Coup de fouet

Si durant le procès de cet été qui opposait Microsoft à la FTC, les documents exposés montraient que Phil Spencer et ses équipes croyaient encore aux bénéfices des exclusivités pour la marque Xbox, des rumeurs affirment que ce n’est désormais plus le cas. Le mois dernier, Stephen Totilo annonçait que la firme de Redmond étudiait les pistes pour porter Sea of Thieves sur d’autres consoles. Puis il y a eu les bruits de couloir de l’arrivée d’Hi-Fi Rush sur PS5 et Switch. Depuis la fin de la semaine dernière, ce sont deux jeux Bethesda qui sont au centre des rumeurs : Starfield, l’open world signé Todd Howard sorti le 6 septembre 2023, et Indiana Jones, le jeu d’aventure-action à la première personne qui arrivera en 2024. D’après Tom Warren et Xbox Era, ces deux titres devraient arriver sur la console de Sony dans un futur proche.

“D'après nos sources, Microsoft prévoit de lancer Starfield sur PlayStation 5 après la sortie de l'extension Shattered Space déjà annoncée pour Xbox et PC, qui devrait arriver dans le courant de l'année” peut-on lire par ici. Le site ajoute : “nous avons également appris que Microsoft a investi davantage dans les kits de développement PlayStation 5 afin de soutenir les efforts de développement en cours, ce qui ne fait qu'ajouter de l'eau au moulin des rumeurs”. Toujours d’après Xbox Era, la décision de briser des exclusivités Xbox aurait été largement débattue au sein de la firme de Redmond, et beaucoup de personnes chez Xbox ne seraient pas satisfaits de la tournure des événements. Les fuites émaneraient-elles d’employés en désaccord avec ces nouvelles décisions ?

De son côté, Tom Warren de The Verge affirme que le futur jeu Indiana Jones développé par MachineGames débarquera lui aussi sur la console de Sony. “Une nouvelle approche multiplateforme pour certains jeux Xbox émerge au sein de Microsoft, et Indiana Jones semble faire partie de cette nouvelle vague”. “Alors que Bethesda lancera son jeu d'abord en tant qu'exclusivité sur Xbox, une sortie sur PS5 est envisagée quelques mois plus tard” annonce-t-il.

Les vannes sont ou-vertes

Depuis ces rumeurs, d’autres noms de jeux exclusifs qui pourraient arriver sur PS5 tournent sur les forums spécialisés. Au point où tout cela tourne au grotesque. Certains évoquent Grounded, Hellblade 2, Halo et même Gears of War… des titres qui ne sont pas de Bethesda, mais bien des licences first party, qui, pour certaines, font les beaux jours de la marque depuis plus de 15 ans. Si ces informations sont avérées, cela voudrait dire que Microsoft accélère son virage multiplateforme, entamé avec Minecraft lors du rachat de Mojang en 2014, puis continué de manière éparse avec, entre autres, les sorties d’Ori sur Switch, As Dusk Falls sur PS4/PS5 et bien sûr tous les jeux service de Bethesda (The Elder Scrolls Online, Fallout 76, etc.). Certes, durant les premières années d’existence de la première Xbox, la firme américaine avait autorisé des versions GBA de certaines de ses licences, mais ceci n’est pas comparable avec ce dont nous parlons aujourd’hui.

Les remontrances des fans d’Xbox ont rapidement inondé la toile. Certains bien connus de la communauté au gros “X” ont fait savoir leur mécontentement, et ont menacé de ne plus soutenir la marque. Ce qu’ils craignent particulièrement, c’est que Microsoft se transforme en éditeur tiers et abandonne dans un futur proche les consoles, ce qui poserait de nombreux problèmes (risque de voir disparaître l’accès à ses jeux digitaux, moins de concurrence sur le secteur des consoles de salon, etc.). Malgré les requêtes incessantes de fans parfois extrêmement virulents, aucun responsable du groupe ne se risque à prendre la parole. Jusqu’à hier soir.

