L'inconnu. Notion génératrice de doutes, sorte de farfadet narguant l'être humain dans ses certitudes présomptueuses, il est le fondement des craintes les plus viscérales de l'homme. On ne peut s'approprier ce que l'on ne connaît pas, on ne peut le posséder d'aucune manière, le maîtriser. De là naît une panique, une négation de son statut, une démarche d'aveugle tâtonnant dont les seuls repères sont faits de brouillard. C'est à cela qu'est confronté Kagetani Takashi, correspondant malheureux du Tonichi Times, plongé dans des temps que ses souvenirs ne peuvent atteindre.
Glass Rose, c'est avant tout une ambiance très particulière. Loin des glauques et cruellement ensanglantés couloirs morbides d'un Silent Hill, ou de la magnificence chaotique d'un Resident Evil, le dernier titre de Capcom vous place au coeur d'arabesques entêtantes et de couleurs mêlées de reflets ternes et d'éclatants pigments. L'action principale se déroulant à la fin de l'année 1922, il est fort intéressant de ressentir les influences artistiques de cette époque précise, par le biais d'influences Art Nouveau incontestables. Sûrement grands amateurs de ce courant, comme de nombreux japonais, les designers ont su rendre palpable cette passion et mettre en place une atmosphère confinée et tortueuse à l'image de leur inspiration. On peut rapprocher ce travail de celui effectué par Nobeteru Yûki (Chroniques de la Guerre de Lodoss) ou Kawamoto Toshihiro (Wolf's ain) sur certains de leurs artworks, rendant hommage à Alphonse Mucha, artiste emblématique de la mouvance sus-citée. Il en résulte par conséquent une personnalité propre, détachant de manière emblématique ce titre des productions mettant en scène un fonctionnement semblable. Mais quel est-il ? Et bien Glass Rose, est un jeu d'aventure prit dans sa définition première, c'est à dire celle inhérente à un genre initié sur PC, et plus connu sous l'appellation "Point and Click". Ne vous attendez donc pas à pouvoir effectuer des mouvements très diversifiés ou à régler un litige à l'aide d'une arme à feu. Non, en ces lieux maudits, seule votre intelligence et votre sang froid pourront officier comme échappatoire. Oeuvre fantastique, il n'appartient qu'à vous de découvrir le sens de votre traversée spatio-temporelle, agrémentée de visions de votre amie Emi, visiblement inaccessible. Comment en est on arrivé là ? Telle est la question que devrait se poser le héros.
En effet, relativement frileux face au revirement troublant de sa destinée première, le jeune journaliste, transporté 70 ans en arrière, se révèle assez avare de questionnement, et curieusement dynamique. Cette crédibilité psychologique défaillante s'estompe un tant soit peu par la suite, mais il demeure tout de même troublant de considérer que les réactions premières du jeune homme aient été si détachées. Considéré par les habitants du manoir où il échoue à son insu, comme le fils récemment retrouvé du maître des lieux, le grand réalisateur Yoshinodou Denemon, notre ami va devoir faire face à une mise en abîme de ses propres tourments. Son "père" vient de se faire assassiner, par une personne qui visiblement se rapproche du tueur en série ayant massacré toute une famille justement en 1922, sur lequel Takashi enquêtait dans son futur passé (c'est compliqué).
Enquêteur de fortune, votre salut réside dans votre habileté à recouper les preuves nécessaires à un éclaircissement général de la situation. Un scénario original donc, teinté de soupçons de Shadow Of Memories, qui développe une mise en scène misant tout sur le non dit et les longues phases contemplatives. Cependant, là où vraisemblablement le scénariste ou le réalisateur désirait ardemment nous pousser à une introspection virtuelle, il ne résulte qu'un ennui, certes court, mais intense. Ces plans séquences sont très difficiles à rendre intéressants, et se doivent d'interpeller, comme dans "Serial Experiment Lain". Cela évite d'avoir une furieuse envie de presser la touche rond, permettant de passer les scènes relatives à la trame. Fort heureusement, cela n'advient que peu souvent. Basé sur les personnages, le cheminement général doit beaucoup de son intérêt de part les imprécisions englobant les existences troubles des intervenants cloisonnés dans une demeure trop exiguë pour les intrigues naissantes. Il est de votre devoir de recueillir ces témoignages apparemment douloureux.
Chaque dialogue est propice à un interrogatoire en bonne et due forme. Reposant sur un principe de liens contextuels, il vous faut, grâce à votre esprit de déduction, mettre l'accent sur les zones sombres, mais également trop lumineuses pour être sincères des dires de vos "compagnons". Pour ce faire vous devez utiliser le curseur (une plume) permettant de naviguer tout au long de l'aventure pour souligner d'un magnifique trait bleu les termes vous semblant dignes d'intérêts. Les conversations suivent ainsi plusieurs étapes, passant de l'une à l'autre suivant les mots mis en relief. Chaque phase est de couleur azur si votre interlocuteur vous dissimule des choses, et rouge s'il s'est confié à vous sans compter. Un dialogue ne prend fin que si l'ensemble des échelons est rouge. Il arrive parfois que des ramifications fassent leur entrée, vous poussant à aiguiser encore plus votre sens de l'intuition. Une idée vraiment réjouissante, mais qui s'écroule très rapidement dans un grand fracas. Pour la simple et bonne raison que vous avez le choix entre un mode normal et un mode facile. Ca ne paraît pas logique énoncé comme cela, mais vous allez comprendre. Dans le choix estampillé facile, tous les objets ou les mots importants des discours sont dévoilés par un petit clignotement.
