Si populaire aujourd'hui, le genre de l'infiltration a vu le jour il y a quelques années, dans un bureau sombre, éclairé à la bougie qui fut la maternité du jeu qui a tout légué à la discipline. Aujourd'hui, c'est le retour de la légende que l'on fête. Thief 3 est-il à la hauteur du challenge qui lui est imposé ? Ion Storm va-t-il nous refaire le coup de Deus Ex : Invisible War ?
Après la déception Deux Ex 2, je dois dire que commençais à flipper correctement à propos du prochain Dark Project. In fine, il faut admettre que si Ion Storm nous sert ici un excellent titre, on n'est pourtant pas du tout au niveau du jeu ultime qu'on attendait. Et pour ceux qui veulent savoir pourquoi, allez voir plus bas. Dark Project, (ou Thief) c'est simplement le jeu qui a vu naître l'infiltration, le gameplay de l'ombre. Aujourd'hui, Garrett le voleur revient enfin après nous avoir fait patienter pendant des mois. Garrett qui a maille à partir avec les Marteleurs et leur passion pour la forge, les Gardiens et leur prophétie des ombres, les païens et leur malin, la milice etc. L'univers de Dark Project est vaste et complexe, mais surtout, irrésistiblement prenant et intriguant.
Le principe de base de Dark Project n'a pas changé depuis ses débuts, c'est celui de tout jeu d'infiltration qui se respecte : on reste dans l'ombre, on ne fait aucun bruit et si on doit avoir un contact physique, il doit s'agir d'un bon coup de gourdin assené sur l'arrière du crâne. Votre but premier sera toujours de dérober un objet pour le compte d'une faction et au sein d'une structure bien gardée. Comment y parvenir ? A vous de vous débrouiller en glanant les informations nécessaires à votre larcin. Epiez les conversations, fouillez pour mettre la main sur une note vous permettant de comprendre comment déjouer un système de sécurité etc. Contrairement à un Splinter Cell qui vous prend par la main dans un niveau linéaire, vous êtes ici livré à vous-même dans une map ouverte. "Comme Hitman ?" demandent certains. Plus ou moins, si ce n'est qu'ici la carte des lieux ne vous sera pas d'un grand secours, dans le monde de Thief, point de GPS, par contre, on ne manque pas de parchemins faits à la main, imprécis, incomplets et indiquant tout juste la direction à suivre. Trouver son chemin n'est donc pas une mince affaire, mais l'errance n'est pas inutile car si votre priorité est de dérober un artefact, n'oubliez jamais que le vol est votre gagne-pain, aussi, une fouille en règle du moindre centimètre carré est-elle vivement conseillée afin de mettre la main sur un chandelier en argent, une bague en or ou même sur une info toujours utile pour la suite.
Que faire une fois le larcin accompli ? C'est l'une des nouveautés de ce Thief 3. Après votre mission, vous reprendrez le jeu dans la maison de Garrett qui se trouve dans la Ville (c'est son nom). Une ville que vous êtes libre d'explorer comme bon vous semble afin d'aller revendre votre butin et de vous offrir du matériel. Au passage, rien ne vous empêche de forcer les portes des maisons et de vous emparer du bien de tout un chacun. Tout cela avant d'aller retrouver celui qui vous confiera une nouvelle mission que vous débuterez quand vous en aurez envie. Voilà de quoi assurer une grande cohésion au scénario et considérablement renforcer une immersion déjà balaise. Pour l'aider dans sa tâche, Garrett dispose d'un matériel dernier cri, on note d'ailleurs que son équipement a peu évolué au fil des années. D'abord, l'homme utilise divers types de flèches, outre les classiques, on trouve les flèches à eau qui permettent d'éteindre les torches et de progresser hors de la lumière, les flèches à mousse permettent quant à elles d'assourdir les surfaces bruyantes comme un sol en métal afin de marcher en silence, quant aux flèches bruyantes je pense que tout le monde voit de quoi il s'agit. On citera également les bombes éblouissantes ou à gaz ou encore l'oeil mécanique de Garrett (l'univers mêle technologie et moyen âge) qui lui permet de zoomer un peu. Voilà pour les exemples. Côté armes, Garrett n'est pas super équipé, à cela il y a une raison toute simple : il est complètement nul au corps à corps. Se lancer dans un combat dans Dark Project, c'est prendre un risque énorme car non seulement le héros ne frappe pas fort, mais en plus il encaisse mal et quand un garde est alerté, il finit vite par en arriver d'autres. La furtivité est votre seule alternative.
