Une créature ailée tenant par la main une femme écarte vivement fougères et arbustes au sein d'une forêt lumineuse. Dans leur course haletante, chacun des deux êtres serre en ses bras un enfant. Cependant leurs bourreaux dénués de toute pitié, fondent sur eux dans un bruissement froid et discret comme la mort. Les deux amants sont à jamais plongés dans d'obscures destinées. Leur descendance connaîtra-t-elle un jour le repos ? Arc The Lad quatrième du nom peut débuter.
Contrairement à ses prédécesseurs, orientés de manière plus qu'évidente vers le domaine du Tactical-RPG classique, cet opus fait plutôt figure d'habile mélange entre RPG traditionnel et tactique. En effet, l'aspect stratégique se réduit à attaquer un adversaire dans le dos, de manière à contourner le fait d'une possible contre-attaque ou esquive. Développé par Cattle Call, et non plus par Arc System, responsable des trois premiers volets ( et de Arc The Lad Arena), on observe de fait un remaniement plus qu'important. Les habitués de Erik, Arc, ou encore le fabuleux Tosh (souvenez-vous de la fameuse scène près de la tombe de son père, faisant face au soleil couchant), seront on ne peut plus déçus à la découverte du design de l'un des nouveaux héros, le bien nommé Kargh . La 2D de qualité oeuvrant sur les deux premiers épisodes, et dans une moindre mesure durant le troisième, fait aujourd'hui place à une 3D nécessaire pour concourir à armes égales face au gigantisme des productions de Square-Enix, pour ne citer qu'elles. Mais, encore une fois, les lois du marketing desservent le potentiel d'un titre. On côtoie tout au long de l'aventure, le bon, voire le très bon, et le mauvais. Certains environnements participent activement à nous plonger dans l'onirisme vaporeux, plongeant les sens au coeur d'une aventure passionnante, comme le donjon de Geedo par exemple, ou encore la tombe de Widolf, tandis que d'autres, comme les marais aux Firbles, apparaissent comme dépouillés et peu intéressants au niveau purement artistique. Néanmoins une volonté d'insuffler la vie à ce monde chimérique, étend son étreinte sur les terres de ce pays scindé en deux camps antithétiques. Le vent agite la canopée et les ramures des arbres, tandis que les herbes hautes se couchent au gré du souffle d'un parent au dieu Eole. De petits mammifères effectuent leur tâche de survie quotidienne, ne se souciant aucunement du conflit des êtres doués de raison. Un biotope crédible et sans cesse en mouvement. Cela amène une assise, synonyme d'une attention particulière apportée au titre. Cependant on ne laisse que moins encore passer les errances graphiques. Fort heureusement, le valeureux et démoniaque Darc honore de sa présence les yeux des joueurs que vous êtes. L'aspect vestimentaire demeure en effet de bonne tenue, mis à part l'accoutrement de Samson, sorte de Lucky-Luke de l'espace, arborant un pantalon moulant et deux revolvers dorés. Une lacune tout simplement inutile. Pourquoi avoir voulu faire dans la démesure grotesque ? Cependant il ne faut pas s'attendre à une sous exploitation de notre havre de RPG qu'est la PS2. Le titre ne profite tout simplement pas des avancées faites dans le domaine de la programmation, et se contente d'être agréable, sans plus. Mais est-ce sincèrement ce que l'on demande à un genre tel que celui-ci ?
