A cause de multiples coups fourrés, comme le multi-supports qui n'arrange personne ou les mini-extensions payantes, Bethesda a fini par se faire taxer de mercantiliste. On a murmuré que l'esprit de la boîte s'était envolé, que la sincérité avait fichu le camp. Une année après la sortie d'Oblivion, le premier véritable add-on, The Shivering Isles, ne cache pas bien longtemps son désir de reconquérir les vieux amoureux de la série.
Il n'y a pas de prérequis pour entrer dans les Shivering Isles. Grâce au système de difficulté adaptatif, vous pouvez aussi bien reprendre une sauvegarde de votre personnage niveau 40 que démarrer avec un avatar tout neuf. Dans les deux cas, vous recevez rapidement une alerte vous révélant l'existence d'une curieuse île à l'est de Bravil. Parvenu là-bas, vous découvrez une porte Daedric vers une autre dimension, un peu comme celles qui menaient vers Oblivion. A proximité de la porte, une voix perfide vous invite à entrer tandis qu'un PNJ s'extrait brutalement du passage, complètement hagard. Un accès de folie meurtrière le pousse soudainement et sans raison à s'en prendre au garde chargé de la surveillance. Vous voilà prévenu : ce qui se trouve derrière le portail a une méchante tendance à vous flinguer les neurones. Cette voix qui vous appelle est celle de Sheogorath, propriétaire du grand royaume qui se trouve au-delà du portail. C'est son serviteur le plus dévoué qui vous accueille immédiatement après que vous ayez crânement franchi le passage. Il vous explique la situation : Sheogorath cherche un champion pour la protection de ses terres, vous devez donc vous rendre à New Sheoth pour le rencontrer. Mais il faut en être digne et passer auparavant l'épreuve du gardien. Cette petite séquence d'introduction permet de jauger un peu la difficulté accrue des combats avant de choisir quel versant des Shivering Isles vous voulez découvrir en premier : le royaume de Mania ou celui de Dementia. En effet, ce monde existe en deux versions. La première est bigarrée, lumineuse et charmante. La seconde est torturée et lugubre. Sheogorath règne sur les deux mondes et vous pourrez passer de l'un à l'autre à n'importe quel comment par le biais des portes de la folie.
Rapidement, le fil conducteur de la quête principale se dégage. Vous allez devoir combattre l'invasion des Chevaliers de l'Ordre et de leur maître Juggalag, rallier le duc de Mania et la duchesse de Dementia à cette cause, et vous plier aux quatre volontés de Sheogorath. A ce propos, le maître des lieux incarne parfaitement le ton de cet add-on. Comme dirait feu Uriel Septim : "Il est pas sortable ce type !". Ses yeux de chats abritent une folie dure qui s'exprime dans la mégalomanie, les envies criminelles et la contradiction permanente. Il nous rejoue en quelque sorte le Chapelier Fou dans une version légèrement plus trash. Lewis Caroll et Alice aux Pays des Merveilles, voilà : le nom est lâché. L'influence est évidente, autant dans la représentation visuelle de Mania et Dementia, contrée psychédélique pour l'une et plutôt gothique pour l'autre, que dans la plupart des personnages principaux. Haskill, l'intendant qui a un balai dans le derrière, est un peu le clown blanc de Sheogorath. Sa manière très cruelle et ironique d'analyser la situation est un délice. Le duc de Mania a la mémoire qui flanche (doux euphémisme), la duchesse de Dementia est parano au point de vouloir tuer tout son entourage, et toute la cour de Sheogorath baigne dans une admiration aveugle et malsaine pour le bonhomme, alors que sa démence n'échappe pourtant à personne.
La quête principale, sur laquelle se greffent tous ces protagonistes, bénéficie donc d'un quotient de bizarrerie qui s'exprime jusque dans les missions. Il y aura ainsi une séquence à la Dongeon Keeper franchement rigolote, une enquête menée grâce à des séances de torture ou une plongée au coeur d'un monde végétal parfaitement répugnant. Cette quête principale ne souffre d'aucun temps mort, du moins dans ses dix premières heures, et offre fréquemment plusieurs cheminements différents. Elle semble d'ailleurs aussi longue que celle d'Oblivion, et l'add-on requiert une bonne trentaine d'heures pour être épuisé, si on prend en compte les quêtes annexes. Certes, il y a un peu de remplissage, plus particulièrement dans les donjons, de taille nettement supérieure à ceux d'Oblivion. Il arrive que l'on finisse par s'impatienter. Mais l'agencement est souvent travaillé, et la difficulté accrue vous pousse à bien préparer votre périple, ce qui n'était pas vraiment le cas dans l'original.
