Chronique de la disparition, voilà comment on pourrait nommer cette suite du célèbre mais perfectible Kingdom Hearts. Ici, tout se modifie, tout change, tout prend une autre place. Une constante qui se révèle d'une part dans le scénario même du titre, mettant un point d'orgue à baser ses propos sur le thème du manque et de la volonté de modifier son statut et d'autre part au sein du gameplay. Car c'est bien une révolution qu'a opéré le soft de Square-Enix, gommant la majeure partie de ses défauts pour y substituer de belles et grandes qualités. On ne peut donc que s'incliner devant une telle mue, aboutissant à l'envol d'un jeu tout simplement lumineux. Mais qu'a t-il bien pu se passer en quatre ans ? Beaucoup de choses, soyez-en certain.
Débutée en 2002 dans nos campagnes, la série Kingdom Hearts a toujours souffert de son côté hétérogène sur le papier. Resté pour beaucoup "le jeu où il y a Donald et Dingo", le premier opus de la saga s'était attiré les foudres de nombreuses personnes autant dans le domaine du gameplay pur que de la narration. S'il est vrai que ce dernier comportait de nombreux défauts, dont une gestion catastrophique de la caméra, le script s'étendait bien plus loin qu'au premier coup d'oeil et semblait crier haut et fort qu'il fallait attendre, que ces prémices n'étaient qu'une ouverture vers quelque chose de plus fort, de plus stable. Une impression qui s'est ensuite renforcée avec les évènements de liaison de Chain Of Memories, introduisant l'Organisation XIII et quelques-uns de ses membres éminents. Basé sur la perte des souvenirs et la recherche d'une sorte de force intérieure, cet épisode GBA pouvait se targuer de bénéficier d'une trame aboutie et de personnages intelligemment construits, notamment un certain Axel. Cette montée en puissance ne pouvait donc que trouver une brèche d'où s'extirper violemment et exploser en un feu d'artifice exceptionnel. C'est heureusement bien le cas dans Kingdom Hearts 2, véritable aboutissement de cette chaîne scénaristique et espace de jeu voué au plaisir brut. Néanmoins, à l'image de nombreux RPG, c'est ici l'histoire qui prend le dessus sur les considérations bassement ludiques, se densifiant au fil des heures jusqu'à une exultation finale bien au-delà des plus imaginatives prévisions. Kazushige Nojima, déjà au poste de scénariste sur le mythique Final Fantasy 7 s'est visiblement replongé dans ses dossiers auréolés de mystères pour nous proposer un récit, non pas aussi complexe et amoureusement dépressif que celui de FF7 mais tout aussi abouti sur l'ensemble, plus précisément au niveau du travail sur l'émotion. Découpé en deux parties distinctes bien évidemment liées scénaristiquement, le titre joue sur un nombre de plans assez fascinant, allant même jusqu'à devenir presque inquiétant dans la mise en place d'une réelle perte de repères, plus particulièrement lors du fabuleux prologue.
Ce dernier sera d'ailleurs sans doute sujet à polémique, se révélant relativement long et basé essentiellement sur des discours et des mini-jeux plus ou moins intéressants. Cependant, il pose un réalisme temporel, étant découpé en jours, et une nécessité matérielle (gagner de l'argent) qui ne sont présents que pour voler en éclats quelques heures plus tard dans un basculement total qui n'aurait jamais eu tant d'impact sans cette base ancrée dans le quotidien banal d'un adolescent. Un rebondissement cataclysmique qui se conclut par une scène d'une immense beauté, sublimée par sa simplicité, lien définitif vers un nouveau départ. Auréolée d'une détresse implacable, ce court passage de "conclusion" se rapproche de la fin du film "Dans la peau de John Malkovich" notamment dans sa mise en scène d'une tristesse sourde et invisible. Une gestion de l'émotion digne de respect se détache donc lors de ces premiers pas et ne faiblira pas tout au long du soft, sombrant petit à petit dans un vrai désespoir ponctué de moments épiques. Chaque personnage exprime une vie palpable, restant cohérent avec lui-même et n'en faisant jamais trop, évitant par la même de faire sombrer le jeu dans des élans pathétiques mal placés. Tout se révèle équilibré à la perfection, libérant un univers malléable, palpable et bien plus intégré dans le parti pris du soft. En effet, contrairement au premier KH dans lequel les mondes Disney semblaient tomber d'on ne sait où, ils ont ici des rapports entre eux, des connections plus ou moins importantes avec la trame générale et surtout une dispersion plus homogène. En effet, vos inspections dans chaque environnement seront interrompues vers le milieu du jeu par un retour vers l'histoire générale, empêchant de ressentir une possible lassitude face aux voyages entre les univers.
