Souvent citée comme source d'inspiration majeure de tous les jeux d'infiltration actuels, la série Dark Project ressort de l'ombre pour s'offrir une première prestation sur Xbox. Paradoxalement, le retour du discret Garrett ne passera pas inaperçu, et ce malgré quelques petites imperfections.
Thief par-ci, Thief par-là, on entend que ce nom dans la bouche des développeurs lorsqu'il s'agit d'avouer d'où provient leur amour pour l'infiltration. Pourtant, de Thief, on n'a pas vu un seul épisode depuis maintenant 4 ans. Il faut croire que comme son personnage principal (Garrett maître voleur de son état), elle attendait patiemment cachée dans l'ombre pour agir le plus efficacement possible. Bien que le nom ne soit mentionné nulle part, Dark Project : Deadly Shadows est bien le troisième épisode de Thief. Il ne faut d'ailleurs pas longtemps pour s'en assurer puisqu'on y retrouve pas mal de choses nous rappelant nos meilleurs souvenirs en compagnie du précédent volet. A commencer par l'incroyable univers du jeu, véritable point fort du titre.
Prenant le contre pied de tout ce que l'on nous sert aujourd'hui dès qu'il est question d'infiltration, Dark Project choisit de se situer dans une ambiance moyenâgeuse. De ce fait, cela oblige le joueur qui a été bercé par les missions de Snake et de Sam Fisher (pour ne prendre que les plus connus), à revoir totalement sa manière de penser la discrétion. Dès lors qu'il n'est plus possible de s'appuyer sur des gadgets de toutes sortes ou sur des lunettes à vision thermique, il faut faire avec les moyens du bord. Je sens que certains vont alors se sentir un peu perdus, voir déstabilisés de devoir troquer leur GPS ultra moderne contre un malheureux parchemin où sera griffonné à la va-vite le plan de la zone. J'imagine aussi leur tête lorsqu'ils s'apercevront que la position du héros n'est même pas indiquée sur ce parchemin. Pas plus que celle des ennemis d'ailleurs. C'est évident, se plonger dans Dark Project, c'est renoncer au confort que nous ont offert toutes les dernières productions, et c'est faire un retour aux sources de l'infiltration, la vraie, la pure, celle où on éteint les bougies à la bouche et où on fait mourir les torches à coups de flèches à eau.
De l'époque choisie découle alors tout un gameplay privilégiant la patience et l'observation à toutes les autres qualités requises quand on veut agir discrètement. Croupi dans l'ombre, les yeux rivés sur les gardes et autres ennemis, tentant de repérer le schéma de leurs rondes, Garrett doit constamment attendre le moment opportun pour agir. Ses missions sont toujours l'occasion pour lui de mettre en valeur son talent de voleur et il ne se gênera pas pour dérober tous les objets précieux qu'il croisera en route. Contrairement aux anciens volets, ces objets ne seront pas immédiatement convertis en argent. Il faudra donc attendre de se rendre chez un receleur pour revendre une partie de sa marchandise. Je précise bien une partie seulement, car les receleurs ne seront pas toujours intéressés par ce que vous possédez. Certains ne voudront vous acheter que les objets en étain, d'autres uniquement ceux en argent, d'autres encore refuseront de prendre le risque de vous échanger de trop gros objets. Une seule solution pour vous débarrasser de votre butin, faire le tour de toutes les boutiques.
Puisque je vois d'ici les joueurs des anciens Dark Project écarquillés les yeux bien grands, je me dois d'apporter quelques précisions au paragraphe ci-dessus. Ce nouveau volet n'est pas construit de la même manière que les autres. Le découpage en missions n'y est, par exemple, plus aussi marqué. Ici, on évolue dans une ville entière avec ses places, ses ruelles étroites et des appartements à fouiller. Au fil du jeu, on lie alors des liens plus ou moins étroits avec plusieurs factions de la ville. Cet alignement permet de définir le comportement que les gens adopteront avec nous lorsqu'ils nous croiseront. Pour faire simple, on va dire qu'il vaut mieux se faire tout petit si on doit passer devant un membre d'une faction avec laquelle on n'est pas encore bien pote. La ville fait office de point central du jeu et on y revient à de nombreuses occasions? aussi bien pour vendre ses objets comme je vous l'ai expliqué plus haut, que pour acheter de l'équipement ou glaner des informations. L'environnement est si riche qu'il y a toujours plein de choses à y faire. Le simple fait de rester planqué dans un buisson pour écouter les deux passants qui causent plus loin est un vrai bonheur. Cela m'amène à vous parler de la bande-son.
Majestueuse et immersive au possible, elle se classe sans difficulté parmi les gros atouts de Deadly Shadows. Grâce à elle, on entre immédiatement dans le jeu et on s'imprègne rapidement de son l'histoire. Le volume de dialogues est effectivement assez impressionnant. De plus, toutes les lignes de textes sont interprétées avec beaucoup de talent par une pléiade d'acteurs. Petit bémol, le tout reste en anglais et les sous-titres sont parfois un peu en retard sur les voix, entraînant du coup quelques confusions sur la personne qui parle. A part ça, c'est réellement un plaisir de plonger ses oreilles dans le jeu. D'autant que la musique fait également très fort avec des plages intrigantes et des nappes parfaitement étudiées pour nous mettre en état d'alerte maximale lors des phases d'infiltration. Le côté visuel de l'affaire est loin d'être bâclé. On retrouve le moteur de Deus Ex 2 dans une version bien améliorée, ce qui nous permet de profiter de jolis décors aux ambiances délicatement feutrées (un comble pour un titre qui nous balade constamment dans des châteaux, des mines ou des églises). Les textures affichent quelques beaux détails tandis que le jeu d'ombre et de lumière (pivot central du gameplay) se trouve parfaitement réussi, nous donnant réellement l'impression d'avancer à tâtons dans l'obscurité la plus totale. Seules des baisses de frame rate et des animations un peu raides (essentiellement en vue à la troisième personne) viennent entacher le plaisir des yeux. On parvient cela dit à passer outre, tant le design et le rendu des décors semblent maîtrisés.
