construire vos propres armes. Si ces objets vous alourdissent à l'excès, pensez à les échanger contre des caps aux marchands du coin, ou bien stockez-les dans votre maison. Eh oui, vous pouvez en effet bénéficier d'un petit nid douillet où récupérer entre deux escapades. En fait, Fallout 3 regorge de ces possibilités et de ces petits détails qui font les grands jeux de rôle. Pour ne rien gâcher, il dispose d'une durée de vie monstrueuse qui, si elle n'égale pas celle d'un Elder Scrolls, vous procurera de longues heures de survie dans le Wasteland.
- Graphismes14/20
Malgré le passage à la 3D, Fallout 3 conserve, dans ses grandes lignes, l'identité visuelle propre à la série. Il pèche en revanche sur le plan technique, avec une animation loin d'être satisfaisante et un aliasing prépondérant sur cette version PS3. On pardonnera toutefois ces errances au vu de l'étendue de la surface de jeu et de l'optimisation monstrueuse du moteur graphique.
- Jouabilité18/20
Particulièrement convaincant, le gameplay hybride de Fallout 3 s'appuie sur un développement de personnage gratifiant, un système de combat bien pensé et d'innombrables possibilités d'interaction avec l'univers. L'interface n'est pas des plus pratiques, mais on finit par s'en accommoder avec l'habitude.
- Durée de vie18/20
A l'instar de la série des Elder Scrolls, Fallout 3 propose des centaines d'heures de plaisir aux joueurs capables de s'y immerger suffisamment. L'univers est truffé de quêtes secondaires d'une longueur souvent surprenante. N'oublions pas non plus le potentiel de rejouabilité du titre, propre au système de jeu et aux différentes façons d'aborder et de résoudre les situations.
- Bande son15/20
Difficile de juger la bande-son de Fallout 3. Dans l'absolu, elle s'appuie sur des compositions musicales de grande qualité, dont les accents bucoliques risquent toutefois de dérouter les adeptes d'ambiances pesantes. Les bruitages sont réussis mais parfois un peu trop discrets : il n'est pas rare de ne pas entendre approcher un Griffemort fonçant droit dans notre dos.
- Scénario13/20
Le principal défaut de Fallout 3 réside dans sa thématique édulcorée et aseptisée. La présence de quelques jurons et d'une violence graphique bien réelle ne parviennent pas à faire oublier le scénario mature des précédents volets de la série. Malgré la qualité des quêtes, les PNJ sont bien trop lisses et c'est le politiquement correct qui prédomine.
Fallout est mort, vive Fallout ! Tel pourrait être l'épilogue d'une polémique qui n'est cependant pas prête de s'éteindre. En préférant élargir son public plutôt que de répondre aux attentes des joueurs de la première heure, Fallout 3 se mettra naturellement à dos une partie des fans de la série. Mais ce que certains considéreront comme un mauvais Fallout reste un très bon Elder Scrolls post-apocalyptique, qui parvient à faire valoir des qualités bien réelles quoique différentes. L'essentiel est que le plaisir de revêtir son armure de cuir et de partir à l'assaut d'un camp de super mutants soit resté intact. Bref, Fallout 3 c'est du Nuka-Cola light, mais c'est vachement bon quand même.