Une coupure salvatrice donc, qui permet d'ailleurs d'exposer l'un des passages du jeu les plus fascinants, vous conviant à combattre plus de 1000 Sans-Coeurs simultanément et à batailler aux côtés des héros les plus emblématiques des septième et huitième opus de Final Fantasy, dans une quasi-croisade concentrant en un seul point un maelström émotif peut-être surjoué, mais à la portée ludique incontestable et stupéfiante. Un grand moment vidéoludique qui n'a de cesse de vous hanter jusqu'aux dernières heures, concluant avec majesté ce sentiment presque enfantin d'admiration excitée. On retrouve d'ailleurs une réflexion sur l'enfance, voire l'adolescence très intéressante, donnant en substance une place au rêve et à l'espoir que les adultes tentent en quelques sortes de museler. Effectivement, des notions comme le courage, le sacrifice ou encore la bonté sans artifice sont ici essentiellement conservées par les jeunes héros, manipulés, heurtés par des personnages bien plus mûrs et calculateurs. Un pont est alors construit, non pas vers une glorification de la naïveté, mais vers une mise en avant de la rêverie et du conte, construisant un monde imaginaire proprement enfantin. Cette part d'onirisme acquise, le joueur peut alors se laisser emporter par les nombreuses histoires régissant chacune des "planètes" Disney, pour la plupart originales et de qualité lors de votre seconde visite, avant de passer à un scénario global tout aussi sérieux mais dans un registre différent. Cette trame de fond est une chausse-trappe dans laquelle chaque pointe mène vers un axe de compréhension différent, avant de se réunir vers une ligne narrative dramatique mettant le joueur face à sa propre responsabilité. Brassant la trahison, l'injustice, voire même une cruauté non-désirée au nom du Bien, le scénario ne tombe pas dans un manichéisme facile et expose des opposants loin d'aspirer à une destruction massive ou à une simple volonté de puissance.
Se situant au delà de tout bien ou de tout mal, ces derniers sont mus par un désir jaloux, focalisé sur un élément très particulier qui leur a été refusé sans aucune raison compréhensible. Se dévoile alors une réflexion profonde sur un sujet aux ramifications à la fois simples et terriblement complexes, mais je n'en dirai pas plus. Parfois bouleversante, parfois épique, souvent écrite avec intelligence et la majeure partie du temps prenante, la trame de Kingdom Hearts 2 est une petite bénédiction, qui ne pouvait dès lors que s'associer à un gameplay sans accrocs. Le pari est ouvertement réussi, même si quelques petites pierres viennent se greffer dans ses rouages très bien huilés. Reprenant les bases du système de combat du précédent opus, celui de KH 2 se montre tout de même bien plus convaincant, notamment grâce au principe du Drive (Flux en version française) et à un petit raccourci salvateur pour accéder à la seconde partie du menu d'action, par le biais d'une pression sur L2 et d'un léger mouvement du stick gauche. Dans les faits, le Flux est une barre de puissance qui se remplit au fur et à mesure des petites boules jaunes collectées lors de vos combats et qui évolue au gré des niveaux acquis. Elle vous permet en fait de déclencher diverses compétences, comme les invocations ou encore les "fusions" une fois à un niveau suffisamment élevé. Récemment débarquées dans la série Kingdom Hearts, ces dernières sont en fait directement liées à la nouvelle tenue de Sora, pouvant se transformer sous certaines conditions. Il vous suffit de vous lier avec Donald, ou Dingo pour bénéficier de leur pouvoir et ainsi revêtir une version améliorée de vos vêtements amples en sacrifiant donc un de vos compagnons qui réapparaîtra une fois la jauge de Drive épuisée. Dans le premier cas vous flotterez au-dessus du sol et excellerez en magie et dans le second vous porterez deux keyblades simultanément et disposerez d'une force surhumaine. Une trouvaille étonnante qui décuple immédiatement le plaisir de jeu, augmentant la vitesse d'exécution et offrant une vraie ouverture ludique où l'on s'engouffre sans se poser de questions.
