J'étais seul. A couvert derrière une carcasse de voiture, je tenais ma positon, épiant les moindres mouvements alentours. Cette odeur de poudre incrustée dans mes vêtements me donnait la nausée. Combien de temps s'était écoulé. Une lourde pluie s'abattit sur le morceau de métal représentant pour moi le seul havre de solitude paisible en cette ville. Les éclats de carrosserie effectuaient une danse macabre dans le soleil s'affaissant. La nuit allait tomber. Chaque bruit éveillait des soupçons dans l'obscurité naissante.
Voilà qui pourrait aisément résumer la situation dans laquelle oeuvre le soldat d'élite que vous avez l'insigne honneur de contrôler. Néanmoins, ce dernier terme n'est en aucun cas usurpé, en accord avec la particularité notable du scénario. Tout cela peut paraître bien flou, mais apporte une originalité notable. En effet, le héros n'est pas votre avatar aux muscles saillants et à la combinaison d'ébène. Il se contente de camper un personnage principal charismatique, ce qui n'est déjà pas si mal. Le preux intervenant n'est autre que vous-même. Appuyant les gestes et les réflexions du commando furtif, vous incarnez une sorte de conscience, un homme de l'ombre influant sur les liaisons nerveuses du cerveau de votre hôte, via un système de connexion neuronale, mis au point visiblement par l'armée. Le "corps" vide et soumis à vos moindres injonctions, risque par conséquent sa vie à votre place, sans une once de pitié de votre part. Une immersion en la peau d'un manipulateur sans scrupule demeure sans précédent dans le domaine souvent manichéen des jeux vidéo. Réellement frais et intelligemment agencé. Cependant, cet aspect sombre ne parvient pas à cacher l'un des plus gros défauts du jeu, l'absence de scénarisation.
Contrairement à un Splinter Cell, où chaque mission prend en compte l'avancement de la trame scénaristique et propose des rebondissements en rapport avec cette dernière, les étapes de Kill.switch se résument à parvenir au bout du niveau en ayant éliminé l'ensemble des opposants, et parfois en accomplissant une tâche supplémentaire, comme poser du C4, ou trouver un objet particulier. Ce qui est d'autant plus dommageable du fait d'un background accrocheur, et d'une ambiance opaque rappelant les sombres heures des complots de Syphon Filter. Cet écueil aboutit à un scénario absent, sans grande envergure et éliptique sans raison apparente. Loin de la complexité mystico-politique du maître Metal Gear Solid 2 : Sons Of Liberty, on atteint ici le quasi-néant dans la progression scénique. Il ne s'agit pas forcément de quémander une histoire digne de Xenogears, mais un peu de tension et d'inventivité auraient permis de mieux encore s'impliquer dans l'univers de Kill.switch, méconnaissant la mise en scène lors des "cut-scene", et n'accordant pas d'importance au doublage, risible en version française, et curieusement pire en v.o. Mais ce ne sont pas en ces lieux brumeux que se trouve le fondement du titre de Namco.
L'innovation majeure du soft concerne son gameplay atypique. A la vue du principe fondamental, il est rapidement évident que nous avons devant nos yeux ébahis une sorte de Time Crisis en vue à la troisième personne. Tous les éléments du décors, que ce soient des caisses, des amoncellements de gravats, mais également des murs, ou encore de simples poteaux, se révèlent vos alliés, vous permettant de vous dissimuler à la moindre balle diffusant son sifflement caractéristique à votre oreille. Mais ce principe somme toute classique, déambulant seul ne serait que peu novateur. C'est pour cette bonne raison que les développeurs ont pensé à implémenter un petit plus créant la saveur particulière de ce soft, évitant par là même un énième jeu d'infiltration aux rouages classiques et grippés. Une fois retranché contre un obstacle à l'aide la touche "L1" il vous suffit de vous rendre au bord de ce dernier, puis de manoeuvrer le joystick gauche afin de vous pencher. Ce mouvement vous permet ensuite de viser à l'aide du stick analogique droit, tout en restant passablement à couvert. Il vous est même possible dans le cas d'un muret fort bas de faire feu à l'aveugle en tenant votre pistolet mitrailleur à bout de bras. Certains argueront justement que le principe de visée est similaire à celui utilisé par Snake. Dans le fond, il est vrai que cela peut s'avérer juste, mais le système Kill.switch dépasse convenablement les manières du père Solid, en y adjoignant une dynamique et une facilité de manoeuvre délicieusement agréable. La sensation de défendre sa vie coûte que coûte, retiré derrière l'unique bastion salvateur, en proie au siège d'une dizaine d'ennemis est fascinante d'immersion.
Pourtant, les plus belliqueux d'entre vous choisiront peut-être de subvenir à leur instinct de survie d'une façon plus brutale. Effectuer des sorties éclair, en réduisant à néant les précieux chargeurs d'un fusil d'assaut, peut s'avérer gagnant quelquefois, mais il ne sera pas rare que vous ne puissiez pas dépasser votre second opposant. De plus votre barre de vie s'emplit consciencieusement dès lors où vous dénichez un abri de fortune. Réfléchissez-donc à deux fois avant de vous lancer dans la bataille. D'autant plus que la maniabilité, si elle se révèle sans faille lors d'assauts répétés, en étant adossé à un objet, devient bizarrement moins précise lors de courses effrénées, ce qui me fait penser que les programmeurs ont surtout axé le gameplay sur les gunfights à couvert. De même la visée, lorsque vous vous trouverez astucieusement caché au dos d'une caisse, reste tellement intuitive et précise que les armes secondaires comme les grenades ne servent pratiquement à rien. Une focalisation un tantinet trop poussée, mais provoquant des poussées de plaisir parfois similaires à du Syphon Filter. Seulement voilà, l'absence d'une variété de mouvement supérieure à une roulade et un coup de crosse, et la difficulté épisodiquement présente de l'adossement à certaines parties d'un bâtiment confèrent un arrière-goût de finalisation incomplète. Un écueil identique se retrouve par ailleurs dans le domaine graphique.