Aux alentours de 21 heures ce lundi 5 février, Phil Spencer poste un message sur X/Twitter. “Nous vous écoutons et nous vous entendons” commence-t-il, avant d’ajouter : “nous avons prévu un événement quant à l’actualisation de notre business pour la semaine prochaine, au cours duquel nous avons hâte de partager avec vous plus de détails sur notre vision de l'avenir de la Xbox”. Aucun démenti, aucune confirmation. “Restez à l'écoute” réclame Spencer. Dans les réponses, certains utilisateurs supplient le dirigeant de ne pas transformer la marque en un simple éditeur tiers. Après tout, la grogne des fans sur les réseaux a souvent refroidi les ardeurs de Microsoft par le passé. “Nous espérons qu'il en va de l'intérêt des fans de la Xbox et des joueurs en tout genre, et qu'il en résultera des jeux extraordinaires” écrit un utilisateur.

Jouer sans frontières

“J’ai demandé à Copilot de m'écrire la déclaration de Phil Spencer sur le fait que les jeux Microsoft seront multiplateforme” s’amuse un utilisateur de X/Twitter. Dans le texte généré par l’IA, nous pouvons effectivement lire des phrases que le célèbre patron pourrait écrire. “Nous croyons qu'il faut faire tomber les barrières et veiller à ce que les joueurs puissent profiter de nos jeux quelle que soit leur plate-forme de prédilection. Jouons sans frontières” voit-on sur les captures d’écran diffusées, avec tout ce qu’il faut de “bringing the joy” et de “accessibility” pour sonner comme du 100 % Spencer.

Microsoft a quelque chose à annoncer. Quelque chose de suffisamment important pour qu’un message sur les réseaux sociaux ou un article sur le Xbox Wire ne soit pas suffisant. Si la firme de Redmond souhaitait contredire les bruits de couloir qui tournent sur Internet, elle aurait pu le faire plus rapidement et plus simplement. À ce stade, tout porte à croire que les rumeurs, émanant de sources dont la fiabilité est rarement remise en cause (Tom Warren, Jez Corden), sont dans le vrai. À Microsoft de nous indiquer jusqu’à quel point.

Va-t-on assister à une reformulation sommaire de la politique déjà initiée, avec des jeux exclusifs qui sortent ailleurs “au cas par cas” mais plus régulièrement, afin d’éteindre l’incendie ? Ou allons-nous voir le géant américain annoncer que la quasi totalité des productions first-party/Bethesda/Activision arriveront sur les machines de Sony et de Nintendo ? Pour que tout brûle un bon coup afin qu’une entité nouvelle renaisse des cendres ? “Quand tout le monde joue, nous gagnons tous” scande depuis plusieurs années la marque au gros “X” dans ses communiqués. Mais pourquoi viser plus copieusement les consoles concurrentes alors que Phil Spencer répète depuis plusieurs années que ce marché est, si ce n’est sur le déclin, désespérément stable avec ses 200/250 millions de boites vendues à chaque génération ? Les “2 milliards” de joueurs à atteindre grâce au Cloud, au PC et au mobile seraient-ils plus difficiles à atteindre que prévu ?

Voir Xbox Game Pass sur Microsoft

La suite logique ?

Beaucoup d’analystes et de passionnés sur la Toile s’accordent à dire qu’un Microsoft qui sortirait la plupart de ses jeux sur PS5 et Switch 2 serait en accord avec le message formulé depuis des années. On a souvent entendu les responsables de la marque avouer qu’ils voulaient sortir des jeux sur “consoles”, PC, mobile et Cloud. Jusqu’à présent, les fans de la première heure avaient accepté de voir quelques exclusivités de petite envergure finir sur d’autres machines. Mais là, les rumeurs vont jusqu’à évoquer Halo et Gears of War sur PlayStation 5, ce qui est d’un tout autre niveau. Satya Nadella, le PDG de Microsoft, a récemment déclaré vouloir être un bon éditeur sur “les machines Sony, Nintendo, sur PC et sur Xbox” maintenant que le rachat d’Activision est validé. Tim Stuart, le CFO d’Xbox, a quant à lui insisté sur le fait qu’il voulait voir les jeux de la marque “sur tous les écrans”.

