Je suis à l'extérieur, libre. La pluie s'abat sur ma pauvre carcasse encore emmêlée dans des habits d'ancien prisonnier. L'empereur est mort, il a emporté avec lui ses souvenirs d'un troisième âge qui touche désormais à sa fin. Les leçons d'histoire de certains livres célèbres m'ont appris que la fin d'une ère est l'amorce favorite du déclin d'un monde ou d'un empire. Au loin l'horreur a déjà commencé à percer les brèches qui le conduiront vers ce monde à la beauté sans pareille. J'ai une vieille épée, une torche et quelques pièces, mais je veux le défendre ce monde, oh oui. Dans une heure, j'aurai oublié la pluie et ma vieille lame mais, dressé devant mes ennemis, j'aurai encore le feu de ma torche, se mêlant à celui d'un grand portail brûlant désirs et rêveries. Oblivion, mesdames et messieurs, est une montagne dont l'ascension est à la portée de tous.
Née au milieu des années 90, la série Elder Scrolls a connu trois gestations différentes, mais le propos de Bethesda est toujours resté le même : réunir exhaustivement toutes les composantes d'un RPG PC pour les fondre dans un même univers, gigantesque mais cohérent. C'est aux restants d'hermétisme dont pouvait être taxé Morrowind que Bethesda s'est attaqué. Pris d'une volonté de démocratiser son oeuvre dans les chaumières des joueurs Xbox 360, le jeu dispose d'accroches bien plus travaillées. Le chapitre d'introduction, l'évasion, est à ce titre admirable car, en sus de constituer un tutorial qui ne pose que les premiers principes et n'empiète en rien sur la pouvoir de découverte propre à la série, il se révèle surtout en véritable déclencheur dramatique ou se mêlent Tolkien, Shakespeare et Excalibur, références que l'on retrouvera tout au long du passionnant scénario. Le cheminement du jeu est à l'image de ces deux orientations : intensif et cohérent. Cyrodiil est ainsi moins vaste que Morrowind mais ses donjons sont plus grands et plus variés, comptant parfois 4 étages différents. Les quêtes secondaires sont plus longues et nécessitent l'accomplissement d'un grand nombre d'étapes, toujours très correctement liées entre elles. Mieux, les scénaristes se jouent souvent de nous, par exemple : une quête demande d'espionner un individu. Déçu par la facilité apparente de cette filature, je commençais déjà à baîller quand la conclusion m'apprend finalement que le suspect, conscient de ma présence tout du long, m'a sciemment tendu un piège.
Pour revenir sur la quête principale et sa prégnance au sein du scénario, l'apparition grandissante et apocalyptique des portes d'Oblivion agit comme une pression dramatique formidable qui nous ramène constamment au sort de ce monde. Il faut voir ces grands yeux de Sauron rougir les abords d'une clairière fleurie pour être pris dans une vague d'indignation et de désir. Et bien sûr ces portes sont toutes liées par une grande quête, elle-même liée à la quête principale. Rien ne se perd, tout se transforme, de ces fameux portails ardents au moindre sac de toile qui contiendra peut-être le crochet qui vous est nécessaire pour ouvrir le coffre qui se trouve deux mètres plus loin. A ce propos, si je vous ai dit que Cyrodiil, le monde central de l'univers, est moins vaste que ne l'était Morrowind, il faut bien sûr rajouter les différentes régions d'Oblivion, de taille très respectable, et les surfaces très conséquentes des donjons, et même des divers intérieurs (on pense surtout aux maisons des marchands, à trois étages de plusieurs grandes pièces la plupart du temps).
Les sensations de contrôle ont aussi bénéficié d'une refonte pour garantir une addiction rapide. La vitesse de déplacement à pied est beaucoup moins frustrante, les mouvements sont souples, les combats ne ressemblent plus du tout à des résultats de jets de dés invisibles mais à des contacts rugueux, violents. Il y a tout un travail d'adaptation des calculs de points et de probabilité en action visuelle effective sur l'écran. En cela, les développeurs se sont très pertinemment reposés sur l'inclusion du moteur physique Havok. Il entre en jeu lors des coups, les flèches s'accrochent aux surfaces, divers pièges et énigmes dans les donjons utilisent des forces réalistes. Vous pouvez par exemple récupérer des objets a priori inaccessibles en usant de votre arc pour les faire tomber, ou attirer un monstre quelque part pour ensuite lui envoyer dans la tronche des boulets hérissés, ou bien activer une dalle qui déclenchera un piège mortel.
