J'avais fermé les yeux depuis un temps qui me paraissait une éternité dans l'attente de sa venue. Je ne savais pas ce que c'était, ni où c'était, mais je savais que c'était là, quelque part, et que ça voulait me tuer. Quand j'ai entendu le bruit de la poignée de la porte j'ai souhaité mourir d'effroi plutôt que de devoir lever les yeux sur la menace qui s'avançait vers moi. J'avais éteint ma lampe-torche et retenu ma respiration depuis de longues minutes déjà, mais ça n'avait pas suffit pour me rendre invisible. J'étais cachée derrière je ne sais quoi et il fallait que je sache. J'ai dû recourir à la Vision pour savoir si l'être qui me cherchait était sur le point de me trouver. J'ai alors entendu le rythme saccadé de ses gémissements et j'ai vu à travers ses yeux une forme tremblante terrée dans l'ombre qui allait recevoir un coup de pioche mortel sur la nuque. C'était moi.
Imaginez un jeu hommage aux longs-métrages horrifiques tels que Ring ou Dark Water, un jeu qui vous invite à franchir le pas du spectateur pour devenir l'acteur d'une histoire cauchemardesque où la mort n'est plus une simple menace mais une réalité qui vous saisit au moindre faux pas, au plus petit manque de prudence dû à un début de panique irraisonné. Et si vous n'étiez plus ni l'acteur ni le joueur de cette aventure, mais bel et bien la victime ? C'est cette impression pesante qui va vous envahir lorsque vous jouerez à Forbidden Siren, si du moins vous avez suffisamment de courage pour ne pas céder à la tentation de couper le jeu lorsque vous entendrez les murmures incohérents d'un être qui chuchote à votre oreille et vous ôte la vie sans même vous laisser le temps de vous retourner pour déceler les traits de son visage inhumain.
J'espère bel et bien que les nombreux articles que vous aurez pu lire sur ce titre et les multiples images que vous en aurez vues vous auront convaincu qu'il n'y a aucune exagération dans les lignes que vous venez de parcourir. Je ne sais pas si Forbidden Siren est le survival-horror le plus terrifiant qui existe à l'heure actuelle, Project Zero 2 s'annonce au moins aussi bouleversant, mais il est le seul à proposer une approche aussi immersive de par la 3D temps réel mais aussi via le concept révolutionnaire du Shikai Jack, ou Sight Jack, ou plus simplement la Vision en VF.
La Vision, c'est tout simplement la capacité du personnage principal et de tous les autres personnages que l'on contrôle dans l'aventure de voir à travers les yeux des êtres vivants qui l'entourent. Concrètement, il est possible à tout moment de passer en mode Vision pour essayer de capter les ondes des gens qui se trouvent alentour. L'image restitue ainsi le champ de vision d'un autre personnage, et permet de savoir s'il est en mouvement, s'il possède une arme et approximativement où il se trouve. Le stick analogique permet alors non seulement de passer de l'un à l'autre mais aussi d'affiner la fréquence de manière à voir plus ou moins nettement à travers les yeux des personnages que vous aurez pu capter. L'idée est bien de permettre au joueur de pallier ses faibles moyens de défense, qui se résument dans le meilleur des cas à une arme contondante ou un pistolet, en anticipant sur les actions des ennemis. Vous voulez traverser un pont surveillé par un tireur embusqué ? Attendez qu'il détourne la tête pour courir pendant qu'il regarde ailleurs. Mais alors que la Vision constitue votre principal atout pour vous en sortir, c'est elle qui paradoxalement va vous glacer le sang.
Car non seulement la Vision vous révèle une menace que vous savez présente mais dont vous ignorez la localisation exacte, mais elle vous met directement dans la peau de cette menace en vous faisant ressentir son impatience à vous débusquer, son plaisir à vous traquer, avec tous les hurlements, gémissements et autres toussotements morbides qui l'accompagnent. Le simple fait de passer en mode Vision constitue donc déjà une épreuve à surmonter. Vous savez que ce que vous allez voir va vous pétrifier d'autant plus que le nombre de réponses sur votre Vision sera important, puisqu'il vous arrivera de capter jusqu'à quatre ou cinq menaces qui évoluent tout autour de vous, mais c'est surtout le fait de savoir qu'elles sont là et de ne pas parvenir à les localiser précisément qui rend la progression si pesante. On se surprend alors à guetter le moindre élément du décor apparaissant sur la Vision pour essayer de déterminer approximativement où se trouve la menace et dans quelle direction elle se dirige pour éviter de croiser son chemin. Et lorsque la démarche furtive pour étouffer le bruit de vos pas ou que le fait de couper votre lampe-torche ne suffisent pas à ne pas éveiller la vigilance de vos poursuivants, il ne vous reste plus que le mince espoir d'arriver à fuir sans vous jeter dans les bras d'un autre humanoïde zombifié.
Forbidden Siren vaut donc avant tout pour son ambiance complètement immersive et son atmosphère réaliste, restituée avec brio à travers les faciès bluffants des personnages. Le choix de la 3D temps réel renforce cette immersion et s'adapte parfaitement aux types de missions proposées, surtout basées sur la discrétion, l'exploration, la fuite ou la recherche d'objets, et seule l'interface aurait gagné à être un peu plus ergonomique. Il est en effet indispensable de passer par des menus pour réaliser la moindre action ou interaction que l'on souhaite entreprendre. Cela mis à part, il faut tout de même préciser que le jeu affiche un niveau de difficulté particulièrement corsé qui découle directement de la difficulté à deviner les mouvements des ennemis. La progression repose alors sur la persévérance, et les moins patients risquent de lâcher l'affaire rapidement malgré la valeur du scénario et le côté ultra immersif du jeu. Quoi qu'il en soit, tout amateur de survival-horror se doit absolument de découvrir ce titre au prix de quelques sueurs froides.
- Graphismes14/20
Sans être d'une qualité exceptionnelle, la 3D a le mérite de renforcer considérablement l'immersion avec des personnages ultra réalistes. Le jeu est sombre, gore, l'atmosphère est pesante, et l'affichage de la Vision plus ou moins brouillée selon la fréquence est une très bonne idée.
- Jouabilité14/20
Le survival-horror se prête finalement plutôt bien à la 3D temps réel, mais l'interface via les menus d'action et d'interaction n'est pas vraiment intuitive. On progresse de façon laborieuse, mais c'est davantage à cause de la difficulté que de la maniabilité.
- Durée de vie15/20
Le jeu comporte plusieurs scénarios qui s'entremêlent en permettant au joueur de contrôler un grand nombre de personnages différents, chacun avec leurs aptitudes propres. Il faut toutefois persévérer pour surmonter le niveau de difficulté et recommencer de nombreuses fois les missions pour réussir à les terminer.
- Bande son18/20
Le soft compte essentiellement sur sa bande son pour pétrifier le joueur, notamment à travers les gargouillements et les hurlements des zombies. Dommage que le doublage en français ne restitue pas pleinement le doublage original.
- Scénario16/20
Plusieurs protagonistes tous aussi vulnérables et pétrifiés les uns que les autres sont proposés successivement pour faire le jour sur des phénomènes mystérieux qui tournent au cauchemar. On apprécie de pouvoir contrôler régulièrement de nouveaux personnages, mais le jeu suit toutefois un parcours scripté qui ne permet pas de jongler comme on le voudrait avec ses personnages.
Quelles que soient vos affinités avec le genre survival-horror, Forbidden Siren vous fera découvrir une expérience inédite et novatrice entièrement au service de l'ambiance. Rarement un jeu aura su rendre aussi palpable l'angoisse et la peur dépeintes dans une fiction.