Vous avez devant vous un homme consterné. Une réaction bassement humaine serait de se saisir de sa PS2, de faire sortir délicatement le CD-Rom (car c'est le cas) de sa carcasse ébène, puis de le tenir fermement entre le pouce et l'index. Placé face à une fenêtre, il ne vous reste donc plus qu'à... Arrêtez, tout ça va trop loin. Laissez vos instincts bestiaux de côté ; tout du moins un petit instant, et réfléchissons.
Comment réagiriez-vous face à une peur atavique, un néant émotionnel que vous ne pourriez contrôler. Arrivé à un tel point de renoncement, deux alternatives se proposent à nous. Soit les développeurs ont bâclé leur soft, retirant consciemment toute espèce d'intérêt du titre, soit ce sont de merveilleux humoristes, dignes des Monty Python. Disons pour plus de sérénité que la seconde option se révèle la bonne. Imaginez de ce fait la réunion de création du jeu. Le chef de projet se lève et dit : "Messieurs, nous allons concevoir le soft le plus éreintant du monde, afin de nous venger des remarques désobligeantes des joueurs. Quelqu'un a une idée, j'écoute". A ce moment un homme prend la parole : "On pourrait mettre en scène des tanks extrêmement lents, d'où s'échapperait un effet de fumée tellement mal réalisé que l'on apercevrait tous les pixels la composant." Tout le monde applaudit. Cela encourage un autre concepteur : "De plus, il faudrait donner aux décors des textures baveuses et simplement plaquées, sans aucune surface, comme sur les jeux de première génération sur Psone. On pousserait le mauvais goût jusqu'à réutiliser les mêmes entre les différents niveaux, en ne changeant que la couleur. De même, il faudrait faire en sorte que l'on remarque au premier coup d'oeil que le sol est sempiternellement identique, et que les morceaux qui le composent sont simplement dupliqués tout au long de l'environnement que l'on traverse."
Une idée en amenant une autre, un troisième comique prend la parole : "Excusez-moi, mais je crois avoir déniché la vexation ultime monsieur. En fait, la meilleure chose à faire serait de faire profiter au joueur d'une bande sonore nihiliste. Vous imaginez, des compositions uniquement basées sur la même rythmique, n'évoluant jamais, et se répétant indéfiniment, ne laissant aucun répit !" Après avoir recueilli les félicitations de l'assemblée, le jeune homme se rassoit.
Le lendemain, le sujet était toujours d'actualité. Le programmeur fut poussé par l'inspiration :"J'ai une illumination ! Si l'on créait un moteur physique complètement fantaisiste, permettant à des chars d'assaut de plus d'une tonne de se retrouver perpendiculaires au sol, à flanc de colline, sans se retourner. Attendez, Attendez ! Cela serait fantastique de permettre à ces tanks de grimper des montagnes quasiment à pic sans effort et sans danger." Encore une fois, cet individu fut taxé de génie. Mais cela ne faisait que commencer. Une voix s'éleva du fond de la salle : "Est-ce qu'il serait possible de mettre au point un mode multijoueur encore moins passionnant que l'aventure en solitaire, ne donnant accès qu'à un seul choix. Et il serait positivement jouissif de placer une carte en haut à droite de l'écran si petite, que les deux adversaires ne puissent se visualiser, même en étant à deux mètres l'un de l'autre. Pour finir monsieur le chef de projet, je plaide en la faveur d'un bug qui empêche de quitter les joies de l'amusement à plusieurs. Pour parvenir à s'envoler de ce mode, ces petits cancrelats devront choisir "changer de tank" pour espérer sortir de cet enfer." Ces pensées furent si machiavéliques, que d'aucuns ne se retinrent de congratuler cet homme.