Bénéficiant des capacités de la Playstation 2, le titre se pare d'atouts plutôt luxueux, même si l'on peut regretter une gestion des particules, ainsi qu'une fluidité légèrement inférieures à ce que l'on est en droit d'attendre de la console de Sony. Les divers protagonistes disposent d'une modélisation très correcte, qui contraste avec la redondance des visages ennemis. Le personnage principal quant à lui, sans être novateur dans le design, possède un charisme assez important pour que l'on prenne plaisir à le diriger, au propre comme au figuré. Les environnements traversés sont quant à eux de qualité variable. Autant les niveaux en extérieur paraissent un tant soit peu vides et dépouillés, autant les passages en intérieurs s'avèrent graphiquement plus riches et détaillés. Il n'y a rien de vraiment catastrophique, mais cela étonne quelque peu de la part de Namco. On se rapproche plus d'Extermination que de Metal Gear. Mais ce sont les animations qui posent réellement problème. Vous aurez plus souvent l'impression de diriger un mécha déguisé en soldat, plutôt qu'un être de chair et de sang. Si l'on peut se dire pour se rassurer que cela est sans doute dû au contrôle psychique opéré sur ce dernier, les attitudes tout aussi raides des opposants ne laissent planer aucun doute. Un dernier détail, quelquefois énervant, réside dans la gestion de la caméra. Irréprochable la majeure partie du temps, cette dernière ne trouve pas utile de se recadrer lors de retraites anticipées. De ce fait les adversaires souhaitant par conviction, ou lâcheté, vous attaquer dans le dos sont purement et simplement invisibles.
Au sortir de ces quelques griefs, on ressent sincèrement que l'ambition sous-jacente a été freinée dans son élan soit par manque de temps, soit par une somme d'erreur dommageable, ou encore par une insouciante jeunesse. De ce fait, il apparaît assez clairement que l'on s'escrime à sauver le monde sur une espèce de démo, qui si elle avait été portée à son but, aurait donné des sueurs froides à nombre de jeux d'actions-infiltrations reconnus. D'autant plus que le travail sonore a bénéficié d'une attention toute particulière, permettant au joueur de se trouver au centre d'un tourbillon pyrotechnique où le danger pointe à chaque pas. Ce n'est pourtant pas une I.A trop scriptée qui aura le don non négligeable de l'effrayer. Un jeu à l'équilibre précaire, à qui un approfondissement n'aurait pas nui. Transfert de données suspendu.
- Graphismes15/20
Ne fascinant pas par des jeux de lumière poussés à leur paroxysme, ou par une pluie quasiment préhensile, Kill.switch dispose tout de même d'un design accrocheur, s'inspirant dans la réalisation des textures du titre de Sony intitulé Extermination. Un gage de qualité. La modélisation générale des intervenants quant à elle, n'a pas à rougir d'autres productions à budget plus conséquent. Malgré cela, les animations peu développées et les errances de la caméra relativisent le jugement.
- Jouabilité14/20
Comme le reste du titre, le cas de la jouabilité se pose en perturbateur. Souvent jouissif et innovant, mais également lacunaire et simpliste par certains côtés, il semble posséder un fond intéressant, ne sachant pas comment l'exploiter. Les commandes répondent relativement bien, mis à part peut être l'adossement lors de certains passages. On regrette toutefois l'absence d'une touche permettant d'effectuer un demi-tour rapide. La manette est bien exploitée, mais ne vaut toujours pas un clavier et une souris.
- Durée de vie9/20
Seulement six ou sept heures de jeu, mais vécues pleinement. Cependant il n'est pas certain que vous retenterez l'aventure, car aucun bonus ne flotte à l'horizon. Même pas une petite vidéo, rien. Une erreur d'appréciation de Namco, lorsque l'on voit les divers cadeaux présents dans nombre d'autres titres. Surtout à 60 euros.
- Bande son13/20
Des compositions tonitruantes, mais n'évoluant que peu dans leur structure, ce qui amène logiquement une lassitude et une redondance évidentes. Un coup de chapeau tout de même à l'ambiance sonore qui place immédiatement au centre de l'action.
- Scénario10/20
Atypique dans l'approche au personnage (bien que Baten Kaitos ait déjà approché cet aspect), le jeu s'étouffe dans une trame scénaristique tellement reléguée au second plan qu'elle ne survit quasiment plus à la lumière de l'action frénétique. Dommage car l'idée de départ changeait du marasme ambiant.
Pétri de bonnes alternatives à la relative morosité du paysage vidéoludique dans le domaine auquel il appartient, Kill.switch enraye son arme de poing, perdant soudainement l'ascendant psychologique. Une somme de tourments incompréhensibles minent considérablement, non le plaisir de jeu, mais simplement la qualité intrinsèque. Un faux pas dans une route bardée de points de vue flatteurs que ce soft n'atteindra malheureusement pas. Espérons pour une plausible suite que les concepteurs auront pris conscience des tares de leur produit, afin de proposer un gameplay toujours aussi intéressant, mais en n'omettant pas cette fois-ci les aspects artistique et scénaristique. La traduction devrait aussi subir une épuration, car les textes ne correspondent que rarement aux paroles. Troublant. Un coup d'essai moyen, loin d'être médiocre.