Microsoft est une société de software et de services. Le rôle de constructeur se mettant de côté des exclusivités qui ne font pas gagner de parts de marché aux consoles Xbox devient peut-être trop embarrassant pour quelques décideurs situés à Redmond. En outre, dès 2020, Spencer disait vouloir lutter contre des géants tels que Google plutôt que de se battre contre Sony. L’actuel leader du marché n’est autre que Tencent, et nous savons que Satya Nadella a pour ambition de piquer la première place au groupe chinois. L’été dernier, nous apprenions qu’il voulait que son groupe devienne “le leader de l'industrie en matière de chiffre d'affaires généré en 2030” en “doublant son chiffre d'affaires au cours de cette période”.

Satya Nadella donnait différentes pistes pour “faire évoluer le segment Gaming”, comme “accélérer l’adoption du Game Pass chez les joueurs PC et mobiles” ou “continuer à investir dans le contenu par le biais de partenariats et de fusions-acquisitions”. Quand nous nous remémorons la bataille contre les régulateurs qui a eu lieu lors du projet d'acquisition d’Activision, nous pouvons penser qu’un Microsoft orienté multiplateforme connaîtra moins de barrières s’il envisage de racheter de nouveaux éditeurs.

Pourquoi les dirigeants décideraient de modifier leur stratégie maintenant ? Les raisons peuvent être multiples, mais l’envie de générer toujours plus d’argent en amenant des titres à fort potentiel sur des plateformes qui ne bénéficient pas du Game Pass est en haut de la pile des explications. Microsoft a bien vu que certains gros jeux solo disposant d’une distribution classique pouvaient rapporter énormément d’argent (Elden Ring). L’idée serait donc de faire payer aux joueurs PlayStation le prix fort quand ils veulent se procurer un soft, là où les joueurs Xbox pourraient en profiter contre quelques euros via le Game Pass. Microsoft pourrait aussi ne sortir que des jeux du back catalogue, ou les premiers épisodes d’une série dont un nouveau volet s’apprêterait à sortir, seulement sur Xbox cette fois-ci. Après tout, c’est un peu la stratégie adoptée par Sony sur PC.

Pourquoi les fans de la marque démarrent au quart de tour alors que rien d'officiel n'est annoncé ? Parce-que, comme le rappelle Jez Corden chez Windows Central, avec les morts d'HoloLens, Microsoft Band, Mixer, Surface Duo/Neo ou encore des Windows Phone, "Microsoft est un tueur de produits".

Bonne chance

De ce que l’on a pu voir des éléments du procès contre la FTC, le groupe dirigé par Satya Nadella est ballotté entre son envie d’accroître son MAU (les utilisateurs actifs mensuels), et celle de faire rayonner la marque Xbox grâce à des exclusivités, en espérant que les joueurs achètent des consoles et/ou s'abonnent au Game Pass. Il y a encore quelques mois, Phil Spencer déclarait qu’à chaque sortie d’un jeu Xbox sur PlayStation, Sony prenait 30 % des revenus réalisés sur sa plate-forme et utilisait “cet argent pour tenter de réduire la survie de la Xbox sur le marché”. Comment le gourou du gaming chez Microsoft pourra convaincre dans son “business update” que les jeux Xbox sur PS5 seraient une bonne chose, alors que Sony aurait pour ambition de rayer la marque américaine de la carte ?

Si cette accélération vers le multiplateforme se confirme, la société dirigée par Satya Nadella va avoir fort à faire pour expliquer l’intérêt de posséder un hardware Xbox. La machine n’aura-t-elle plus que des exclusivités temporaires ? L’argument principal sera-t-il d’avoir l’opportunité de jouer sans dépenser 80 euros pour acquérir un soft grâce au Game Pass, qui lui resterait exclusif à la Xbox et au PC ? Il n’y a que quelques jours de cela, Phil Spencer, chez Windows Central, se voulait rassurant quant à l’avenir de la marque. “Qu’est-ce que cela signifie de posséder une Xbox ? Ce sur quoi je veux me concentrer, c'est sur la manière dont nous continuons à innover pour les personnes qui se sont engagées dans notre plate-forme” promettait-il y a seulement deux petits mois. Pour le moment, à en croire les retours sur le Net, c’est surtout la crainte qui envahit les fans de la première heure.