Le plus important s'avère être le degré d'implication, que relaye la trame scénaristique. Et c'est bien cette dernière qui consolide fièrement les pieds d'argiles de ce titan. Loin des allégations métaphysiques d'un Xenogears, considéré depuis toujours comme le maître incontesté des scénarios alambiqués et assurément éblouissants, l'histoire qui nous est contée sort tout de même des sentiers rebattus d'un manichéisme aisé et démodé. Les héros des pérégrinations que vous allez effectuer s'apparentent plus à des manières de penser qu'à des personnages. En effet, tout est basé sur l'opposition de deux races, vouées apparemment à une destruction réciproque. D'un côté, les humains, revendiquant des acquis désormais plongés dans les brumes opaques du souvenir, et de l'autre les Deimos, peuple né de l'extinction des esprits, due à la destruction du mal incarné durant les épisodes antérieurs de la série de Sony, recherchant à récupérer leurs terres. Considérés par les êtres humains comme dangereux et maléfiques car étant différents, une haine grandissante s'insinue insidieusement dans toute la patrie. Chaque faction possède des idéaux qui sont somme toute légitimes à la vue des événements, mais qui s'annulent dans une contradiction catastrophique. Une guerre latente baigne donc les habitants de ces contrées mystérieuses. La force de ce titre provient du fait que vous aurez à loisir la possibilité de vous faire un avis personnel sur cette situation. Car ce n'est pas un guerrier principal que vous dirigez, mais deux. Un humain, Kargh, souhaitant venger la mort de son père adoptif, tué par un Deimos, et un « sang-mêlé », Darc, fils d'une humaine et d'un Deimos, dont le père prévoit la disparition de l'espèce s'il ne prend pas la tête d'une révolution visant à renverser le joug des hommes. Deux points de vue, deux douleurs vives, une seule fatalité. Les derniers moments du jeu vous réservent par ailleurs une surprise de taille, qui décuple l'intérêt même du titre.
L'univers dans lequel vous évoluez participe effectivement à cette trame mature et bien traitée. Une véritable recherche concernant les mythologies, espèces, et autres composantes endémiques d'un royaume créé de toutes pièces se ressent de manière plus que vivace. Le système politique des Deimos diffère de celui des hommes, en le recoupant sur certains points, les lois sont adaptées aux divers peuples, les pierres d'esprit constituent deux sources d'énergie aux apports distincts vis-à vis des deux populations, etc… l'immersion est par conséquent immédiate et relativement chaleureuse. Pourtant, cela ne pourrait en aucun cas détenir autant de force sans les compositions musicales du trio magique. Takayuki Hattori, Yuko Fukushima et Koji Sakurai, tout trois adeptes d'un style musical propre, octroient à cet Arc The Lad, des thèmes émotionnellement différents, mais complémentaires. En revanche si l'ensemble est de très bonne tenue, certaines partitions, dont celles des combats ne méritent en aucun cas que l'on s'y attarde. Les instruments utilisés demeurent relativement originaux et variés ce qui parvient à nous fondre dans un ensemble de compositions variées et collant parfaitement à l'ambiance du jeu. Ce qui n'est pas le cas des affrontements.
Rarement dans un RPG, les pugilats ont été si dénués de rythme. L'abandon du système propre aux anciens épisodes aurait pu être signe de renouveau et d'une volonté de démarcation positive, mais il n'en est rien. Les déplacements s'effectuent au sein d'une zone, délimitant d'un cercle bleu la portée de vos jolies jambes. Deux alternatives vous sont alors proposées. Soit vous attaquez, soit vous effectuez une magie, représentée par un rond de couleur rouge. Vous pouvez également visualiser la portée de vos coups en pressant la touche R1. Et c'est ici que tout se complique. Pour utiliser vos pouvoirs magiques, vous devez disposer de pierres d'esprit. Jusque-là tout est normal. Mais ces derniers en utilisent un nombre considérable. Si bien que vous passez le plus clair de votre temps à les économiser durant les combats. Vous ne vous fiez alors qu'à vos petits poings, ce qui rend les combats identiques et lassants. De même, un principe aussi ridicule que le temps réel dans Vandal Hearts 2 (aaah les souvenirs) fait son apparition, pas vraiment désirée. Lors de leur décès accidentel, les ennemis laissent choir des objets au sol. Si vous ne vous les appropriez pas avant la fin du combat, ils seront définitivement perdus dans les limbes. Il vous faut donc gaspiller un tour pour aller les chercher. Sachant que si vous ne disposez plus de réserves de magie et que vous êtes trop loin d'un ennemi pour le griffer violemment ou l'empaler, vous subirez des dommages pour rien. Une idée lacunaire et handicapante. De même, la platitude exacerbée de la carte du monde, ne donne pas envie de voyager. De simples points dont certains dédiés aux combats (pas de rencontres aléatoires), sur lesquels vous vous déplacez nonchalamment. On atteint tout de même pas celle, inimitable, de Grandia 2, mais on s'en rapproche fortement. S'il n'y avait que ça, le désordre ne serait que passager, mais le chemin est semé des défis difficiles à relever.
