Les yeux clos, écoutant simplement la pluie s'écraser sur le pont, esquissant des murmures de souffrance, je goûte une dernière fois les embruns de ma terre. Les vagues claquent et fouettent les flancs de notre fier voilier propulsant des milliers de gouttes luminescentes, planant quelques instants avant de se déverser lestement sur nos tuniques animées par le vent. Les flots se font plus sombres. La côte s'évade, dévorée par les brumes du soir et avec elle notre sûreté atavique. Cette masse mouvante nous emporte, s'empare de nous, sans que nos pieds ne puissent s'en défaire. Angoissant, mais décrivant les mimiques de l'excitation la plus naïve. C'est le Cap que s'est fixé Suikoden 4.
Rares sont en effet les RPG à s'aventurer dans les creux marins, domaine assez particulier à mettre en place, de par justement la répétition des arabesques de l'océan, et surtout à travers le monde empli de codes autant techniques que culturels à dépeindre. Une double gageure par conséquent, amorcée avec Wind Waker, qui dispose donc d'une originalité immédiate et certaine, offrant de plus ce que nombre de productions peinent à atteindre, à savoir une sensation tactile de l'aventure au sens romanesque du terme. Sans cesse libéré d'un étau pesant, l'horizon bleuté, vierge de toute trace de barrières naturelles et de formes limitant votre champ d'évasion, compose la majeure partie des environnements que vous allez traverser. Vous ressentirez alors de façon troublante, une impression commune à celle des marins retrouvant peu à peu les contours de paysages terrestres. Rassuré par la présence d'un sol stable et sécurisant, mais frustré par l'absence étouffante d'une ouverture totale sur un univers que seul l'imaginaire restreint, vous subirez cette réaction à double aspect, paradoxe d'un désir profond d'une évasion réfléchie. Ce sera donc un immense plaisir de lever une ancre trop longuement retenue, et de se laisser dériver, au gré de ses pensées, souhaitant ardemment découvrir des zones encore vierges, des îles où vos traces seraient les prémices d'une humanité engageante, ou encore braver une destinée trouble. Jeune Chevalier de Gaien récemment promu, véritable fierté de la ville portuaire de Razril, vous débutez votre périple par une simple mission censée vous former à l'affrontement naval en compagnie de votre ami et supérieur Snowe.
Connaissant le réel danger de cette mission, cataloguée comme secondaire afin de confronter les jeunes hommes avec la perte de confiance et l'inattendu, le Commandant de l'ordre des chevaliers décide de suivre l'expédition afin de s'assurer de la réussite de cette dernière, tout en essayant d'éviter les drames. Un sentiment de "culpabilité" superflu, du fait d'une altercation soudaine avec un pirate du nom de Brandeau, décidé viscéralement à subtiliser la cargaison du bateau que vous escortez, composée d'objets sensiblement différents de ce que l'on vous avait annoncé. Face à la douleur, à l'effroi et à l'impuissance, l'être humain réagit différemment. Se laissant parfois guider par un sursaut d'égoïsme combatif, il peut pareillement se complaire dans une fuite éperdue, désirant à tout prix extirper une personne de ce péril, lui-même. L'une et l'autre des réponses fournies à cette situation donnée peuvent-elles être jugées ? Ne sont-elles pas simplement deux manières de faire face à un mur infranchissable ? Chaque individu se donne un but à atteindre, et il a la capacité d'y parvenir au travers de divers cheminements plus ou moins adaptés. Peut-on parler d'un héros et d'un lâche, ou plutôt de deux hommes cherchant un bien-être ? Là repose la réflexion soutenant dans son entièreté Suikoden 4. De ce fait, le scénario, ménageant habilement des zones d'ombres astucieuses et accueillant un retournement original et plus qu'interrogateur, prolonge son étreinte par le développement de rapports humains dotés d'une dimension réaliste, dans leur complexité et leur justesse. Comment peut-on arriver à trahir sa patrie ? Faut-il écouter l'appel d'une puissance consumant sa propre existence pour sauver un peuple ? Est-il honteux de fuir en laissant de faibles individus à la merci d'une force écrasante ? Des questionnements détachés de tout manichéisme et donnant à expérimenter une approche psychologique digne d'un intérêt appuyé et constant, à l'image surtout du second épisode de la saga de Konami, à travers la relation entre le héros et son ami Jowy.