Dans le fond, le jeu n'a pas changé, on retrouve le même trip qui pourrait se résumer ainsi : tu te débrouilles mais tu te fais surtout pas gauler. Et il n'y a pas à avoir de doutes, on prend son pied pour diverses raisons, la première étant que les missions sont bien construites, que ce soit en termes d'objectifs ou de level design. La qualité du travail sur les ombres joue elle aussi énormément sur le plaisir et l'immersion ressentie dans l'infiltration, de même, jamais dans le genre la bande-son n'aura été si utile au gameplay. L'ouïe sera souvent plus utile que la vue et vous entendrez avant de voir les dangers qui menacent. Et puis en un mot comme en cent : c'est Dark Project. Mais au bout du troisième volet, il était grand temps d'apporter un peu de fraîcheur à la série. Autant le dire, si certaines nouveautés sont remarquables, d'autres se montrent plus dispensables. Outre la liberté d'action nouvellement acquise dont je parlais plus haut, l'autre gros événement est l'intégration d'une vue à la troisième personne, toujours utile dans l'infiltration pour avoir une meilleure vue d'ensemble. Malheureusement, on se rend vite compte que cette dernière n'est pas si utile que cela, personnellement, je dois dire que j'en ai peu fait usage, tout juste afin de franchir quelques passages un peu serrés. D'autant qu'elle accentue un énorme problème du jeu : la tendance qu'a le personnage à "coller" aux murs. Bug que l'on éprouve principalement lors du franchissement d'un angle fatalement rendu extrêmement pénible. Sachant que longer les murs est l'activité principale dans Thief, la chose s'avère très dérangeante.
Deux autres points ont également changé. D'abord on dit adieu aux cordes permettant de créer des ponts qui se voient remplacées par des gants d'escalades (pourquoi pas après tout), ensuite et plus regrettable, le système de crochetage de serrures est devenu totalement creux. Amusant les premières fois, on réalise vite que le nouveau système – qui consiste à déplacer la souris en haut, en bas à droite ou à gauche – ne présente finalement aucun intérêt et se montre laborieux quand on sait le nombre serrures qu'il faut forcer. S'il est un élément crucial dans un jeu d'infiltration, c'est bien l'IA. Monsieur Spector nous avait promis une intelligence artificielle hors du commun et malheureusement, on en est loin. D'un côté, les gardes sont capables de choses fort sympathiques, s'ils sont acculés, ils partent chercher des renforts, s'ils trouvent une simple flaque de sang, ils s'alarment. De plus, la plupart du temps (il y a des exceptions), éteindre une torche engendre une réaction chez eux, les poussant à venir voir pourquoi la lumière n'est plus, les portes ouvertes les intriguent également. D'une manière générale, ils ont parfois d'excellentes réactions. Du coup, on s'explique d'autant moins les ratés. Exemple : si deux gardes sont proches l'un de l'autre mais que vous en assomez un hors du champs de vision du premier, le bruit causé par sa chute n'alertera pas systématiquement son compagnon. Pire, même si vous avez fait un barouf d'enfer, si vous parvenez à rester planqué assez longtemps, les gardes finiront par cesser les recherches. Rhà, bordel, c'est pas ce qu'on attend d'un Thief 3 ça. D'ailleurs concernant les ennemis, s'il y a un truc dont j'ai horreur et vous serez d'accord, c'est le fait que si vous tirez une flèche sur un garde lambda, il meurt, mais s'il est alerté, curieusement, il en faudra 4 pour le tuer. J'en déduis qu'un ennemi soupçonneux a des écailles qui lui poussent sur la tête.
