Lorsque Nintendo signe un pacte avec Yoot Saito, le monde ne sait pas encore que le créateur de l'étrange Seaman est en train de concrétiser son dernier fantasme. Imaginez maintenant le croisement improbable entre un flipper et un jeu de stratégie, baignant dans le contexte d'une guerre féodale où la boule n'est autre qu'un boulet de canon. Rajoutez la présence de fantassins contrôlés uniquement par la voix, et vous obtenez l'un des concepts les plus incroyables que l'on ait vus ces derniers temps.
Nous sommes au coeur du Japon féodal en 1539, et le pays est ébranlé par la folie guerrière. Lorsque le seigneur Yamanouchi Nobutada réalise qu'il est la victime d'un complot ourdi par son plus fidèle vassal, celui-ci décide d'en finir dignement avec la vie plutôt que de trépasser par la main d'un traître. Aveuglé par la colère et le désespoir, son fils, le général Yamanouchi Kagetora, prépare sa terrible vengeance. Persuadé que les dieux sont de son côté, le jeune seigneur de guerre décide de faire appel au divin pour remporter l'interminable série de batailles qui s'annoncent. C'est ainsi qu'il s'empare d'Odama, le trésor de la famille Yamanouchi. Une gigantesque boule aux pouvoirs mystiques, ramenée de Chine durant la dynastie des Tang. La légende raconte que la puissance d'Odama est capable de provoquer des miracles lorsque celle-ci est utilisée conjointement avec la cloche Ninten, symbole de la voie du devoir divin. Armé de ces deux artefacts, le général Kagetora va tenter l'impossible : amener la cloche jusqu'au château Karasuma pour reprendre les rênes du pouvoir.
On peut déjà constater que le scénario, bien que complètement fantaisiste, n'a pas été négligé. Il suffit d'ailleurs à justifier la présence d'éléments militaires dans Odama, le contexte du Japon féodal étant justement l'une des grandes forces du titre. Concrètement, l'habituelle table de flipper se voit transformée en un gigantesque champ de bataille sur lequel vous devez envoyer la boule, changée en boulet de canon pour l'occasion. Véritable rouleau compresseur, cette dernière fait des ravages dans les rangs ennemis, écrasant les fantassins qui se dressent sur son passage et défonçant les éventuels avant-postes et barricades qui entravent sa progression. Bien entendu, il convient de l'envoyer aux bons endroits pour mettre en place le schéma stratégique censé vous mener à la victoire.
L'objectif principal, dans chaque mission d'Odama, est de permettre à ses troupes de conduire la cloche Ninten jusqu'au portail situé en haut de l'écran avant que le soleil ne se couche. Le portail en question est évidemment gardé par des centaines d'ennemis qui foncent sur vous pour vous repousser. Le seul moyen de les vaincre est de les réduire en purée à l'aide de la boule, sans quoi vous devrez obligatoirement les repousser avec vos propres unités, ou encore les assommer en sonnant la cloche avec la boule. Lorsque deux armées se retrouvent face à face, le rapport des forces s'affiche à l'écran est vous indique quel groupe va réussir à repousser l'autre. Selon les cas, vous aurez donc parfois besoin d'envoyer des renforts si vous ne parvenez pas à faire le ménage avec la boule. Très important, le moral des troupes qui varie selon l'efficacité de vos actes influe directement sur la réactivité de vos hommes. Si leur moral est au plus bas, ils perdront confiance en vous et n'auront pas peur de contester vos ordres ou de prendre la fuite. Dans le pire des cas, vous pouvez toujours les soudoyer en leur balançant des boules de riz qui peuvent également faire diversion pour attirer les ennemis à des endroits précis.
Il va de soi que chaque tableau présente son lot de pièges que vous pourrez parfois retourner à votre avantage. La plupart du temps, vous aurez la possibilité d'interagir avec certains mécanismes si vous prenez la peine d'envoyer vos soldats dessus. Il suffit par exemple d'aller chercher une poulie pour contrôler la fermeture et l'ouverture d'un barrage, ou encore de faire déplacer une échelle pour franchir un obstacle. Inutile de dire que le fait de devoir à la fois gérer ces éléments stratégiques et contrôler la boule correctement exige une certaine concentration. Il est clair qu'on est complètement perdu lors des premières parties, avec l'impression désagréable de ne rien contrôler. Le sentiment de ne pas avoir une totale emprise sur le jeu est d'ailleurs fondé, ne serait-ce que parce qu'il est impossible de maîtriser parfaitement la trajectoire de la boule. Je vous laisse imaginer la frustration que l'on peut ressentir lorsque celle-ci chute brutalement, réduisant à néant tous les efforts passés à mettre en place chaque étape de votre plan.
