Si on devait faire un parallèle entre Kuon et un long-métrage, je choisirais sans doute Histoires de fantômes chinois. Cette production From Software choisit en effet une ambiance à mi chemin entre le folklore japonais et chinois tout en reprenant les mécanismes issus de nombreux jeux pour inspirer la peur. Au delà de l'absence d'originalité, le résultat a au moins le mérite de nous immerger dans un monde où l'obscurité peut être source de vérité, aussi effrayante soit-elle.
On aura beau dire mais les moyens de provoquer le frisson sur consoles semblent assez réduits au regard des dernières productions horrifiques. L'industrie du jeu vidéo a beau regorger de multiples talents, le genre survival-horror semble un peu tourner en rond en reprenant les mêmes schémas d'épisodes en épisodes. D'un côté, nous avons les séries à inspiration cinématographique (Resident Evil, Project Zero), celles qui optent avant tout pour une histoire psychologique (Silent Hill) ou encore les sagas très kafkaïennes (Forbidden Siren). Dans tous les cas, peu d'innovations sont à signaler hormis Resident Evil qui a choisi une orientation encore plus musclée avec son fantastique quatrième épisode. Loin de moi l'idée de critiquer, malgré ce constat un peu alarmiste, puisque je suis et serai toujours un fervent adepte du malsain et de l'horreur. Il me tardait donc de voir ce que donne ce Kuon, sorti il y a un petit bout de temps sur l'archipel.
Un château sous l'emprise des ténèbres, deux jeunes femmes confrontées au monde des esprits, un exorciste mystérieux, des vers à soie qui dévorent les humains, voici en quelques mots la substantifique moelle de Kuon. Si les développeurs ont volontairement opté pour un jeu se déroulant dans le Japon féodal, il est un peu incongru de constater qu'ils se sont grandement inspirés de l'histoire de Project Zero 2. Ainsi en sus et place des jumelles Mio et Mayu, ce sont les soeurs Utsuki et Kureha qui tiennent les rennes de l'intrigue. Bien que l'histoire de Kuon se base essentiellement sur la relation entre les vers à soie et la résurrection des morts, on retrouve beaucoup de similitudes entre ce titre et la production Tecmo. On citera par exemple le sentiment de culpabilité de Utsuki envers Kureha qui est atteinte d'une grave maladie ou encore le fait que la première soit à la recherche de la seconde durant toute l'aventure. Enfin, comment ne pas évoquer une cinématique à la fin du scénario de Utsuki qui renvoie totalement à un flashback de Project Zero 2 jusque dans la mise en scène. Malgré ces troublantes similitudes, l'aventure ne manque pas de charme et réussit à acquérir une identité propre notamment par l'entremisse d'un second scénario.
La structure du jeu implique donc une segmentation en plusieurs chapitres. Pour être exact, vous devrez tout d'abord choisir entre deux personnages (Utsuki qui représente le Ying et Sakuya représentante du Yang) puis une fois que vous aurez terminé les deux aventures, une troisième se débloquera vous permettant d'incarner la dénommée Kuon... Mais je vous laisse découvrir tout ceci. Malheureusement, si on pouvait s'attendre à une durée de vie assez longue, sachez qu'il vous faudra un tout petit moins de 4 heures (en prenant son temps) pour terminer chacun des deux premiers chapitres, celui de Kuon se finissant un peu plus rapidement. Certes, nous arrivons à la durée de vie lambda de 8-10 heures mais c'est malgré tout un peu décevant surtout que les deux premiers segments se ressemblent beaucoup. En clair, choisissez dès le départ la difficulté Normale pour faire durer le plaisir. En guise de bonus, vous pourrez débloquer le Sugoroku, un jeu de plateau japonais ressemblant quelque peu à un mélange entre les dames et l'Abalon. Néanmoins, avant de pouvoir y toucher vous devrez trouver un ensemble de pièces durant la partie de Utsuki et le plateau de jeu lors de l'aventure de Sakuya. Pour revenir au deux principaux chapitres, disons qu'ils ont le mérite de nous faire visiter quelques lieux différents et de nous faire vivre l'histoire sous deux angles différents. Dommage tout de même que les jeunes femmes ne se croisent pas plus (deux ou trois fois maximum) et qu'elles n'aient finalement pas plus d'intérêt l'une pour l'autre compte tenu du contexte.
