Dans le monde, il y a deux catégories de personnes : les psychiques et les non-psychiques. Les premières sont dotées de pouvoirs mentaux extraordinaires et se destinent à un brillant avenir, à condition toutefois qu'elles sachent se servir de leur précieux don. Les secondes sont comme vous et moi. Tout ce qu'elles savent faire avec leur esprit, c'est résoudre des grilles de sudoku. Et encore, pas toutes n'y arrivent. Avec Psychonauts, la barrière entre psychiques et non-psychiques vole en éclat puisque tout un chacun pourra se prendre pour un mentaliste en devenir.
Introduire Psychonauts n'est pas une chose aisée tant ce jeu ne ressemble à aucun autre. Sur le fond, bien sûr, on peut facilement le ranger dans la catégorie des jeux de plates-formes, mais dans son approche du genre, dans son univers, son histoire, ses personnages et son ambiance, il y a un vrai décalage avec ce que l'on connaît. Un décalage qui trouve son explication dans la paternité du titre. L'heureux géniteur est en effet Tim Schafer, un raconteur d'histoires plutôt discret depuis Day Of Tentacle, Full Throttle et Grim Fandango en 1998, date à laquelle nous l'avions un peu perdu de vue. Psychonauts marque en quelque sorte son grand retour sur le devant de la scène et qui plus est à la tête d'un nouveau studio de développement (Double Fine Productions). Vous me direz très justement qu'un nom, quel qu'il soit, n'est pas toujours synonyme de qualité. Dans le cas de Psychonauts, il l'est pourtant, croyez-moi. Tim Schafer n'a rien perdu de son esprit créatif et il a visiblement su communiquer sa folie douce à son équipe pour donner naissance à un titre singulièrement drôle qui, s'il n'innove pas forcément au niveau des mécaniques de jeu (je saute, je shoote, je ramasse des objets) tire clairement son épingle du jeu grâce à une ambiance loufoque et parfaitement maîtrisée.
Mais retour à la case départ. Bienvenue au Roc-Qui-Murmure, un camp de vacances spécialement destiné à former de jeunes psychiques pour les conduire à rejoindre les rangs des Psychonautes, des soldats de l'esprit généralement envoyés en missions top secrètes pour le compte de la nation. Après avoir fugué pour quitter le cirque familial et l'oppression paternelle, le jeune Razputine, dit Raz, parvient à intégrer la colonie pour suivre son entraînement. Malheureusement, ce qui ne devait être pour lui qu'un simple apprentissage tourne rapidement en véritable mission lorsqu'il découvre qu'un traître vole les cerveaux des enfants pour construire des chars d'assaut psychiques. Abandonné par les instructeurs, Raz se retrouve seul à pouvoir agir, seulement guidé par Ford Cruller, un mentaliste de haut niveau mi-fou mi-génial.
Avec un tel scénario, Double Fine ne s'est pas gêné pour faire de Psychonauts une aventure totalement barrée. Ainsi, les niveaux de jeu ne sont autres que des esprits à visiter. La formation débute même dans la tête du coach Oléander, un soldat obsédé par les choses guerrières. Sorte de tutorial, ce premier environnement sera l'occasion de donner le ton du jeu dans son ensemble en prévenant le joueur qu'il s'apprête à suivre histoire comme aucune autre à travers les esprits qu'il va visiter. Reflets des personnalités de leurs hôtes respectifs, les esprits/niveaux ne se refusent aucune extravagance. Que ce soit l'armée pour Oléander, le disco pour la prof de lévitation ou le minimalisme cubique pour l'agent Sacha Nein, chaque esprit adopte un thème graphique bien particulier, donnant un cachet unique à son environnement affilié. Et à chaque fois, c'est la même chose, on constate avec bonheur que les concepteurs ont laissé libre cours à leur imagination pour nous préparer des aires de jeux totalement folles dans lesquelles on retrouve pourtant les objectifs évoqués plus haut et commun à nombre de jeux de plates-formes (saut, tir, collecte).
Effectivement, sous couverts d'un design et d'un scénario tous deux complètement barrés, Psychonauts peut se permettre de reprendre à son compte des fondements de jeux déjà vus et revus plusieurs fois ailleurs. Adapté à cet univers si spécial, le quotidien d'un joueur de plates-formes prend alors une tournure presque inédite. Du coup, on ne va pas se fatiguer ici à collecter des étoiles ou des billes d'énergie, mais des bribes d'imagination et des bagages émotionnels. On va aussi s'amuser à frapper des coffres à souvenirs, à nettoyer les toiles mentales embrouillant l'esprit visité. On passera enfin son temps à courir après des cartes psy, capables de faire progresser le niveau de Raz et de lui donner par la suite accès à de véritables pouvoirs mentaux (pyrokinésie, télékinésie, lévitation, clairvoyance, etc). Au fur et à mesure de son apprentissage, Raz va du coup gagner des capacités qui lui permettront de revenir dans certaines zones et d'explorer des endroits qui lui étaient jusque-là interdits. Classique.