On poursuit avec les soucis qui poussent au crime en enchaînant sur l'un des gros défauts de Deux Ex 2 qui se retrouve ici : ça sent le nivellement console à plein pif. Si les cartes sont grandes, elle sont surtout découpées en zones, certes moins étriquées que dans Invisble War mais tout de même pas énormes et les loadings demeurent trop nombreux, en particulier dans la Ville. Du coup, pouf, on avance et on se retrouve face à une porte embrumée avec la question habituelle : "Voulez-vous quitter cette zone ?". Super ! nDu point de vue de sa réalisation, on se doit de saluer la bande-son géniale de Thief 3. Qu'il s'agisse des dialogues (en VO) irréprochables, des effets sonores, des bruits de pas qui varient totalement selon la surface et la distance (sur un plancher en bois à l'étage, effet garanti) ou des musiques d'ambiance, tout est parfait. Et une fois n'est pas coutume, les effets sonores servent réellement le gameplay.
Graphiquement, on retrouve le moteur de Deux Ex 2 mais avec un rendu bien, bien meilleur. Les textures paraissent moins pauvres et surtout le design est sublime. Bien sûr, la grande force est à chercher dans les lumières dynamiques d'une très grande qualité. L'effet de bloom si décrié dans DX2 apporte à mon sens un plus en prodiguant une ambiance feutrée qui colle parfaitement au jeu. En revanche, on renoue avec les animations simplistes des personnages et un frame-rate trop hésitant, même sur une grosse machine. On remarque au passage que les personnages subissent eux-même des saccades dans leurs mouvements.
- Graphismes16/20
Le moteur de Deux Ex 2 est poussé et nous offre des textures un peu plus fines mais des animations toujours aussi limitées. Les jeux d'ombres et de lumières sont sublimes, de même que le design général. en revanche, le frame-rate s'avère parfois honteusement bas.
- Jouabilité15/20
La prise en main ne pose guère de soucis et les habitués savent à quel point le gameplay est efficace. Toutefois, ce dernier ne se renouvelle pas des masses dans ce troisième volet. Les améliorations n'étant pas nécessairement toutes bienvenues. Le bug de collision qui vous fait adhérer aux murs est particulièrement agaçant.
- Durée de vie16/20
Le jeu étant ouvert, le temps qu'il vous faudra pour en venir à bout est variable, mais il faut compter au moins 45 minutes, voire 1 heure pour achever un niveau. Dark Project n'est sûrement pas un jeu kleenex.
- Bande son19/20
Dialogues variés, doublages soignés, musiques d'ambiance, effets sonores, tout frise la perfection. C'est divin.
- Scénario18/20
L'univers de Dark Project est un tourbillon dont on sort difficilement, l'ambiance est feutrée, les ombres sont partout, dans la Ville et les esprits.
Au final, que penser de ce troisième volet de Dark Project ? Que finalement, les évolutions depuis les deux premiers ne sont pas si énormes. La vue à la troisième personne se fera conspuer par nombre de joueurs PC. La liberté d'action est plombée par l'omniprésence des loadings de zones, loadings qui nous gâchent la vie perpétuellement d'ailleurs. L'IA va du meilleur à l'aberrant et ne suffit pas à s'émerveiller. Pourtant, Thief 3 vous fera passer d'excellents moments parfois grâce à un gameplay efficace mais qui rappelle trop ce qu'on a vécu quelques années en arrière, ainsi que par son atmosphère prenante. Finalement, voilà un très bon titre, mais pas la suite attendue d'un mythe. Comme Division Bell, c'était un bon album, mais un mauvais Pink Floyd. Spector, tu cherches les coups ?