D'autant que deux évolutions sont possibles, à savoir la Master Form, mixant les capacités magiques et physiques sans augmentation de puissance et la Final Form, accentuant ces deux dernières et ajoutant une attaque dévastatrice en fin de combos. Bien entendu, il est particulièrement jouissif de réduire à néant toute résistance de cette manière. Une ultime forme, nommée Antiform est utilisable lorsque vous rentrez en contact avec un Sans-Coeur durant une période prolongée en mode Drive. Vous entrez quasiment en mode berserk, sous l'apparence d'un petit monstre vaporeux, et détruisez tout ce qui vous entoure en quelques secondes. En revanche, il vous est impossible de vous soigner, d'utiliser d'autres commandes que celles relatives à l'attaque et vous retrouvez seul sur le champ de bataille. Il faut donc gérer ces transformations avec parcimonie, en s'adaptant à la situation rencontrée. Un point mis en exergue à la lumière d'une gestion des caméras bien plus fine, permettant un recentrage de la vision très rapide et une confusion moins grande durant les affrontements. Toutefois, il demeure encore quelques problèmes de précision et le point de vue tend toujours à rester un peu en marge des actions de Sora, assez souvent masqué par les nombreux et magnifiques effets lumineux dispensés par le jeu. Mais tout cela devient secondaire, lorsque, une fois pris dans le titre, vous vous contenterez de suivre cet appel à l'aventure, ce cri vers le rêve et lorsque vous prendrez cette main qui vous emporte vers un flot d'émotions diverses et intenses. Cet enlèvement inconscient, c'est cela la marque des jeux d'exception.
- Graphismes17/20
Mélangeant avec bonheur les univers Disney et Final Fantasy dans une cohérence étonnante, tant et si bien que l'on ne fait au bout de quelques instants plus la différence entre les styles graphiques, Kingdom Hearts 2 met en place un monde coloré, ouvert et vraiment crédible. Même si la modélisation souffre quelquefois de petits accrocs, la plastique du soft est d'une très grande finesse, au niveau de la direction artistique en général et du chara design en particulier, pris en charge par l'habituel et doué Nomura Tetsuya.
- Jouabilité16/20
Si le jeu comporte encore certains problèmes de placement de la caméra, dus à une mise en place pas assez rapide du point de vue dans l'action, d'énormes progrès ont tout de même été faits, faisant passer la lourde lacune du premier opus pour un détail dans cette version. De plus, il est possible de recentrer partiellement la vision par une petite pression sur le stick gauche. Mis à part cela, le titre est une ode au plaisir brut, apportant un système d'action contextuelle spécifique à chaque type d'ennemi, permettant de réaliser des coups spéciaux mis en scène avec brio.
- Durée de vie15/20
Les A-RPG n'étant jamais bien longs, Kingdom Hearts 2 prend ce constat un tantinet à contre-pied en proposant une quarantaine d'heures de jeu en prenant son temps et une bonne dizaine de plus si vous désirez obtenir les dernières armes de chaque personnage et affronter un Sephiroth en très grande forme avec ses 14 barres de vie. De plus, vous aurez le droit à une fin secrète des plus énigmatiques en terminant le soft à cent pour cent en mode normal, ou en remplissant simplement le journal de Jiminy en mode difficile. De toute façon, il est très facile de se replonger dans une partie.
- Bande son16/20
Reprenant malheureusement les sonorités synthétiques du premier opus, la bande-son de la talentueuse Shimomura, comporte néanmoins des passages terriblement accrocheurs. Si l'on retrouve certains thèmes Disney avec plus ou moins de bonheur suivant les cas, les nouveaux morceaux s'avèrent très bons, parfois denses et lumineux comme "Lazy Afternoons" ou encore mélancoliques et sombres à l'image de "Organization XIII". Le doublage français est quant à lui de grande qualité, notamment dans le cas de Sora (Donald Reignoux) d'Ansem (Bruno Duberna), ou bien de Diz (Bernard Metreau).
- Scénario17/20
Très bien écrit, le scénario de Kingdom Hearts II atteint des hauteurs insoupçonnées et s'axe désormais bien plus sur les personnages et une véritable recherche d'émotions. De plus, les révélations sur le vrai rôle de Sora dans le premier opus, les attentes poignantes des Simili et surtout la réflexion sur la notion d'existence s'avèrent on ne peut plus intéressantes. Tout est fait pour emporter le joueur et lui faire ressentir un large éventail de sentiments dans une trame fascinante.
Après un premier opus contestable et une extension sur GBA donnant les prémices d'une aventure bien plus étoffée qu'on pouvait le croire, Kingdom Hearts II explose littéralement et atteint des sommets réellement surprenants. Original, avec un niveau entièrement en noir et blanc sonorisé en mono, surprenant avec son passage comédie musicale, fascinant par sa justesse de ton et son scénario, onirique de par son traitement imaginatif, le titre de Square-Enix mêle les qualificatifs et les impressions pour aboutir à un tout homogène et simplement fantastique. Si des problèmes persistent malgré tout et agacent un tantinet, ils ne parviennent pas à mettre en défaut le soft. Une date majeure dans l'histoire du A-RPG, tout bonnement. Avec Digital Devil Saga et Suikoden V en sus, cette fin d'année est un peu le festival du RPG.