Alors qu'elle jouit d'une popularité sans équivalent au Japon, la série des Dragon Quest fait seulement ses premiers pas sur le vieux continent auprès d'un public qui, hier encore, ignorait jusqu'à son existence. Il nous aura tout de même fallu patienter près de 20 ans pour avoir enfin la chance de découvrir ce monument du RPG à travers le huitième épisode de Dragon Quest, alors autant vous dire qu'il est de votre devoir de courir l'acheter toutes affaires cessantes.
La plus grande injustice du monde vidéoludique se voit donc enfin réparée avec l'arrivée événementielle de Dragon Quest VIII, renommé Dragon Quest : L'Odyssée du Roi Maudit, dans nos contrées. Il était temps qu'un éditeur comprenne l'importance de cette saga pour la communauté des rôlistes qui, pour la plupart, ne jurent que par Final Fantasy. Rendez-vous compte que pendant deux décennies, on vous a caché l'existence de celui qui est à l'origine même du jeu de rôle sur consoles, et dont Sakaguchi s'est largement inspiré pour donner vie à son premier Final Fantasy. On vous a privé de ce qui se faisait de mieux en matière de RPG. On vous a menti en vous laissant croire que personne ne pouvait rivaliser avec Square alors que la saga d'Enix jouissait d'une popularité encore plus grande sur l'archipel. Mais la rivalité farouche qui existait jadis entre les deux firmes étant révolue depuis la fusion de Square avec Enix, les partisans des deux camps n'ont plus de raison de se fustiger l'un l'autre. Bien distinctes dans leur approche, Final Fantasy et Dragon Quest sont deux séries complémentaires dans le monde du RPG, tout aussi indispensables et tout aussi fantastiques l'une que l'autre.
Connue et appréciée notamment pour la qualité de ses scénarios, la saga de Yuji Horii se plaît généralement à mettre en place des histoires passionnantes, à la fois tragiques et ponctuées d'humour. Chaque épisode étant indépendant de ce point de vue-là, il n'est heureusement pas nécessaire d'avoir joué à un quelconque volet précédent pour apprécier le scénario de Dragon Quest VIII. Narrée à la manière d'un conte, l'odyssée du roi maudit nous présente le triste sort d'un régent victime d'une terrible malédiction causée par son ennemi le bouffon Dhoulmagus. Pour avoir osé entraver les plans de ce sorcier sanguinaire, le roi Trode a vu son destin basculer en l'espace d'un instant. Changé en créature monstrueuse à face de crapaud, il n'a pu empêcher son ennemi de figer son royaume en pierre et de transformer sa propre fille en jument. Tout ça prête évidemment à sourire, mais c'est justement cette alternance de scènes tantôt poignantes, tantôt abracadabrantes, qui réussit à nous tenir en haleine du début à la fin.
Désoeuvré mais déterminé, notre bon roi refuse de se lamenter sur son sort et décide de reprendre le contrôle de son destin. Alors que les braves gens se détournent à son approche et que les enfants hurlent, dégoûtés par sa piètre apparence, Trode ne peut compter que sur deux de ses plus fidèles sujets. Le premier est un courageux garçon dont on ne sait rien et qui semble avoir mystérieusement échappé au drame. Le second est un ancien voleur basané, balafré, et tellement enveloppé qu'il a du mal à tenir debout. L'un est particulièrement discret alors que l'autre ne manque jamais une occasion de faire ressortir son côté grognon, mais tous deux font la paire. Voyageant à travers le monde dans une carriole en compagnie du roi et de sa fille, nos héros vont se lancer à la poursuite de Dhoulmagus dans une quête qui mérite bien d'être qualifiée d'odyssée.
Au gré de leur aventure, ils feront très vite la connaissance de deux personnages sympathiques qui accepteront de rejoindre leurs rangs. Issue d'une famille noble mais ancrée dans les traditions, Jessica est une jeune fille rebelle qui n'a pas la langue dans sa poche et dont le charme naturel ne laisse jamais personne indifférent. Membre de l'ordre des chevaliers dans une abbaye renommée, Angelo partage avec Jessica son caractère enflammé, mais sa nature narcissique et son côté sûr de lui ne seront pas sans exaspérer la belle. Formant à eux quatre une équipe hétéroclite mais néanmoins soudée, nos héros vont mettre leurs talents en commun pour lever la malédiction de Dhoulmagus et mettre fin aux agissements du sorcier.
Autant vous avertir de suite que l'aventure qui vous attend est colossale. Près de 100 heures de jeu vous seront nécessaires pour découvrir les innombrables secrets de ce Dragon Quest et pour explorer l'intégralité du monde qui s'étend à perte de vue. Offrant une liberté de mouvement totale, les environnements défilent sur des kilomètres et vous n'aurez pas assez d'une vie pour en faire le tour à pied. Ce ne sont heureusement pas les moyens de transport qui manquent, et que ce soit par la voie des airs, des flots ou sur le dos d'un tigre à dents de sabre, vous trouverez toujours une solution pour parcourir de grandes distances en un clin d'oeil, quitte à recourir à la téléportation. Tout a été clairement mis en oeuvre pour ne pas saouler le joueur en l'obligeant à passer du temps sur les routes, et si l'on erre parfois sans but juste pour contempler les variations du paysage à mesure que défile la journée, c'est uniquement parce qu'on le veut bien.