Mais alors, si Psychonauts n'est qu'une succession de poncifs maintes fois joués, qu'est-ce qui fait de lui un jeu si particulier ? Bon, on l'a déjà dit, sous le prisme déformant de son scénario, le gameplay prend une tournure toute autre qui se permettrait presque de dépoussiérer le genre. Mais il n'y a pas que cela. L'habillage (visuel et audio) a aussi son rôle à jouer dans cette réussite. Même s'il n'est pas vraiment question de nous en mettre plein les yeux avec des effets graphiques de dernières générations, l'esthétique parvient à livrer son charme grâce à un design, certes étrange, mais parfaitement dans le ton général. A l'image des décors vallonnés et à l'architecture alambiquée, les personnages sont aussi destructurés qu'attachants. C'est bien simple, il n'y en a pas un qui ressemble à un autre. Ford Cruller a par exemple les yeux dissymétriques, Sacha a quant à lui un visage parfaitement rectangulaire, tandis que Raz a des cuisses aussi fines qu'un insecte. Pourtant, malgré tant d'influences et de profils différents, tout s'accorde inexplicablement pour former l'univers cohérent de Psychonauts. Le même souci du détail a été opéré au niveau de la bande-son. Les thèmes musicaux brossent un large panel de genres allant de la petite mélodie tranquille jouée à l'harmonica lorsque Raz se promène dans le camp, aux rythmes disco plus endiablés lorsque le jeune héros pénètre l'esprit de Milla Vodello. Egalement très soigné et diversifié, le doublage français n'enlève rien à la bonne impression générale. Les voix s'accordent avec les personnages tandis que les lignes de textes ne se gènent jamais pour placer de précieuses touches d'humour bien senties.
Bref une belle réussite qui ne connaît que deux petits défauts : une durée de vie un poil trop courte (comptez moins de dix heures pour terminer le jeu, un peu plus si vous voulez tout trouver) et une jouabilité qui doit parfois subir le level design tordu de certains passages. On citera par exemple le cours de lévitation. En équilibre sur une boule psychique, Raz doit parcourir tout un tas d'obstacles surgissant sur son chemin. Malheureusement, le maniement de la boule n'est pas aussi souple qu'on l'aurait souhaité et on se retrouve à pester contre le jeu de n'avoir pas corrigé ce petit égarement. Mais attention, que ce défaut ne vienne absolument pas empiéter sur l'enthousiasme que vous devez apporter vis-à-vis de Psychonauts. Nous sommes bel et bien devant un très bon jeu de plates-formes, à l'ambiance déjantée et à l'humour omniprésent. Merci monsieur Schafer !
- Graphismes17/20
Plus que l'aspect technique, on retiendra ici l'aspect artistique. Chaque personnage, chaque objet, chaque niveau possède un design étrange qui parvient pourtant à s'accorder avec ce qui l'entoure. Les influences sont diverses et variées mais concourent toutes vers un but commun : faire de Psychonauts un jeu vraiment à part de tout ce que l'on a pu voir jusque-là. Mission réussie. Psychonauts est bien un OVNI. Un Objet Visuel Non Identifié.
- Jouabilité14/20
Si globalement, on peut dire que tout va bien et que Raz se manie sans accroc, il y a cependant quelques séquences qui nécessitent un peu plus de patience que d'autres, notamment lorsqu'il est question de télékinésie. Dans des niveaux où rien n'est droit, rien n'est parallèle, il est en effet assez difficile d'effectuer des sauts de précision. Heureusement, ces passages sont largement minoritaires.
- Durée de vie13/20
Toujours guidé par une précieuse carte nous indiquant là où il faut aller, le joueur pressé terminera bien vite Psychonauts. Pour apprécier pleinement le titre, et son univers, il faudra passer du temps à dénicher toutes les cartes psy, toutes les bribes d'imagination et tous les coffres à souvenirs. On pourra aussi se pencher sur la découverte d'objets cachés un peu partout dans le camp.
- Bande son17/20
Grâce à des thèmes musicaux toujours à propos, on est vite plongé dans l'univers de Psychonauts. Les voix sont aussi à créditer pour cette immersion, elles qui donnent vie aux personnages étranges qui peuplent le camp. Les dialogues sont plein d'humour vous décrocheront à coup sûr de nombreux sourires.
- Scénario17/20
Drôle et surprenante, l'histoire de Psychonauts nous entraîne à la recherche de cerveaux volés en explorant une dizaine d'esprits totalement différents les uns des autres. Le sujet laisse donc carte blanche à l'imagination des développeurs qui ne se sont pas privés pour préparer un tas de situations décalées.
Grâce à son scénario, à son esthétique et à sa bande-son, Psychonauts n'éprouve aucune peine à nous captiver dès les premiers instants de jeu. Si l'on découvrira par la suite ses deux petites failles (sa durée de vie et sa jouabilité parfois agaçante), on reste en présence d'un très bon titre de plates-formes s'adressant à tous les amateurs du genre, notamment à ceux qui apprécient les univers marginaux.