En 1944, la Normandie et le Sud-Ouest n'étaient pas vraiment des destinations touristiques de choix. Certains vantaient les brouillards matinaux légers et frais des bocages, d'autres encensaient les pommes croquantes et dorées naissant d'arbres vigoureux. Mais sous les bombes, la fumée âpre des mitrailleuses et les sifflements des balles, le paysage peine quelque peu à se découvrir. Devenant un simple ustensile de combat, il abrite des hommes, dissimule des canons et offre des obstacles naturels pour chacun des deux camps. Il perd sa force, sa signification même pour se renverser au gré des râles sombres. C'est pourtant dans cette nature teintée de sang que vous allez mener votre guerre.
Se déroulant en effet juste après les évènements du premier opus, au coeur d'un jour J tirant en longueur, Earned In Blood vous place dans la peau de Red Hartsock, jeune caporal à la tête d'une escouade de quelques hommes. Epuisé, miné par le conflit, ce dernier entre en scène au sein d'une ambiance désespérée au possible, où seuls les coups de feu rythment les paroles. S'asseyant paisiblement à la table du colonel Marshall, Red va alors se confier à ce supérieur désireux d'en connaître davantage sur le déroulement du conflit. C'est ainsi que va se construire l'histoire à laquelle vous allez prendre part, constellée de flash-back déclenchés par les questions de votre supérieur. Une résurgence de blessures profondes qui apparaissent comme fil conducteur de ces récits épiques et guerriers. Conservant sa logique première et irréversible, Brothers In Arms place une nouvelle fois l'immersion comme clé de voûte de son schéma ludique. De ce fait, il ne peut qu'avoir recours à des scripts, certes frustrants et aboutissant tout de même à une certaine linéarité d'actions répétées, mais qui demeurent une solution évidente lorsqu'il s'agit de plonger le joueur dans un contexte émotionnellement puissant. Relayant naturellement des codes cinématographiques propres à stimuler les sentiments, le titre d'Ubisoft se veut totalement dirigé vers cette finalité, faisant de celui-ci une sorte de long-métrage interactif, conservant une mise en scène tutoyant directement le joueur, et un gameplay retenant amoureusement les caractéristiques habituelles d'un FPS. Rien de contemplatif, pas d'apparition d'un meta-jeu, simplement un soft épique, immersif et ancré dans son statut de jeu vidéo cinématographique. Pourtant, il est vrai que l'on pourrait parfois se laisser prendre dans cette bobine dévidant des scènes que l'on croirait tirées de Band Of Brothers, ou de Il Faut Sauver Le Soldat Ryan, et se perdre dans une admiration inactive. Une preuve évidente de la forte préhension du titre, qui ne cesse de vous raccrocher par des harangues, des évènements spécifiques et des retournements de situations très souvent dramatiques. Un réel échange se crée entre vos hommes et vous, de par leur vivacité belliqueuse d'une part, et leur esprit "perfectible" d'autre part. Effectivement, pas seulement concentrés sur leur tâche guerrière, ces derniers vous feront également part d'anecdotes inintéressantes, parfois terriblement idiotes, mais toujours en accord avec une certaine humanité. De plus, il n'est pas rare que deux personnes aux caractères incompatibles s'opposent, avant d'être remis à leur place par une troisième, poussant peut-être encore un peu plus loin une relation empathique de surface.
De plus, les animations labiales et par extension faciales retravaillées permettent certaines fois de capter une certaine tension, une joie, ou une simili frayeur lorsque vos coéquipiers vous dévisagent. Une approche intéressante de la notion d'équipe, où l'on protège ses compagnons, non pour leur capacité ludique spécifique, mais parce qu'on n'a tout simplement pas envie de les voir étendus sur le sol après des heures passées à surveiller les arrières et les états psychologiques de chacun. Evidemment, nous sommes ici à des kilomètres d'un ICO révolutionnaire sur cet aspect précis, mais il est vrai que l'immersion par ce biais demeure totale et éreintante. D'autant qu'il vous incombe de prendre le contrôle de vos escouades lors des phases d'action, décidant de leur vie par un simple ordre. Reprenant exactement le système de l'opus précédent, BIA offre toujours une part stratégique non négligeable dans le placement et le déploiement des unités. Aussi intuitives qu'auparavant, les dispositions tactiques répondent simplement à la sollicitation de votre viseur et d'une touche. Il vous suffit en résumé de pointer un endroit pour ensuite sélectionner une façon d'agir pour un ou plusieurs groupes d'assaut. Entre la couverture, la charge héroïque, le déplacement en groupe ou encore la mise en place d'une troupe attendant des commandements précis, le titre d'Ubi offre la possibilité de composer des attaques structurées et finalement relativement diversifiées. Vous devrez de fait apprendre à maîtriser la célèbre stratégie du tir nourri, suivi d'un contournement et d'un assaut final, dans le but de passer outre l'intelligence artificielle nettement enrichie des ennemis. Si, il y a encore quelques temps, un adversaire ne se retournait même pas alors que vous passiez dans son dos en marchant dans la boue avec de grosses rangers, désormais il faudra vous y reprendre à plusieurs fois si vous souhaitez miser sur l'effet de surprise. Mobiles et sensibles à la moindre de vos incartades, les soldats allemands n'hésiteront pas à contourner des bâtiments pour vous prendre à revers, à changer de point de tir s'ils se rendent compte de la difficulté de résister à vos assauts, ou encore à attendre sagement votre venue bien cachés derrière un obstacle.