Puis ce fut au tour d'une jeune femme de porter au monde son avis : "Je vous écoute depuis tout à l'heure messieurs, et personne n'a mentionné la jouabilité. Voyant vos regards illuminés je comprends avoir touché au but. Après avoir passé mes nuits en quête du gameplay le plus handicapant possible, j'ai enfin découvert le Graal. Désignons la touche "croix" pour faire avancer le véhicule, et le bouton "rond" pour le faire reculer. De même, profitons du fait que la tourelle, effectuant une rotation avec R1 ou L1 soit dramatiquement anémique, pour créer une nouvelle difficulté. Imaginons que la caméra suive le mouvement du canon, et non pas le char. Ce serait pervers non ? Il faudrait en plus que la visée soit plus que lacunaire, en jouant sur le fait que la tourelle ne puisse monter et descendre que très faiblement, par l'intermédiaire de R2 et L2." La foule en liesse se jeta à terre de contentement.
Mais un individu allait radicalement modifier la face de l'empire vidéoludique. Il prit la parole expressément : "J'ai la solution. Normalement, dans une simulation de tank, la logique veut que les affrontements se fassent à distance fort respectable. Ce qui se révélerait fantastique, ce serait que les machines de guerre soient pratiquement obligées de se trouver côte à côte pour pouvoir espérer provoquer des dégâts notables. Dans un ordre d'idées semblable, un système de verrouillage pourrait faire une apparition remarquée. Lorsque votre cible peut être atteinte, votre viseur se teinte de rouge. Cependant il faudra toujours placer ce dernier largement au-dessus de votre adversaire. Les obus ne décrivant jamais de phase descendante, il sera donc humainement impossible de jouer stratégiquement. Tout cela s'avère tellement illogique, que les pauvres joueurs en seront malades de désespoir. On pourrait également, dans une surenchère de sadisme, créer des missions inintéressantes dans des niveaux ridiculement petits et vides. Un jeu PSone sur PS2. Voilà la solution. On ajoute à ce tableau, des bruits de collisions de balles avec le sol ressemblant à une chute de casseroles, ainsi qu'une I.A inexistante et des bugs graphiques durant les cinématiques utilisant le moteur de jeu digne de Europe Racing. Nous tenons notre revanche !" Tout cela paraît incroyable. Et pourtant, vous retrouverez l'essentiel de ces trouvailles rocambolesques au sein du jeu. Ils y sont finalement parvenus.
- Graphismes2/20
Nous avons droit à une 3D d'un autre âge, à peine digne d'un soft PSone de première génération. Lorsque l'on se rend compte de ce que peuvent effectuer des studios de passionnés, même avec peu de moyens, on ne peut qu'être affligé par cette démonstration.
- Jouabilité2/20
Des commandes mises en forme en dépit du bon sens, impossibles à configurer convenablement et desservant un gameplay oscillant entre simulation et arcade, sans trouver sa voie. De plus, la caméra ayant la bonne idée de suivre le canon et non le char, le plaisir de jeu s'éteint telle une cendre rougeoyante sous la pluie.
- Durée de vie2/20
Dans l'absolu, la durée de vie s'avère relativement conséquente aux vues de la difficulté notoire. Cependant, bien peu de personnes s'accrocheront plus d'une heure à ce titre.
- Bande son1/20
Un agglomérat de sons tout droits sortis d'un synthétiseur Bontempi de la fin des années 70, répétitifs au possible, et sans aucune imagination intrinsèque. On croirait sincèrement que la bande sonore provient d'un rythme automatique, présent sur ces mêmes instruments.
- Scénario1/20
Je voulais mettre vingt pour créer la confusion, mais je m'y refuse après réflexion.
Arme ultime des détracteurs du jeu vidéo, Tank Elite est une force de la nature. Immobile, creux, il résiste à tous les cataclysmes sans esquisser le moindre sentiment sur un visage terne et morne. Bloqué dans une faille spatio-temporelle, au sein de laquelle l'évolution technologique n'a pas eu lieu, ce soft se destine à un avenir plus qu'incertain. Il vaut mieux alors retourner son canon vers soi.