Paris, mars 2023, la capitale est aux mains d'une dictature religieuse et une énorme pyramide flotte au dessus des toits. Ce pitch ne vous est pas totalement étranger si jamais vous avez déjà jeté un coup d'oeil à l'oeuvre d'Enki Bilal. Issu de la bande dessinée et après avoir fait un petit tour du côté des salles obscures, Alcide Nikopol nous revient aujourd'hui dans un jeu d'aventure sur PC.
Alcide Nikopol, la seule évocation de ce nom suffit à raviver la passion qui sommeille dans le cœur des amateurs de bulles. Et pour cause, ce personnage est le fil directeur d'une série de trois bandes dessinées d'Enki Bilal qui sont généralement considérées comme son œuvre maîtresse. La Foire aux Immortel, La Femme Piège et Froid Équateur relatent les aventures d'un ancien déserteur paumé dans une époque qui n'est pas la sienne et dont le meilleur allié est un dieu égyptien mégalomane. Cet anti-héros est loin d'être maître de sa destinée, il se laisse souvent porter par des évènements et des enjeux qui le dépassent totalement. C'est peut-être d'ailleurs à cause du caractère contemplatif du personnage que l'adaptation de ses tribulations au cinéma n'a pas connu le succès. Les développeurs de White Birds ont visiblement préféré ne pas s'attaquer à la mythologie de la trilogie Nikopol de front. Ils se sont en effet permis quelques libertés avec l'œuvre originale et ont choisi de mettre en scène Alcide Nikopol fils plutôt que son père.
Alcide Nikopol Junior est un peintre fauché qui cherche à s'opposer avec ses moyens à la dictature en place. Il essaye pour cela de rentrer dans les rangs d'un groupuscule religieux dissident. L'aventure débute alors que les membres de ce fameux groupe lui demandent de leur apporter un portrait de son père. L'artiste a beau porter le même nom et ressembler comme deux gouttes d'eau à son géniteur, il ne l'a jamais vu. En effet celui-ci fut condamné à l'hibernation puis envoyé en orbite il y a une trentaine d'années de cela. Le fils ne sait pas encore que la navette de son père s'est crashée et qu'Horus, le dieu égyptien à tête de faucon, l'a pris sous son aile pour mener à bien ses intrigues. Les amoureux de la bande dessinée ne mettront pas longtemps à dénicher les petits détails qui diffèrent avec l'œuvre originale (l'origine d'une équipe de hockey ou le nom de la mère par exemple) mais ils risquent aussi d'être plutôt désorientés par la trame principale. Il s'agit en effet de sauver Nikopol père des griffes de l'odieux Horus. Si le dieu à tête d'oiseau est loin d'être un ange dans la bande dessinée, il ne devient pas pour autant cet ennemi à abattre tel que nous le présente le jeu. Vous incarnerez ainsi un Nikopol fils risquant sa vie pour sauver celle de son père qui n'est plus qu'un pantin aux mains d'un dieu fou.
Attention, il ne s'agit pas seulement d'une expression quand on vous annonce que sa vie est en danger. Il est effectivement possible de mourir à plusieurs moments de l'aventure. Votre décès n'aura cependant pas une grande incidence puisque vous réapparaîtrez automatiquement quelques instants avant que celui-ci n'ait lieu. Ce détail peut poser de sérieux problèmes quand il est lié à des actions que l'on doit réaliser en temps limité. On retrouve cette situation de manière récurrente : vous êtes dans une pièce et un ennemi cherche à entrer, vous devez donc trouver rapidement le moyen de le bloquer si vous ne voulez pas mourir et recommencer éternellement la même séquence. Il n'est pas forcément agréable de devoir agir en toute hâte alors que le principe même de ce type de jeu demande au contraire de réfléchir posément à la situation. Ce parti pris est d'autant plus incompréhensible que Nikopol est dans sa forme un jeu d'aventure tout ce qu'il y a de plus traditionnel. Vous explorez des tableaux successifs avec une vue subjective à 360° de la même façon que vous pouviez le faire dans un Zork Nemesis ou un Myst III : Exile. Gestion de l'inventaire, interaction avec les éléments du décor et résolution de puzzles plus ou moins compliqués sont au rendez-vous comme dans tout bon jeu d'aventure qui se respecte. Mais le titre s'est aussi embarrassé de quelques éléments orientés action comme ces tâches à effectuer en temps limité ou des phases où l'on se change en sniper. Loin de dynamiser le scénario, ces passages obligés risquent de décevoir plus d'un amateur de jeu d'aventure.
Ces considérations sur le rythme du jeu nous amènent tout naturellement à prendre en compte sa durée de vie. Autant vous prévenir tout de suite, celle-ci est dramatiquement faible. Comptez sept heures pour faire le tour sans vous presser de cette aventure linéaire à souhait. Ajoutez à cela le fait que les cinq chapitres qui composent le jeu sont totalement indépendants les uns des autres et que vous ne pourrez plus revenir vous balader dans un niveau déjà visité. Que reste-t-il donc de ce Nikopol ? On peut tout de même reconnaître que son ambiance est particulièrement soignée : non seulement les décors sont sublimes, mais la bande-son regorge aussi des petites perles telles que des messages des autorités qui incitent à la délation. Si l'histoire en elle-même est très simplifiée par rapport à la bande dessinée, on peut toutefois retrouver de nombreuses références à l'univers de Bilal : un portrait de Jill, la fameuse "femme piège", par-ci, des coupures de journal relatant les aventures du père par-là... Certains verront même l'utilisation d'un fusil de snipe comme un clin d'œil aux œuvres plus récentes de l'auteur. Il ne faut pas oublier que White Birds a été en partie fondé par Benoît Sokal, qui était lui-même un grand nom de la bande dessinée avant de s'essayer avec succès à la conception de jeux vidéo. Nikopol est donc un jeu d'aventure destiné avant tout aux fans de l'œuvre originale qui se plongeront avec plaisir dans cette ambiance pour le simple plaisir d'entendre Alcide déclamer un sonnet de Baudelaire.
- Graphismes16/20
Le character design tranche avec celui de la BD et manque un peu de personnalité mais les décors sont tout bonnement sublimes.
- Jouabilité14/20
On retrouve une jouabilité à la souris tout ce qu'il y a de plus classique pour un jeu d'aventure. Les puzzles que vous devrez résoudre sont assez variés. Le fait de devoir accomplir certaines tâches en temps limité risque toutefois d'énerver plus d'un amateur du genre.
- Durée de vie7/20
Comptez un peu moins de sept heures pour sauver votre père sans vous presser : vous l'aurez compris, la durée de vie est dramatiquement faible.
- Bande son16/20
Non seulement la musique est particulièrement soignée, mais la bande-son regorge aussi de petits détails qui vous permettront de vous immerger un peu plus dans l'ambiance.
- Scénario12/20
Le scénario sera loin d'être limpide pour un joueur n'ayant pas lu la BD. Paradoxalement, on peut aussi lui reprocher de simplifier à l'extrême certaines situations ou le rapport entre Horus et Nikopol père.
Nikopol : La Foire aux Immortels est un jeu d'aventure destiné essentiellement aux amoureux de la bande dessinée éponyme. Ceux-ci risquent d'être troublés par les quelques entorses à l'histoire originale, mais retrouveront tout de même l'ambiance générale qu'avait su installer Bilal.