Je vais finir sur cette partie consacrée à la l'intensification du gameplay avec un tour de table d'autres exemples probants. L'utilisation du crochetage et de la persuasion sont désormais des séquences ludiques à part entière. Le crochetage demande calme et réflexion. La persuasion est un petit jeu d'observation et de rapidité qui retire des mécanismes de chez Fable. Encore une fois, en masquant la couche des calculs de points au profit d'actions pleinement jouables, les développeurs intensifient chaque situation et rendent encore plus responsable le joueur dans chacun de ses gestes. Le mode discrétion utilise désormais le concept classique et efficace du curseur à luminosité variable. Mais ils savent aussi éviter les longueurs. Les déplacements peuvent de nouveau s'effectuer à dos de cheval (comme dans Daggerfall) mais aussi par le biais de la carte entre deux endroits déjà visités. Ces endroits, pour peu qu'ils hébergent la prochaine étape d'une quête, sont marqués dès que vous sélectionnez cette quête dans votre interface. L'avant-dernier point est très utile pour les déplacements urbains tandis que le marquage permet de manger les distances en cheval et de s'arrêter une heure ou deux pour faire autre chose, sans avoir besoin par la suite de consulter son journal et sa carte parce qu'on a tout oublié.
Toutes les composantes jeu de rôle de Morrowind sont là. Rien ne manque, du marchandage à l'alchimie, de la réparation à l'enchantement des armes, des quêtes de guildes à celles de trésors. Certaines formes nouvelles de quêtes font leur apparition. On pense à l'arène impériale où vous pourrez mener une carrière de gladiateur ou de parieur, ou à des missions de combats en groupe. Bien sûr, la définition de son personnage est dans la lignée de la série et exploite les mêmes attributs : race, classe, signe astral, apparence. J'ai poussé deux protagonistes très différents afin de vérifier l'équilibre de la difficulté, plus particulièrement en cas de choix incohérents. J'ai été un peu inquiet de ne rencontrer aucun barrage dans ma progression avec mon mage de guerre Breton, alors que la peine à faire monter en puissance mon barbare Elfes Des Bois m'est apparue plus logique. Cela dit, la fameuse réglette de difficulté est encore présente et permet de s'offrir un challenge à la hauteur de ses envies.
Oblivion demanderait une étude complète tant son univers est chargé à ras bord de générosité créatrice et purement ludique. Avant de conclure sur les importants tableaux graphiques et techniques rappelons les dommages qui entachent la version PC comme cette version console. Tout d'abord carton jaune inflexible pour le travail de localisation. Textes manquants ou qui dépassent des cadres, absence de traduction de l'anglais ou traduction dans une autre langue, termes incorrects et trompeurs, la fréquence de ces erreurs est assez rédhibitoire, même si jamais bloquantes. C'est vraiment dommage, mais ce problème concerne avant tout 2K Games. Bethesda devra quant à lui répondre de certaines promesses un peu légères. Le comportement et les dialogues des PNJ en premier lieu, qui ne sont pas aussi fascinants qu'annoncé. Certes, certaines (rares) actions contextuelles viennent leur donner un peu de dynamisme, certes un magicien aura tendance à sortir des sorts pour s'amuser par exemple, certes leur blabla est moins important, plus travaillé et moins redondant. Mais il manque encore cette étincelle qui les ferait vraiment, tel Pinocchio, passer de bois à chair. Cela dit, beaucoup d'entre vous seront contentés par leur comportement car il faut bien avouer qu'aucun RPG ou MMORPG n'atteint encore ce stade-là. Les affres de l'interface que nous avons condamné dans la version PC sont ici nettement amoindri. Le système d'onglet est adapté à une manipulation avec la manette et évite des scrolls importants qui aurait été pénible à dérouler. Dans le même ordre d'idée, la grosseur de la police d'écriture décriée est ici pleinement justifiée. Pour autant, le cadre réduit dans lequel s'affiche la carte reste embêtant. Enfin, d'un point de vue purement général sur l'ergonomie, le travail d'adaptation est remarquable.
La couronne des montagnes de Cyrodiil accueille des forêts d'une richesse enivrante. L'inquiétante lueur bleutée des donjons évoque ceux du SDA vus par Peter Jackson. Chaque matière, chaque texture possède du relief, chaque moment de la journée est sublimé par un travail sur la lumière digne de Terence Malick. Chaque bâtiment est transcendé par un travail architectural monumental. Oblivion est-il le plus beau jeu au monde ? Cette question appellerait sans doute une réponse d'une grande vacuité. Mais on y pensera très fort quand même. Le titre se pose bien comme une étape technique charnière car l'ouvrage empile et exploite au maximum l'ensemble des avancées de ces deux dernières années (et dieu sait qu'il y en a eu). HDR, normal mapping, shaders en pagaille, moteur physique Havok, tout ça souvent simultanément, rien que pour vous. Et il me faut en venir au bien malheureux poison qui affecte la version Xbox, au point de lui ôter la valeur qui permettrait de l'aligner sur sa consoeur PC. Forte d'une puissance que l'on sait tous monumentale, la next gen s'est tout permis. Comme une version PC paramétrée sur les réglages graphiques maximum, cette prestation console est réellement d'une grande beauté, sublimée à moindre mesure sur une télé HD, un peu d'aliasing se glissant dans le rendu. Mais quelque part, quelque chose fait défaut à la console et l'afflige de temps de chargements lancinants, à évaluer entre 10 et 15 secondes. Il s'agit d'un défaut vraiment gênant qui touche le rythme du jeu de plein fouet.