Le doublage français est une honte. Vous avez sans doute souvenance des « coup double » et de leurs cortèges de « tempête de roses » légendaires de Legend Of Dragoon de… Sony. Serait-ce une marque de fabrique ? A n'en pas douter, les comédiens ne paraissent pas avoir été conquis par le scénario pourtant plus qu'intéressant de ce titre. Autant ne pas adjoindre de voix du tout. Le meilleur moyen serait de réaliser un sous-titrage français agrémenté du timbre si particulier des japonais. Mais ce n'est qu'un doux rêve. De même, la mise en scène, bien que passable n'en est pas moins dénuée de toute volonté cinématographique et d'originalité. Les intervenants parviennent toutefois à fonder en nous des sentiments tels que la colère, la tristesse ou encore la peur, signe d'une conception psychologique poussée, et de la présence de situations particulièrement prenantes. Darc, en tant qu'enfant battu, aimant tout de même sa mère adoptive digne d'un despote, se révèle être l'être le plus touchant du titre et par là même le plus attirant. Surtout lorsque l'on préfère le côté obscur, comme moi. Au final, malgré des déceptions significatives, ce nouvel Arc The Lad demeure un bon jeu, sans plus. Ce qui lui porte le plus préjudice, reste la maladresse commise en désirant donner un souffle frais à la série. Pourtant étant donné la faible actualité RPGiste (néologisme) de ces derniers mois, une balade dans cet univers complexe et empêtré dans les brumes du temps et de la haine se laisse tenter. Yewbelle s'éloigne derrière ses pas assurés.
- Graphismes15/20
Le titre n'est pas laid, mais la qualité graphique s'avère mitigée. Il est dommage de pénétrer en un lieu enchanteur et de ressortir dans un vague pâturage aux couleurs baveuses et doté d'un léger scintillement. Les personnages ne sont pas non plus tous adeptes du charisme forcené. Mention toutefois spéciale à Darc que la voix française dénature complètement. Coupez le son lorsqu'il parle et vous verrez . Il resplendit.
- Jouabilité13/20
Le système de combat s'avère à l'essai peu passionnant et rapidement lassant. On ne peut néanmoins critiquer l'interface qui se révèle exemplaire. Les menus sont clairs et l'accès aux compétences limpide. Le tout reste intuitif.
- Durée de vie16/20
Le scénario prend son ampleur au fur et à mesure et vous dispense des révélations au compte-gouttes. Une très bonne narration. Malgré cela, le faible nombre de quêtes annexes handicape un tantinet le tout. Une quarantaine d'heures suffiront à apercevoir le dénouement.
- Bande son15/20
Des thèmes variés, et rarement enclins à provoquer la lassitude. Une originalité agréable et des sons instrumentaux de qualité. Toutefois, la note ne s'élève pas plus en hauteur du fait du doublage français catastrophique. Ou comment faire perdre tout crédibilité à des personnages.
- Scénario16/20
Une trame changeant des sempiternels affrontements entre le bien, vraiment bon et le mal sincèrement mauvais. Les rebondissements sont légion et dans l'ensemble, relativement imprévisibles. Un plus non négligeable demeure en la présence de deux héros que tout oppose. Vraiment sympathique.
Cet Arc The Lad nouveau, autant le dire franchement, n'est pas de la veine de ses grands frères. Mais qu'importe, il possède suffisamment d'atouts pour se frayer un chemin dans le coeur des adeptes de paysages ensoleillées et de landes fantomatiques. Malheureusement, son lot de défauts l'empêche d'atteindre la place qu'il mérite de droit. Dommage, vraiment. Quand les sociétés de développement comprendront l'importance des voix dans la psychologie et la prestance des personnages, nous seront sauvés. D'ici là...