Pourtant, et de façon paradoxale, vous croiserez à de nombreuses reprises vos opposants en train de recharger leur arme debout, en plein milieu du champ de bataille alors que vous vous trouvez à dix mètres de distance de ceux-ci, bien en vu. Une légère errance qui ne fait toutefois que souligner les lacunes psychologiques de vos amis en armes, n'ayant connu quant à eux aucune évolution notable. Conservant cette imbécillité chronique qui les caractérisait déjà dans le précédent épisode, ces derniers exposent de dangereuses nuances de compréhension pouvant vous conduire à la mort. En effet, il suffit qu'un obstacle les empêche de se mouvoir pour qu'ils annulent purement et simplement votre ordre, ne tentant même pas de venir à votre rescousse. En sus il est troublant de les appeler pendant trente secondes pour chercher à les abriter derrière un tronc d'arbre, alors qu'ils préfèrent curieusement ignorer vos injonctions et courir après des militaires allemands formant un groupe de 5 personnes. Un manque d'innovation flagrant à ce niveau précis, qui se trouve tout de même amenuisé par la présence de quelques petits remaniements en marge du travail sur l'I.A des ennemis évoqués ci-dessus. On peut donc observer dans cette optique un agrandissement significatif des cartes, aboutissant au besoin d'une plus grande agressivité de votre part afin de saisir des occasions d'encercler rapidement des unités adverses. Il est très important de ne pas rester inactif trop longuement, sous peine de passer à côté d'effets de surprise pratiquement indispensables à une victoire sans heurts. D'autre part, le système de visée se montre un tantinet plus stable, autorisant enfin à ajuster un tir sans ressentir des tremblements dans le poignet à force de bouger le réticule par petits à-coups. On se retrouve face à un ensemble un peu décevant de "transformations", améliorant certes le jeu, mais ne gommant pas certains défauts encore trop imposants, comme par exemple le déséquilibre relatif à la difficulté globale, passant d'anecdotique à particulièrement coriace en deux ou trois niveaux. D'autant que l'on remarque assez continuellement des bugs graphiques peut-être assez mineurs mais n'aidant pas à une fascination d'ensemble pour ce soft. Au final, Brothers In Arms : Earned In Blood est en quelque sorte la version 1.5 de son prédécesseur, proposant un plaisir de jeu plus intense, un côté stratégique plus poussé, et un environnement graphique légèrement plus fin. Malgré tout, on rencontre encore nombre de problèmes ne parvenant pas à propulser le titre sur le devant de la scène vidéoludique. La guerre n'est pas perdue.
- Graphismes14/20
Toujours en retrait par rapport à ce qui se fait actuellement sur PC, le titre d'Ubisoft tire malgré tout son épingle du jeu grâce à l'ambiance. Celle-ci découle d'une variété d'environnement suffisamment présente pour donner l'impression d'arpenter réellement un village ou une région entière, mais aussi de son travail sur les effets climatiques et la lumière, donnant un côté désespéré global. Bien animés et bénéficiant d'une modélisation du visage assez réussie, les différents intervenants font face aux textures un tantinet baveuses.
- Jouabilité15/20
Retravaillé sous certains aspects depuis l'épisode précédent, Earned In Blood innove réellement au niveau des réactions des ennemis et du besoin de s'adapter continuellement à leurs changements de positions intempestifs. De fait, on ressent une tension et une immersion bien plus importantes. D'autre part, on retrouve avec plaisir le système d'ordres tactiques et la carte stratégique, toujours aussi pratique et intéressante. Maintenant, il est regrettable de devoir supporter les crises d'imbécillité de ses partenaires, ainsi que la maladie des balles ne causant parfois aucun dégât.
- Durée de vie16/20
De par le gameplay ouvertement stratégique, vous obligeant à réfléchir à chacun de vos assauts, et la présence de cartes plus étendues, Brothers In Arms demande une concentration ludique intense et propose souvent des missions s'étalant sur des périodes assez longues. Vous devrez donc batailler longuement pour venir à bout du soft, qui plus est fort difficile. Si malgré tout vous parvenez à vos fins sachez que vous pourrez toujours avoir recours aux modes multi dignes d'intérêt, ainsi qu'à un éditeur de cartes.
- Bande son15/20
Ouvertement hollywoodienne et épique, la bande-son du titre d'Ubisoft s'avère réellement bien orchestrée, collant parfaitement à l'ambiance générale. Entre des montées symphoniques prenantes et des morceaux plus posés, Brothers In Arms dévoile en sus un environnement sonore crédible et immersif. Les voix françaises collent quant à elles bien aux divers personnages, et les doubleurs se sont visiblement bien investis dans leur rôle.
- Scénario/
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Suivant la droite ligne de son prédécesseur, Brothers In Arms : Earned In Blood parvient tout de même à réserver son lot d'innovations, qui, si elles ne sont pas révolutionnaires, parviennent quand même à offrir une vision un peu différente du soft. Néanmoins, et malgré la présence de situations de combats toujours aussi passionnantes et immersives, ce dernier ne parvient pas à se séparer définitivement de ses lacunes et se montre décevant sur certains points déjà problématiques auparavant. Un bon titre tout de même, offrant enfin un FPS historique intelligent.