L'autre chose qui frappe quand on joue à Kuon est que le jeu n'utilise pas pleinement son potentiel qui inclut pourtant de bonnes idées. La première chose à savoir est que le joueur a rarement peur, seuls quelques sursauts venant chatouiller la torpeur dans laquelle on glisse lentement. Ceci est dû, à mon sens, aux phases d'action trop basiques, à une absence de mise en scène alambiquée ou à une caméra un peu lointaine, synonyme de distanciation par rapport à ce qui se déroule sous nos yeux. De plus, les quelques astuces comme le fait de regarder par des trous dans les murs ou à travers des portes ne sont pas assez mises en avant et ressemblent plus à des actions contextuelles sous-exploitées. Une autre possibilité qui tombe à l'eau tient au fait qu'en courant, vous pourrez parfois renverser des objets. Le bruit fera alors venir des fantômes qui s'en prendront à vous. Maintenant, vu que ces ennemis se tuent en un seul coup, le niveau de tension n'est pas vraiment à son maximum. En parlant d'objets, je voudrais dire aux programmeurs de laisser tomber l'astuce qui consiste à bloquer des passages avec un cadavre, une table, un coussin ou quoi que se soit d'autre. Dans le genre "peu crédible", on ne fait pas mieux. Ensuite, si nous n'échappons pas aux plans saccadés en vue subjective ou aux fantômes apparaissant subrepticement dans un coin de l'écran, la réalisation n'est pas assez inventive pour susciter l'effroi. Reste alors un jeu qui doit davantage à ses affrontements avec les spectres qu'à ses passages destinés à nous faire dresser les cheveux sur la tête. Pour dynamiser lesdits combats, nous avons la chance de pouvoir utiliser la magie en plus des armes. Cependant ne vous réjouissez pas trop vite puisque cet aspect n'est pas non plus exempt de défauts.
Tout d'abord les armes sont en nombre réduit vu que Utsuki ne pourra se servir que d'un simple poignard. Elle pourra en trouver deux autres par la suite (un de glace et un de feu) mais c'est un peu léger. Même chose pour Sakuya qui troque le poignard contre un éventail. Niveau magie, vous devrez au préalable dénicher des parchemins qui sont de deux types. Les premiers vous serviront à lancer des sorts (généralement liés aux éléments) alors que les seconds vous permettront d'invoquer des créatures comme des araignées, des loups, des poupées, etc. Bien qu'on trouve une quinzaine de sorts, beaucoup se ressemblent vu qu'ils sont de même nature tout en étant simplement plus puissants. Par contre le système de jeu est assez agréable et permet d'associer un parchemin aux touches Carré ou Triangle pour l'utiliser rapidement. On aurait aimé pouvoir choisir le sort désiré par le biais d'un menu d'action rapide mais a priori les développeurs n'y ont pas pensé. Retenez enfin que si vous n'associez aucun parchemin à une touche d'action, vous vous servirez automatiquement de votre arme lorsque vous attaquerez. De plus, je précise que l'ensemble des sorts ne pourra être vu qu'en terminant chacun des trois scenarii. Ceci vaut également pour les objets et les documents à découvrir. Ensuite, retenez qu'à l'instar de Silent Hill, vous pourrez achever vos ennemis à terre afin qu'ils ne se relèvent plus.
Sur la question de la difficulté, je situerais Kuon entre Resident Evil et Project Zero. Les énigmes sont très basiques et ne demanderont pas un gros effort de concentration et les ennemis ne sont guère résistants, surtout si vous utilisez la magie. De plus, les items de soin ne manquent pas et vous aurez la possibilité de méditer à tout moment pour retrouver vos esprits et votre santé. Cela m'amène à un autre point qui n'a pas été assez creusé à mon avis. Je veux ici parler des zones d'énergie maléfique qui auront pour effet de vous déstabiliser en réduisant votre champ de vision. De plus, une fois que vous serez pris dans une de ces "tempêtes", vous ne pourrez plus utiliser de cartes magiques. Vous n'aurez alors pour unique solution que de méditer à nouveau pour reprendre vos esprits. Bien que ces zones soient la plupart du temps rattachées à la présence de monstres, le fait de courir trop longtemps pourra aussi vous épuiser et vous rendre vulnérable. Le tout fait penser au système de panique de Clock Tower 3 (ou de Haunting Ground) mais demeure bien moins évolué vu qu'il apporte simplement un petit plus en terme d'ambiance. A ce propos, je vous donnerai le conseil suivant : gardez vos items de soins contre les boss et utilisez la méditation pour retrouver votre santé après les combats contre les esprits inférieurs.