Techniquement, Dark Project : Deadly Shadows s'en tire donc plutôt bien, et comme je le disais plus haut, avec un tel univers, on tombe rapidement sous le charme. Cela dit, tout n'est pas que régal et délice dans le jeu et de la même façon que Garrett sait se dissimuler dans l'ombre, il semblerait que quelques défauts soient parvenus à tromper la vigilance des programmeurs. Le plus grave d'entre eux concerne l'intelligence artificielle des ennemis. A de trop nombreux moments, j'ai pu constater un certain manque de cohésion dans l'attitude des gardes. Par exemple, ils stoppent leur recherche un peu trop rapidement. Même si vous vous faites voir, il suffit de rester caché quelques secondes pour que leur mémoire vive reboote et qu'ils oublient votre présence. Modifier le niveau de difficulté n'y changera rien, ils continueront à vous oublier même après une course poursuite dans les ruelles de la ville. Dommage. Pour leur défense, on peut leur reconnaître une certaine tendance à aller chercher des renforts. En dehors de cela, ils ne sont pas toujours très futés, c'est en tout cas ce que l'on peut penser lorsqu'on les voit aussi se bloquer mutuellement dans l'encadrement d'une porte.
Autre point discutable : le côté "répétitif" des situations. En voulant nous laisser un maximum de liberté, Deadly Shadows n'impose jamais de méthode pour se sortir d'une situation. Du coup, rien n'empêche le joueur d'utiliser à longueur de partie les mêmes techniques d'infiltration (éteindre toutes les lumières, assommer tous les ennemis, etc.) et s'il ne prend pas de lui-même l'initiative de corser le challenge, le jeu restera finalement assez facile. Cela est bien entendu un choix délibéré de Ion Storm qui place du coup Dark Project : Deadly Shadows à l'opposé d'un spectaculaire Splinter Cell à la mise en scène de tous les instants. Ici, vous serez en quelque sorte votre propre metteur en scène. Tenez-vous le pour dit. Au final, Deadly Shadows attire autant qu'il énerve. On aurait aimé que la série qui a donné ses lettres de noblesse à l'infiltration revienne sans aucun défaut mais ce n'est pas tout à fait le cas. De là à dire que le jeu n'est pas bon, quand même pas. Il possède un tel pouvoir immersif qu'on serait bien peu inspiré de bouder son plaisir.
- Graphismes16/20
Le moteur de Deus Ex 2 reprend du service dans une version améliorée qui convient particulièrement bien à Dark Project. S'il y a pas mal de tearing lorsqu'on se déplace à grande vitesse, et s'il y a aussi des animations moins réussies que la moyenne, on ne peut s'empêcher de trouver l'esthétique du jeu sublime .
- Jouabilité15/20
On retrouve les éléments clés de l'infiltration avec des déplacements silencieux dans l'ombre, des lumières à éteindre et des serrures à crocheter. Le tout reste finalement un peu classique et c'est au joueur de se mettre lui même en danger en cherchant volontairement la difficulté. Dommage que l'IA ne soit pas plus sophistiquée, les ennemis réagissent parfois de manière idiote. A noter qu'il est possible de jouer à la première ou à la troisième personne.
- Durée de vie16/20
Les niveaux sont vraiment longs et puisque le rythme de progression se veut très lent, les joueurs devront se munir de leur plus grande patience pour avancer. Heureusement, il est possible de sauvegarder à tout moment. Dans la mesure où l'aventure n'est absolument pas linéaire (de vastes choix s'offrent à vous devant chaque situation), on peut sans problème recommencer le jeu plusieurs fois.
- Bande son19/20
Alors là, je m'incline bien bas. Même si elle n'est pas localisée, on a droit à une bande-son de très grande classe aussi bien pour les dialogues que pour les ambiances musicales. Un énorme travail qui permet de s'imprégner pleinement de l'univers du titre.
- Scénario18/20
Plus que par son scénario, Dark Project impressionne par son ambiance unique et son univers intrigant. On se plaît à fouiller chaque recoin pour lire de nouveaux documents qui n'ont pas forcément à voir avec l'intrigue principale ou pour écouter une conversation anodine au détour d'une ruelle. On lâche difficilement le pad.
Très impressionnant dans les premières minutes de jeu, Dark Project dévoile peu à peu des défauts dont on aurait aimé pouvoir se passer. Les soucis d'IA sont évidemment pointés du doigt mais il n'y a pas que ça. Quelques petites défaillances graphiques ainsi que des animations trop raides nous font aussi arriver à la conclusion que le troisième volet de Thief aurait pu faire encore mieux, bien qu'il reste malgré tout un très bon titre, merci à la force de son univers.