Qu'il s'agisse de Mania ou Dementia, les Shivering Isles forment un agglomérat de lagons franchement sauvages. Le principal centre d'attraction, là où se trouvent la majorité des quêtes annexes, c'est évidemment New Sheoth. Sorti de là, quelques villages et donjons ont été vaguement parsemés sur le territoire. C'est un peu dommage, il y a de grosses disparités : certaines zones sont très peu exploitées. D'autre part, sachez que vous n'aurez droit à aucun cheval. Les longs déplacements à pied sont donc légion pendant les premières heures, ce qui nous ramène à l'époque de Morrowind. On pense aussi à Gothic 3, avec ce terrain très accidenté, où l'on avance un peu à l'aveugle, et cette faune plus présente et plus dangereuse que dans Cyrodiil. Evidemment, avec le Fast Travel, le risque disparaît progressivement. Sur le fond, le jeu n'a pas vraiment changé. Bethesda a ajouté un contenu très classique : de nouveaux équipements assez chouettes, comme l'épée Croc, bien plus sophistiquée que la moindre lame, et des possibilités inédites avec, par exemple, la fabrication de A à Z d'une arme magique chez le forgeron gro-Bonk. J'apprécie également les nouveaux monstres. Non seulement ils sont vraiment effrayants, mais leur comportement est souvent accrocheur (saleté de Scalon !). Par contre, Bethesda n'a pas apporté de gros changements de fond : aucune nouvelle classe, pas de nouvelle limitation de niveau et pas la moindre modification apportée sur l'ossature du gameplay.
Les défauts de l'original restent donc perceptibles. L'interface est toujours très grossière, certains mécanismes trop poussifs (l'alchimie notamment), et les PNJ restent assez décevants dans l'ensemble. Ceux qui vous escortent manquent d'intelligence et de réactivité. Quant aux autres, ils conservent cet aspect très artificiel et mécanique, qui nuit à l'immersion. Beaucoup plus grave : la localisation a encore été traitée par-dessus la jambe. Il y a moins de coquilles que dans Oblivion, certes, mais une fois sur cinq se glisse un mot en anglais, un texte qui dépasse du cadre ou une traduction à côté de la plaque. C'est franchement navrant : Bethesda n'a donc rien retenu du tollé provoqué par Oblivion à ce niveau-là ? Cependant, cela n'atténue pas l'impression d'être en face d'un add-on très respectable. Tous ceux qui sont allés chercher dans les mods amateurs un peu de folie, d'humour et de fraîcheur peuvent revenir sans crainte dans les bras de Bethesda.
- Graphismes17/20
Techniquement, aucune évolution notable. Ce n'est certainement pas un mauvais point. Oblivion a été construit pour durer et le rendu parvient à nous éblouir encore fréquemment. La direction artistique, par contre, change radicalement de ton. Fini le classicisme de Cyrodiil, Mania et Dementia nous invitent à une virée tantôt psychédélique tantôt gothique. Ce n'est pas sans rappeler certains coins de Vvarfendell. Le travail effectué est remarquable.
- Jouabilité16/20
Si certaines possibilités sont originales, Bethesda a capitalisé sur les acquis d'Oblivion : extermination de toute forme de vie dans les donjons, espionnage, récupération d'items... Cela dit, la quête principale est vraiment plaisante grâce à l'humour et la richesse des situations. Les quêtes annexes sont plus anecdotiques. Certains seront sans doute gênés par les longs trajets dus à l'absence de chevaux ou la difficulté sensiblement haussée. A contrario, les fans devraient apprécier ce genre de retour aux sources.
- Durée de vie16/20
La quête principale semble atteindre les vingt cinq heures pour un joueur qui connaît déjà un tant soit peu les mécanismes d'Oblivion. En annexe, les Shivering Isles proposent dans les dix heures de quêtes annexes. Il y a cependant des disparités dans le territoire et le gros des possibilités se trouve plutôt à New Sheoth.
- Bande son13/20
Rien à signaler, ce sont les mêmes thèmes que ceux entendus dans Oblivion, lesquels n'ont définitivement ni la richesse ni l'audace du score de Gothic 3.
- Scénario16/20
The Shivering Isles est à Oblivion ce que Alice Au Pays Des Merveilles est aux livres pour enfants. Grâce à des personnages hauts en couleurs (Sheogorath, Haskill, les responsables de Mania et Dementia) et une ambiance malsaine et bouffonne à la fois, on est poussé à en savoir toujours plus sur cet endroit fascinant. Les dialogues sont percutants, la quête principale avance sans temps morts et recèle de surprises croustillantes, c'est un vrai plaisir. Dommage que la localisation soit encore très perfectible.
A l'heure où Fallout 3 commence certainement à envahir les plannings de Bethesda, The Shivering Isles rassure sur de nombreux points. Non, la boîte n'a pas perdu son humour, sa fraîcheur, sa sincérité. Même si le fond n'a pas bougé d'un iota et que certains défauts sont toujours aussi criants, le grain de folie emprunté à Lewis Caroll dépayse très efficacement. La quête principale est amusante, bourrée de situations loufoques, comme aux meilleurs moments de Morrowind. Pour ne rien gâcher, le contenu est riche et agrémenté de quelques nouveautés bienvenues. Du beau boulot.