Pour clore ce test, je serai tenté de dire que Kuon est un jeu très plaisant mais qui n'apporte pas grand chose au genre survival. L'aspect visuel est épuré mais révélateur d'un beau coup de palette graphique. Par contre, on ne peut s'empêcher de pester contre des décors très sombres et une homogénéité graphique. Le manoir principal ne manque pas de charme, tout comme les jardins ou les souterrains baignant dans des tons rougeâtres mais à aucun moment, notre rétine ne se retournera d'elle-même. La même conclusion peut être faite concernant le bestiaire du jeu qui fait intervenir des morts vivants, des spectres, des monstres insectoïdes ou des singes zombifiés. Toute cette rhétorique pour vous annoncer que si vous aimez le survival, vous passerez un bon moment en compagnie de cette production From Software. C'est d'autant plus vrai que le choix de la langue (japonais ou anglais) est une excellente initiative qui rajoute au plaisir de la découverte. Vous avouerez qu'une histoire de fantômes japonais parlant anglais peut faire désordre, quelle que soit la qualité du doublage. Sur ces entrefaites, vous m'excuserez, j'ai une partie de Sugoroku qui m'attend. Fantomatiquement vôtre.
- Graphismes13/20
Les cinématiques en CG ponctuent uniquement les fins des trois chapitres, les décors ont tendance à être un peu trop sombres et les effets lors des sorts sont peu impressionnants. Quoi qu'il en soit, l'animation des personnages est réussie surtout le mouvement très fluide des vêtements qui bougent au rythme des pas. De plus, si le bestiaire comporte trop peu d'ennemis, certains sont plutôt réussis et permettent de relancer l'intérêt des combats.
- Jouabilité14/20
Les armes sont peu nombreuses mais les parchemins d'invocations et de sorts rattrapent le tout. Vous pourrez associer un parchemin à chacune des deux touches d'attaques mais il faudra passer au préalable par le menu d'inventaire pour faire votre petite popotte. Malgré l'absence d'un menu d'actions rapides et d'un lock, les combats ne posent pas de problèmes. A signaler des temps de chargements très courts mais malheureusement beaucoup trop nombreux et des mouvements peu exploités comme le saut ou le fait de s'accroupir.
- Durée de vie10/20
Laissez tomber le mode Facile pour débuter directement en Normal. Les scénarii de Utsuki et Sakuya se terminent chacun en 4 heures alors que celui de Kuon vous demandera un peu moins de temps. Les énigmes sont très simples et si vous utilisez les bons sorts, vos items de soin ou l'art de la méditation, vous ne devriez avoir aucun problème lors des combats. Enfin, une fois récupéré un set de pièces et un plateau de jeu lors des deux premiers chapitres, vous aurez accès au jeu du Sugoroku.
- Bande son14/20
La bande-son fait la part belle à un ensemble de bruitages d'ambiance plutôt qu'à de véritables compositions mais ce choix ne nuit pas à l'atmosphère, bien au contraire. La bonne nouvelle est que vous aurez le choix entre les doublages japonais ou anglais. Bien que ces derniers soient assez réussis, privilégiez tout de même les voix nippones pour une plus grande immersion.
- Scénario12/20
L'histoire est somme toute assez basique mais elle réserve quelques surprises, notamment en ce qui concerne Utsuki. Le scénario aurait gagné en profondeur si les deux personnages principaux avaient eu davantage de scènes en commun mais en définitive la présence des deux scénarios (+ 1 bonus) apportent une consistance à une aventure où les vers à soie font plus que tisser des fils d'amitié entre les protagonistes.
Si vous avez terminé les derniers survival-horror sortis sur PS2 et en attendant une éventuelle sortie de Project Zero 3 en Europe, Kuon est un jeu qui pourra vous procurer quelques bonnes sensations. Peu effrayant mais suffisamment convaincant pour se laisser apprécier, voici une bonne occasion pour découvrir une histoire d'exorcisme, de fantômes et de vers à soie. Dommage que le tout se termine un peu trop rapidement et que la plupart des idées de gameplay ne soient pas plus exploitées, auquel cas nous aurions eu droit à un jeu d'une toute autre pointure.