Précisions importantes : Bethesda a finalement réagit assez rapidement aux problèmes de freeze indiqués précédement. Il s'agit bien d'un dysfonctionnement, dû à une donnée corrompue sur le disque dur. Vous devez vider le cache de la console en maintenant A appuyé pendant le chargement du jeu, soit avant l'affichage du logo Bethesda. Les freezes disparaissent et les temps de chargement sont réduis sans pour autant atteindre "l'invisibilité" de la version PC. Merci à tous les lecteurs qui nous ont signalé l'information. Nous espérons que Bethesda aura la décence de sortir un correctif rapidement car cet petite bricole trahit une finalisation assez légère du produit..
- Graphismes19/20
La grande majorité des titres 2006 vont techniquement courir après un jeu sorti en mars, c'est désormais chose certaine. Oblivion dépasse amplement le cadre de la simple "performance" visuelle : la profusion végétale n'a jamais autant injecté de fantastique et de mystère dans les forêts, la lumière n'a jamais aussi bien mis en avant l'architecture de bâtiments, le normal mapping n'a jamais donné autant de relief aux choses. Cette version Xbox 360 ne se refuse rien et est donc sublime.
- Jouabilité17/20
Ce jeu est fondant, voilà le meilleur qualificatif. On s'y laisse couler comme une masse, perclus dans des heures de jeu qui semblent broutilles, la grâce à une intensification conséquente des différents gameplays et un dynamisme nouveau dans les sensations de jeu. Les quêtes sont à la fois plus profondes, et moins difficiles d'accès. Une réussite, incontestablement, même si les temps de chargements de cette version console affectent concrètement le rythme du jeu. La localisation des textes est égale à celle de la version PC, c'est-à-dire franchement bâclée.
- Durée de vie19/20
S'il est bien compliqué de jauger en moins d'une semaine combien de temps il faut pour couvrir ne serait-ce que la moitié du contenu du jeu, on peut estimer que la trame principale demandera au bas mot une trentaine d'heures de jeu. A partir de là, additionnez-y des donjons plus vastes que ceux de Morrowind, des missions plus longues et des trésors encore plus compliqués à découvrir. Mêlez-y aussi une difficulté pleinement réglable et un éditeur de niveau très puissant. Et vous obtenez une durée de vie énorme.
- Bande son17/20
Enfin un instant pour évoquer ce domaine. Jeremy Soule est bien moins emphatique que dans Morrowind. Les thèmes se dévoilent et révèlent une grande douceur, ainsi que des mélodies complexes et élégantes car moins pompières que le prédécesseur. Cette musique est majoritairement d'une grande et belle tristesse, même quand elle se veut violente, évoquant en cela le drame du monde de Tamriel. Une composition courageuse dont les gracieux refrains ne s'imposent à nos oreilles qu'après plusieurs heures de jeu. Nous avons droit aussi à des voix et des bruitages très professionnels.
- Scénario17/20
La trame principale est passionnante. Cette histoire de successions et d'objet fétiche évoque principalement Shakespeare (impression renforcée par les réactions un peu théâtrale des protagonistes) et le Seigneur Des Anneaux, bien sûr. Les quêtes secondaires sont constitués de plusieurs étapes qui se tiennent parfaitement. Le titre est très adulte et évoque beaucoup de questionnements importants : racisme, profanation des tombes, suicides... Beaucoup d'humour aussi, avec notamment quelques références ironiques sur Morrowind.
Sans renier un seul instant le monstrueux héritage des Elder Scrolls, Oblivion est l'occasion de démocratiser pleinement la série en la rendant plus intense, plus accrocheuse et plus cohérente. Le passage sur Xbox 360 ne se fait pas bon an mal an. Pour une ergonomie impeccable et un niveau graphique imposant, il faudra faire avec des temps de chargements qui pénalisent le rythme. Beaucoup de laisser-aller dans la localisation des textes, comme sur PC. Cette version est donc un poil moins bonne que son équivalent PC, mais constitue tout de même une référence évidente du RPG sur next gen.