L'une des idées les plus intéressantes d'Odama réside dans le fait que la fameuse boule qui constitue votre arme principale peut également se retourner contre vous. Car cette arme à double tranchant écrase tout sur son passage, sans se soucier de savoir à quel camp appartiennent les unités. Par conséquent, il faut ajuster ses tirs avec précision pour ne pas massacrer ses troupes en même temps que ses adversaires, car ceux-ci ont rarement la présence d'esprit de s'écarter pour sauver leur peau. Fort heureusement, le joueur peut se débrouiller pour dénicher des power-ups qui entourent la boule d'une aura verte, l'autorisant à passer sur ses propres soldats sans les détruire. Qui plus est, chaque ennemi vaincu de cette façon rejoint carrément vos rangs, ce qui vous permet de renforcer votre réserve d'unités. Il faut d'ailleurs préciser qu'on ne dispose, à chaque mission, que du nombre de fantassins qui ont réussi à terminer l'étape précédente. Encore une difficulté supplémentaire à gérer.
Odama aurait pu se contenter de combiner audacieusement flipper et stratégie militaire pour sortir du lot, mais il était hors de question pour son créateur d'en rester là. Par conséquent, une autre caractéristique importante vient relancer l'intérêt du jeu : le micro. Fourni dans la boîte d'Odama, l'accessoire est tout simplement indispensable pour réussir à terminer les différentes missions, pour la simple et bonne raison que c'est lui qui vous permet de donner des ordres à vos unités. Il peut être utile, en effet, de donner l'assaut en criant un joyeux "En avant !", ou de faire battre tout le monde en retraite à l'aide d'un "En Arrière". Malgré tout, les ordres que vous utiliserez le plus souvent sont ceux qui vous permettent de contenir une charge adverse ("Poussez") et d'interagir avec un élément précis du champ de bataille ("Exécution"). Un curseur vous permet même d'indiquer précisément un endroit pour envoyer vos troupes dessus, tandis que la croix directionnelle sert de raccourci pour choisir une cible disponible. Tout se complique encore plus lorsque vous devez utiliser des ordres relatifs aux mécanismes comme la poulie qui permet de contrôler un barrage ("Fermez" ou "Inondez"), ou lorsque la bataille se déroule sur plusieurs plateaux adjacents. Il faut vraiment s'essayer soi-même à Odama pour se rendre compte à quel point les parties sont éprouvantes. Et même si le soft se joue uniquement en solo, rien ne vous empêche d'en profiter à deux en coopération, l'un prenant le micro et l'autre la manette. Pour finir, il faut insister sur le fait que le concept si particulier d'Odama ne plaira certainement pas à tout le monde. Si l'idée de base est assez pertinente, la difficulté des missions s'avère souvent décourageante, et la durée de vie est loin d'être optimale. Malgré tout, Odama mérite d'être découvert, ne serait-ce que pour son concept audacieux.
- Graphismes13/20
Odama a davantage l'apparence d'un jeu de stratégie que d'un simple flipper. Les concepteurs ont su parfaitement transformer les tables habituelles en vrais champs de bataille, et les décors sont relativement variés. On regrettera quand même le manque de finesse des graphismes, et le fait que les répliques des soldats entravent souvent la visibilité générale.
- Jouabilité14/20
En mixant flipper et stratégie, le gameplay d'Odama se révèle d'une complexité effrayante. Pas facile de gérer simultanément le contrôle de la boule et la gestion des ordres à donner aux unités, sachant qu'il faut aussi repousser les assauts adverses et ne pas perdre de vue les objectifs de la mission.
- Durée de vie11/20
Le soft comporte 11 missions toutes plus difficiles les unes que les autres. Même si la durée de vie est assez faible, vous risquez fort de vous décourager avant d'arriver au bout. On regrette aussi le fait d'être obligé de terminer le jeu pour débloquer le mode libre qui permet de refaire les missions de son choix. Des niveaux bonus sont également à déverrouiller, dont un qui reprend le siège de Nintendo au Japon.
- Bande son14/20
L'ambiance guerrière est assurée par le doublage en japonais qui rappelle les grandes fresques historiques, mais rassurez-vous, les ordres sont à donner en français. En tout cas, l'immersion est parfaite et les unités répondent bien à vos directives. Il faut juste s'assurer de ne pas jouer en public pour ne pas être pris pour un demeuré.
- Scénario14/20
Loin d'être secondaire, le scénario apporte beaucoup à Odama, et les ordres de missions doivent être suivis scrupuleusement si vous voulez réussir.
Premier flipper stratégique à contrôle vocal, Odama est un titre atypique qui risque de diviser les joueurs. Ceux qui seront séduits apprécieront la complexité du gameplay et le caractère éprouvant des missions. Les autres resteront perplexes devant ce titre où on ne maîtrise jamais complètement tout ce qui se passe à l'écran.