Finis les sacrifices rituels aux dieux de l'aventure. Terminées les danses païennes aux divinités du point and click. Nos prières de retrouver un jour un titre dans la lignée des premiers LucasArts viennent d'être exaucées grâce à Runaway, le nouveau jeu de Pendulo Studios.
"Salut ! Je m'appelle Brian. Je vais vous raconter l'histoire qu'il m'est arrivée il y a quelques semaines." C'est par ces simples mots que s'ouvre le titre qui a la bonne, que dis-je, l'excellente idée de ressusciter un genre que beaucoup pensaient bien mort et enterré : le jeu d'aventure graphique. Souvenez-vous, au milieu des années 90 ce style était alors le roi des étalages et ses dignes représentants s'appelaient Monkey Island, Full Throttle, Sam And Max, Leisure Suit Larry ou encore Legend Of Kyrandia... C'était une période bénie pour les amateurs d'aventures qui, depuis, n'ont plus eu grand chose à se mettre sous la souris pour se rassasier. Oh bien sûr de temps en temps, un jeu de cette catégorie arrive à pointer le bout de ses pixels, mais aucun n'a su réellement offrir les mêmes sensations que les titres d'antan. Aussi magnifique qu'il puisse être, un soft comme Syberia par exemple, ne nous permet pas de retrouver le fun et l'esprit des pionniers du genre. Peut-être trop orienté "voyage et découverte", il délaisse effectivement l'aspect "réflexion" pour proposer une succession d'énigmes trop évidentes pour le joueur aguerri. Et ce n'est pas un reproche que je lui fais ! Je veux simplement dire qu'il paraît bien loin le temps où il fallait vraiment se creuser les méninges pour avancer dans un jeu de ce type. Enfin... fini la séquence nostalgie puisque Runaway est là pour nous consoler et nous prouver que oui, l'aventure graphique est toujours présente dans le coeur de certains développeurs et qu'à condition de se donner les moyens, il est encore possible de réaliser un grand jeu capable de rencontrer un succès public (rappelons que Runaway est déjà sorti en Espagne et en Allemagne avant les fêtes où il a obtenu un formidable accueil de la presse et des joueurs).
Runaway est donc une aventure graphique dans les règles de l'art. Un bon scénario, des personnages charismatiques, une réalisation de haute volée et des énigmes comme s'il en pleuvait, voilà les quatre piliers de la réussite qu'ont parfaitement intégré Pendulo Studios. Pour le scénario, on découvre un couple de jeunes gens qui se retrouvent embarqués dans une traversée des Etats-Unis avec la Mafia aux fesses. Tout commence lorsque vous, Brian, un brillant étudiant américain s'apprêtant à rejoindre l'université de Berkley, percutez en voiture une jeune femme sortie à toute allure d'une sombre ruelle. Après l'avoir conduite à l'hôpital, la malheureuse dit s'appeler Gina et vous explique qu'elle travaille au Pink Iguana, un bar des quartiers New Yorkais. Elle vous raconte également que son père lui a confié un mystérieux crucifix peu avant de mourir sous les coups de la pègre locale. D'un coeur généreux et droit, vous décidez de venir en aide à la jeune femme, ce qui sera le début d'une longue aventure à travers le pays.
Tout au long du périple, le couple rencontrera de nombreux personnages aux caractères bien trempés. Citons par exemple les trois drag-queens dans le désert d'Arizona (véritables hommages au film Priscilla, folles du désert), Oscar la baraque au coeur tendre, Robert le rastaman adepte des bongos, Sushi la génie informatique ou bien Joshua l'illuminé qui attend désespérément la venue des habitants de la planète Trantor. Chacun aura son rôle à jouer dans l'histoire, et bien souvent d'une manière que vous n'imaginez même pas ! Si vous pouvez parler avec chacun d'eux et leur soutirer quelques précieuses informations, votre réussite dépendra aussi beaucoup de votre esprit inventif. Tel un Mac Gyver en herbe, Brian devra utiliser les objets qui l'entourent pour se dépêtrer de situations qui de prime abord paraissent toujours perdues d'avance. Le piège pour moi serait alors de vous révéler quelques exemples d'énigmes pour vous situer le niveau de difficulté du titre, mais rassurez-vous je ne dirais rien. J'aime trop les jeux d'aventure pour savoir qu'ils s'apprécient de préférence seul devant son écran en tâtonnant pour trouver le moindre détail qui nous ferait avancer. Sachez simplement qu'il vous faudra fréquemment détourner l'utilisation première des objets que vous récupérerez...
Sûrement pas aussi loufoque qu'une série telle que Monkey Island, le niveau de difficulté de Runaway n'en est pas moins très correct et contrairement à ce que je craignais lors de la preview, la durée de vie n'est pas si faible que ça. Le nombre de lieux à visiter additionné à la multitude d'objets avec lesquels interagir augmente rapidement les possibilités d'action et on ne sait rapidement plus où donner de la tête. Comme il est impossible de mourir (quand je vous disais qu'il s'agissait d'un vrai jeu d'aventure...) on se surprend vite à essayer toutes les combinaisons sur tous les éléments du décor. Parfois le résultat donne un truc totalement inattendu, parfois rien ne se passe. Et si on se retrouve souvent bloqué, c'est parce qu'on n'aura pas remarqué le petit objet posé dans un coin de l'écran.