Certes, il est vrai que vous observerez certaines carences dans des prises de positions parfois un tantinet trop emphatiques, et un recul certain de divers protagonistes, mais les principaux intervenants font suffisamment preuve d'aspérités pour vous convaincre de leur rester fidèle. En outre, le système de réponses multiples influant sur les relations entre personnages et la trame scénaristique se voit conservé dans un soucis constant d'épaississement d'un fond cohérent et convaincant. Ce principe permet en sus de faire bénéficier le héros principal d'un recul et d'une volonté qui vous appartiennent, contrebalançant son mutisme général et aigu. Et il lui faudra bien ça pour parvenir à diriger ses troupes. Conservant dans les grandes lignes le concept de combat des deux premiers opus, après la rénovation étrange du numéro trois, Suikoden 4 repose sur le légendaire tour par tour, au sein duquel plusieurs équipes de quatre intervenants vont prendre place. Effectivement, vous n'aurez plus maintenant droit à six guerriers dans une même compagnie, mais seulement un quatuor dont vous pouvez définir le placement afin de favoriser les attaques à plusieurs, définies par les diverses accointances existantes entre les participants. Par exemple au tout début du jeu, votre avatar et Snowe disposent de l'"attaque amitié", octroyant un probabilité de dégâts accrue et une animation spécifique. A vous donc d'essayer des combinaisons sans cesse renouvelées afin d'équilibrer votre force physique et vos runes.
Pierres magiques détentrices d'un élément précis, ces dernières se forgent au sein même de vos combattants, dans la limité de trois sur un individu donné. Conférant alors leurs facultés à ce dernier, elles agissent un tantinet comme les matérias du légendaire FF 7, sans pour autant offrir de rapports entre elles. Evoluant au gré de vos batailles, elles développent de nouvelles fonctionnalités, et surtout augmentent leur nombre d'utilisations maximal. En effet, vous ne pourrez pas invoquer les pouvoirs de ces symboles à longueur de temps. Disposant d'un ratio limité de disponibilités, de une à deux manipulations pour les plus puissants à plus de 6 pour les autres, ceux-ci demandent un certain aspect stratégique dans leur maniement, ne pouvant être rechargés que dans une auberge, ou après un sommeil mérité. Si vous vous trouvez à cours de réserves en plein combat, la seule solution sera, soit de vous servir de votre arme, soit de recourir à un objet très rare vous redonnant 1 point d'utilisation pour chaque rune. Il ne faut donc pas foncer tête baissée avant d'avoir jaugé les forces et faiblesses de vos opposants, et surtout privilégier l'acier à la magie dans un premier temps. Une approche particulière d'un concept vous conférant une influence destructrice, mais à gérer avec parcimonie. Un équilibre s'instaure donc naturellement, sans pour autant infliger une frustration ou une lassitude. Dans le même ordre d'idées et remplaçant les batailles rangées à grande échelle, des batailles navales trouvent leur place avec aisance. Reposant sur un principe proche de pierres-feuilles-ciseaux, ou plus proche de l'univers du jeu vidéo, du triangle des armes de Fire Emblem, ces dernières apportent une aire de plaisir ludique encore plus vaste, et surtout un challenge renouvelant la progression, et qui plus est intense et passionnant.