En plus d'être un plaisir pour les yeux et une ode vibrante à la liberté, Dragon Quest VIII est une source inépuisable d'étonnement. Rien qu'au niveau du gameplay, on se rend compte que l'équipe de Level-5 ne s'est pas contentée de reprendre le gameplay antique de la série, mais a su au contraire lui donner une nouvelle vigueur. Cet épisode est en effet le premier à apporter un réel dynamisme visuel dans les combats, avec des angles de vue qui favorisent la mise en scène et permettent d'apprécier les animations des personnages en action, ce qui est une première dans la saga. Même s'il reste assez traditionnel dans sa conception avec la possibilité de recourir à des attaques spéciales et des sortilèges, le menu fait intervenir tout de même quelques particularités. On peut en effet choisir d'intimider les ennemis pour faire fuir les plus lâches, ou encore concentrer son énergie sur plusieurs tours pour la libérer d'un seul coup. Le héros dissimule même dans sa poche un petit rat qu'il peut gaver de fromage pour lui faire cracher des flammes ou tout autre sortilège capable de surprendre les adversaires. A cela s'ajoute le chaudron d'alchimie qui vous autorise à fusionner des objets pour créer de nouvelles armes et toutes sortes de choses assez inattendues. Un élément très important dans le jeu.
Dans le but d'offrir au joueur une certaine liberté dans la personnalisation de son équipe, les développeurs ont eu l'idée d'intégrer un système de points de compétence à distribuer dans certaines disciplines propres à chaque personnage. En boostant ces différents domaines, on accède à des techniques très intéressantes, parfois dévastatrices, parfois complètement burlesques mais tout aussi efficaces. Comme bon nombre de quêtes annexes, ces à-côtés ne sont pas indispensables pour terminer l'aventure, mais il est fortement recommandé de s'y intéresser pour profiter de toutes les subtilités du jeu. Dans le même ordre d'idées, certains ennemis que vous rencontrerez en extérieur pourront être enrôlés pour venir grossir les rangs d'une armée de monstres que vous pourrez ensuite envoyer se battre à votre place sur le champ de bataille. A elle seule, cette quête optionnelle enrichit considérablement l'aventure, à l'instar des donjons accessibles seulement après avoir terminé le jeu. Autant de bonnes raisons pour passer des dizaines de nuits blanches sur Dragon Quest VIII sans aucun regret.
N'ayant pas la place ici d'évoquer dans le détail tout ce que comporte ce soft magistral, je me permets de vous rappeler qu'un dossier consacré à la version originale est disponible sur le site, pour ceux qui auraient envie d'en savoir et d'en voir plus. Il faut quand même que l'on s'attarde un petit peu sur les spécificités propres à cette version PAL qui, je le rappelle, comporte pas mal d'améliorations par rapport à l'originale. Le point le plus important concerne la traduction complète des textes en français et l'ajout du doublage anglais qui avait été fait à l'occasion de la sortie US. Le seul souci à ce niveau-là réside dans le fait que les noms des monstres ont été traduits d'une façon un peu étrange, les principales victimes étant les légendaires Slimes qui ont été rebaptisés Gluants. En plus d'être une véritable faute de goût, ce changement constitue surtout un manque de respect total envers ces créatures qui sont quand même les mascottes de la série depuis ses débuts. Avouez qu'il y a de quoi angoisser à l'idée que tous les Dragon Quest à venir risquent de conserver cette appellation ridicule, laissant toute l'Europe dans l'erreur. Plus sérieusement, la traduction n'a pas que des conséquences positives puisque les boîtes de dialogues se révèlent beaucoup moins discrètes qu'avant, et que le doublage, ainsi que la refonte complète des menus, entraînent quelques chargements, heureusement très brefs. Malgré tout, on ne va pas se plaindre non plus, d'autant que les musiques nous sont proposées en version symphonique et qu'elles renforcent bien l'ambiance si particulière du jeu. Je m'arrête là pour cette fois mais j'espère vous avoir convaincu de l'intérêt de ce titre dont aucun qualificatif ne peut refléter la grandeur. Achetez-le, ne serait-ce que pour comprendre pourquoi Dragon Quest est devenu, plus qu'un phénomène de société, une véritable institution au Japon et dans le coeur des japonais.
- Graphismes18/20
Level-5 met tout son savoir-faire au service d'une 3D en cel shading qui nous donne l'impression d'évoluer dans un dessin animé. Le character design des monstres et des personnages n'y est d'ailleurs pas pour rien, nous permettant d'apprécier tout le talent d'Akira Toriyama.
- Jouabilité17/20
La traduction française contribue à rendre le jeu accessible à tous, et les menus se révèlent beaucoup plus esthétiques et ergonomiques avec des icônes pour chaque objet. Bien que très traditionnel, le gameplay fait partie des plus aboutis en matière de RPG et se permet d'introduire quelques idées très pertinentes.
- Durée de vie18/20
Terminer ce Dragon Quest sans accomplir tous les à-côtés serait une hérésie. L'aventure est passionnante, les quêtes annexes sont fantastiques, et il ne faudra pas compter moins de 100 heures de jeu pour tout voir.
- Bande son17/20
Les thèmes imaginés pour la série par le grand Koichi Sugiyama sont devenus cultes au Japon, et ils le méritent. Même si les musiques n'atteignent pas le niveau de celles du remake du cinquième volet, elles nous sont proposées ici en version symphonique par l'orchestre de Tokyo. Je vous laisse imaginer le résultat.
- Scénario17/20
A la fois riche et passionnante, l'histoire ne peut que séduire par son caractère enfantin qui renvoie aux contes de fées. La narration est tellement touchante et drôle qu'elle ne peut laisser personne insensible.
On peut remercier Level-5 pour avoir imaginé une telle merveille, Square Enix pour avoir confié ce huitième épisode d'une saga culte à Level-5, et Ubisoft pour avoir compris l'intérêt de sortir ce titre en Europe. Tout aussi grandiose que Final Fantasy, Dragon Quest mérite de connaître un réel succès sur notre territoire, et c'est à nous de lui rendre hommage pour fêter dignement l'arrivée d'une saga que l'on n'attendait plus.