Côté interface, c'est la simplicité au service de l'efficacité avec un unique curseur que l'on déplace à la souris et qui change d'apparence suivant les objets sur lesquels il passe. Une loupe pour examiner, une main pour agir, une bulle pour parler et une flèche pour changer de lieu, on pouvait difficilement faire plus simple ! On entre donc rapidement dans le jeu sans avoir à subir des problèmes d'interface ou de jouabilité comme ça peut être le cas dans d'autres titres (qui a dit Ring 2 ?). Le dernier tour de force de Runaway est de bénéficier d'une réalisation impeccable. Si les versions allemande et espagnole que nous avons pu essayer nous laissaient déjà entendre la qualité de la bande-son, on ne peut que féliciter Focus pour son travail de localisation. Toutes les voix sont doublées en français par une brochette d'acteurs excellents de justesse dans leurs rôles respectifs. Le casting comprend entre autres les voix françaises de Keanu Reeves (Brian), Cameron Diaz (Gina), Laurence Fishburne, Will Smith, Moe le barman des Simpsons, Ania dans Buffy, et plein d'autres. Si vous voulez la liste complète de tout ce beau monde, je vous renvoie directement sur le site officiel. Vous vous apercevrez que la version française de Runaway dépote grave !
Graphiquement, c'est pas mal non plus avec des décors géniaux qui semblent avoir été crayonnés directement à l'écran. Les personnages sont pour leur part en fausse 3D. En fait, ils ont d'abord été réalisés en 3D pour ensuite être retravaillés en 2D. Le résultat est à la hauteur du reste, ils s'intègrent parfaitement sur les arrière-plans et leurs animations s'adaptent toujours aux décors. Par exemple, si Brian doit monter une échelle, vous verrez ses pieds s'appuyer sur chacun des barreaux. Ce n'est peut-être qu'un détail, mais cela prouve tout le soin que les graphistes et les animateurs ont porté à leur bébé. Avec tous ces points positifs, on en oublierait presque que Runaway n'est pas parfait. Oh, il n'y a rien de grave, je vous rassure. En fait, il n'y a guère que les cinématiques qui déçoivent un peu. D'une qualité moindre que le reste du jeu en raison d'une pixélisation trop voyante (un taux de compression trop élevé ?), elles sont heureusement peu nombreuses. Pas de quoi sanctionner, donc. Autre petit point noir et toujours concernant des cinématiques, on remarque que les personnages s'immobilisent à chaque fois qu'ils doivent prendre la parole. Assez bizarre au début, on finit par s'y faire et il n'y a pas de quoi s'énerver là non plus. Runaway réalise donc un quasi sans faute dans son domaine. Tout est mis en oeuvre pour nous faire vivre une grande aventure et le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est réussi. De mémoire de joueur, on n'avait pas connu ça depuis le dernier Monkey Island, carrément ! Il ne reste plus qu'à attendre une suite, ou mieux, un tout nouveau jeu de Pendulo Studios ! Vite !
- Graphismes17/20
Le design des personnages et des lieux fait constamment penser à un dessin-animé. L'aspect peint et crayonné de certains arrière-plans renforce cette impression. Un petit bémol pour les cinématiques, moins réussies.
- Jouabilité16/20
L'interface intuitive permet de se plonger dans l'aventure sans se prendre la tête. C'est simple, c'est sobre et ça convient parfaitement à ce style de jeu.
- Durée de vie15/20
Le niveau de difficulté n'est pas spécialement élevé, mais il y a toujours quelque chose à faire. Divisé en 6 chapitres, le jeu reste accessible aux novices tout en étant adapté aux joueurs confirmés. La longévité dépendra du niveau de chacun, mais comptez en moyenne une quinzaine d'heures pour arriver au bout.
- Bande son19/20
En plus des musiques agréables et des bruitages convaincants, il faut souligner le remarquable travail de localisation qui apporte un véritable plus au jeu grâce à de multiples répliques bien de chez nous. Les références sont nombreuses et variées et on passe indifféremment des Shadoks à Maïté ou à Chevalier et Laspalès. Les voix s'appuient sur un casting de grande classe. Attention tout de même aux oreilles sensibles, les dialogues sont parfois (voire souvent) grossiers et ne font pas dans la demi-mesure.
- Scénario16/20
Les rebondissements sont nombreux et interviennent là où on s'y attend le moins. Par sa narration et ses lieux visités, Runaway n'a pas volé son sous-titre de Road Adventure. Les références au cinéma sont également bien vues.
Comme il est facile de comprendre le succès du jeu en Allemagne et en Espagne. Runaway a tout ce qu'il faut, là où il faut. Depuis le temps qu'on attendait qu'un éditeur ose sortir un nouveau titre de ce genre, on ne peut que se réjouir. Avec de la chance, les grands de cette industrie comprendront que les jeux d'aventure ont aussi leur place sur le marché...