Le fait même d'enquêter n'a alors plus de sens, et l'on assiste plus à un film interactif qu'à un vrai jeu. Le mode normal quant à lui n'offre aucune aide au détective en herbe que vous êtes. Vous ne voyez pas l'écueil ? J'y viens. Le mode de sélection d'un mot est extrêmement capricieux. Il suffit que vous débordiez d'un demi centimètre pour que votre choix ne soit pas pris en compte, et que votre interlocuteur vous réponde qu'il ne comprend rien. J'ai passé une demi-heure à chercher une réponse, alors que j'avais les clés en main dès les premières minutes à cause de cela. D'autre part il faut parfois associer plusieurs mots, voire une seule lettre afin de faire avancer les évènements. Et ce n'est pas tout ! Il vous incombera de revenir également sur certains mots déjà mis en exergue. D'autant qu'il arrive assez souvent que la logique de l'assemblage de différents termes soit fantaisiste. Au final, on aboutit à un cas de figure totalement idiot, consistant à recouvrir de bleu tous les vocables d'une phrase dans l'espoir de tomber sur le bon. Un équilibre absent par conséquent entre une quête immersive mais à la recherche d'indices lacunaires, et une aventure vous prenant par la main, vide de tout sens.
Ce qui est le plus dommageable, c'est que fondamentalement, et grâce en majeure partie au scénario et à la psychologie travaillée des personnages, le soft possède des qualités indéniables et des innovations notables. Le fait, par exemple de pouvoir lire dans la conscience des gens que vous croisez, afin d'orienter votre questionnement s'avère fort intelligemment étudié et rajoute une dimension nouvelle à la progression. De même, étouffé par la roue de la fatalité écrasant au fur et à mesure vos pérégrinations, vous allez devoir tenir compte du temps qui s'égraine et coller avec le déroulement normal de l'histoire, en évitant d'interférer sur le futur. Pour cela, le respect de l'heure est obligatoire. Une horloge vous indique minutes par minutes la durée restante à l'obtention de preuves. Si vous n'avez rien mis à jour avant l'heure fatidique, vous vous trouvez projeté dans les limbes temporelles et revenez avant votre action, en ayant toutefois perdu des points d'esprit, autrement dit votre énergie vitale. Ne cédant décidément pas à l'étonnement, Kagetani conservera son doux faciès, bénéficiant d'une modélisation, tout du moins durant les scènes cinématiques, de grande qualité. Oeuvrant dans des décors détaillés et aux textures travaillées, les divers intervenants ne bénéficient pas tous du soin des développeurs. Autant le journaliste apparaît comme correct et conforme aux attentes des joueurs, autant les personnes secondaires demeurent sujettes à une animation raide et à des parties du corps curieusement modélisées (le syndrome des doigts très longs et fins).
Pour finir, il est plus que clair que ce titre aurait mérité une plus grande attention et une meilleure gestion de ses composantes ludiques. Souvent lacunaire, jusqu'à en devenir énervant, il propose pourtant une approche nouvelle et intelligente du jeu d'aventure console. Disponible à moindre coût, il peut s'apparenter à un achat judicieux. Mais son jeu est habilement caché.Version américaine localisée à la va-vite, Glass Rose est intégralement en anglais. Menus, sous-titres et voix (de bonne qualité par ailleurs) rendent honneur au pays de l'Oncle Sam. Rien d' handicapant pour quelqu'un d'habitué à cette langue "universelle", cela devient problématique pour un novice, de par la propension du titre à utiliser le texte comme vecteur d'intérêt. Comme le héros, vous avez devant vous une apparition. Mais souhaiterez-vous la sauver à tout prix ?
- Graphismes13/20
Des scènes en images de synthèse d'une qualité plus que correcte, allant jusqu'à impressionnantes pour certaines, les phases d'exploration et de collecte d'indices font montre d'un déséquilibre flagrant. Des décors de grande qualité, mais des personnages modélisés arbitrairement, coexistent au sein d'un mélange hétérogène.
- Jouabilité11/20
La prise en main, tout en restant acceptable n'est pas étudiée vraiment pour une manette PS2. Préférez-lui la souris, compatible avec le titre de Capcom. Le gameplay quant à lui est foncièrement novateur et immersif mais s'entrave lui même dans un dosage déficient.
- Durée de vie12/20
Cela dépend votre manière de jouer et votre choix de départ concernant la difficulté. La possibilité de débloquer quelques bonus vous poussera à terminer l'aventure, mais peut-être pas à la retenter.
- Bande son8/20
Autant les différentes voix collent bien avec les personnages, autant les compositions musicales s'avèrent d'une part courtes et donc répétitives et d'autre part peu étoffées.
- Scénario14/20
Une trame scénaristique intéressante, reprenant quelques éléments du magnifique Shadow Of Memories, tout en apportant son caractère propre. Le déroulement est parfois un tantinet stagnant, mais on prend plaisir à suivre l'aventure.
Volonté apparente de Capcom de démocratiser le jeu d'aventure typé PC sur la valeureuse console de Sony, Glass Rose, malgré son ambiance chaleureusement oppressante et tirant nettement du côté fantastique, et ses idées novatrices, s'enlise dans une succession de défauts mettant en péril le désir salvateur de poursuivre l'aventure du joueur. Ne bénéficiant d'aucun soin concernant la localisation, il ne fait aucun doute que les stocks du développeur japonais devaient commencer à gêner le va-et-vient des nouveaux titres. Espérons qu'une suite gommant ces défauts paraisse un jour, et donne envie aux éditeurs de sortir plus de jeu "différent" en Europe.