Demandant des compétences en organisation de vos navires et surtout l'acceptation d'un parti-pris fondé sur une sorte de bluff constant pour savoir quelle munition va être tirée, et comment s'en défendre, ces joutes maritimes surprennent plus qu'agréablement tout en se comportant comme une sorte de mini-jeu addictif. Ce qui l'est moins par contre, c'est la qualité graphique. En fait, après la magnificence du merveilleux Star Ocean : Till the End of Time, et l'ambiance fascinante, oppressante de BOF 5, on ne ressent pas du tout la même implication dans un univers, certes original et onirique, mais bien trop peu détaillé pour immerger totalement. Une faiblesse graphique qui se ressent au gré du scintillement et de l'aliasing occupant une place trop importante pour être honnêtes. Déformant activement les contours d'environnements relativement jolis et inventifs dans l'absolu, ces plaies de la PS2 enferment quelque peu le titre dans une impression désagréable de finition rapide, associée à une date de sortie trop précoce. Néanmoins, et si les modèles 3D des personnages ne rivalisent pas non plus de précision, mis à part au niveau du visage, leur animation durant les phases scénarisées demeure suffisamment souple et réaliste pour donner une vie certaine à des évènements parfois mis en scène de façon un tant soit peu rapide et chaotique. Il est de ce fait regrettable d'avoir abandonné la 2D à la vue des artworks relatifs aux intervenants, resplendissant de charisme et de chaleur. Au final donc, Suikoden 4 est un RPG véritablement bon, qui s'il souffre de son aspect externe, comprend un fond riche et saisissant, pétri d'idées et d'un background passionnant. D'ailleurs, si comme moi vous adorez les récits d'aventures maritimes, vous allez apprécier pleinement ce titre convaincant. Par ma jambe de bois !
- Graphismes13/20
Loin d'être abouti graphiquement parlant, Suikoden 4 affiche tout de même une richesse certaine au niveau de ses environnements, constamment renouvelés, et détenteurs d'un charme particulier. Et si l'on peut reprocher au dernier RPG de Konami sa représentation de la mer lacunaire, son aliasing et son scintillement, il est en revanche évident que les effets magiques, le chara-design (au niveau des artworks), et la gestion des dégradés jouent en sa faveur. Un ensemble moyen techniquement donc, mais qui met en place un univers cohérent et éminemment original.
- Jouabilité15/20
Le gameplay, hérité des opus un et deux de la série de Konami, se décline ici par le biais de nouveaux concepts assez intéressants. Tout d'abord, le fait de pouvoir faire tourner trois groupes de quatre combattants, s'il n'est pas vraiment original, permet de pallier à des erreurs de stratégie et d'opérer un rapide rattrapage. Mis à part cela, l'ajout des batailles navales est un plus non négligeable qui vous englobera certainement de longues minutes de plaisir. L'utilisation des runes, décidément classique, possède toutefois un bon degré de stratégie qui la rend sincèrement digne d'intérêt.
- Durée de vie15/20
Le jeu offre une progression assez lente, et vous pourrez être tenté de tout lâcher dès les deux premières heures de jeu. Mais essayez de vous accrocher, la suite en vaut la peine. Bien équilibré, relativement long à terminer et vecteur de la grande quête des 108 étoiles, rajoutant facilement des dizaines d'heures de jeu, Suikoden 4 suit les traces de ses aînés, et vous emportera un long moment.
- Bande son14/20
Les différents thèmes présents dans le jeu s'avèrent assez originaux et suffisamment renouvelés pour perdre toute lassitude. Peut-être un tantinet trop limitées au niveau de certaines sonorités, les compositions accompagnent les diverses scènes et paysages avec intelligence.
- Scénario15/20
Les psychologies des personnages travaillées, s'entrelacent habilement avec une trame reposant sur un schéma reprenant ces dernières. Sombre et tortueux, le scénario réserve de nombreux revirements intrigants et addictifs, mettant parfois en scène des trouvailles narratives et graphiques surprenantes. La mise en scène quant à elle, assez chaotique, permet tout de même de laisser passer des émotions diverses et intenses.
Suivant habilement les traces laissées par les épisodes PSone d'une série basée sur une approche psychologique profonde et "humaine" et n'hésitant pas à prendre des risques, Suikoden 4 tente l'intégration dans un univers maritime peu usité dans le monde vidéoludique. Péchant graphiquement à cause d'un aliasing trop présent et d'une finition parfois peu convaincante, le titre de Konami, faisant fi de ces reproches développe un fond prenant et riche qui pousse à se plonger dans ses méandres. N'est-ce pas le principal pour un RPG ?